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Gel et solution hydroalcooliques: « Attention à l’excès ! » (Dr Anicet Sawadogo, pharmacien, directeur du Laboratoire GAMET

En ces temps de coronavirus où l’hygiène des mains est devenue vitale, le qualificatif « précieux liquide » peut aussi bien désigner l’eau que le gel hydroalcoolique, un produit qui fait désormais l’objet de toutes les convoitises et de toutes les spéculations. Pour faire face au boom de la demande, le laboratoire pharmaceutique GAMET a sorti de ses  « usines » une solution locale, disponible sur le marché depuis le 16 mars dernier. Pour nous en dire plus sur ce produit et son utilisation, le pharmacien directeur du laboratoire, Dr Anicet Sawadogo, nous a accordé une interview le mardi 24 mars 2020. Il met en garde contre l’usage excessif des produits hydroalcooliques.

 

 

C’est quoi, un gel hydroalcoolique dont l’usage est recommandé pour le lavage des mains ?

 

Déjà, il faut que je mette en évidence quelques différences. Il y a le gel hydroalcoolique et la solution hydroalcoolique. Au niveau de notre laboratoire, nous disponibilisons le second. La différence entre le gel et la solution, c’est la consistance visqueuse. La solution est plus liquide. Sa densité n’est pas loin de celle de l’eau. Elle est comme de l’alcool tandis que le gel est plus dense, plus visqueux et épais. Le gel est plus complexe à fabriquer, voilà pourquoi vous ne verrez pas n’importe qui le faire au regard de ses constituants, des matières premières qui entrent en composition et vu le fait aussi qu’il faut pouvoir le stabiliser. Par contre la solution hydroalcoolique, elle, est facile à réaliser pour des personnes compétentes qui ont le matériel et la technique nécessaires.

Cela dit, ils ont la même utilité, c’est-à-dire la désinfection des mains. Mais il faut faire attention car il y a des normes à respecter. Dans le contexte actuel de coronavirus, vous verrez plusieurs gels et solutions ; il y a même des entreprises de beauté et de soins corporels qui en font. Mais les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandent  que le titre alcoolique à la fin soit entre 75° et 85°. Ce sont les effets de l’alcool qui sont recherchés, que ce soit dans le gel ou la solution, notamment les effets fongicide, bactéricide et virucide. Ils sont tous les deux efficaces.

 

Si c’est l’effet de l’alcool qui est recherché, peut-on, à défaut du gel ou de la solution, utiliser l’alcool pur à 80 degrés par exemple ?

 

On peut directement utiliser de l’alcool à 80 ou 90° lorsqu’on n’a pas le choix. J’avais déjà donné ces conseils à mon équipe. Sauf que lorsque vous utilisez l’alcool, il est très déshydratant et vous aurez les mains sèches. Que ce soit à 75 degrés, 80 et plus, c’est très fort. Si vous l’utilisez, il vous faut une crème hydratante après, car si vos mains sont sèches, elles commenceront à se craqueler, à se blesser, à faire tomber les barrières de la peau et cela va entraîner d’autres problèmes. Il faut se laver les mains au savon si possible. On propose le gel ou la solution parce que personne ne peut se balader avec dix kilogrammes de savon et cinquante litres d’eau. Le gel ou la solution, à n’importe quel moment vous pouvez les sortir et vous laver les mains.

 

Puisque la formule est publique, le citoyen lambda peut-il fabriquer le gel ou la solution à domicile?

 

C’est possible. Mais vu le contexte du Burkina, c’est mieux de ne pas s’y lancer. Simplement parce qu’il y a plusieurs éléments à prendre en compte. L’alcool que vous utilisez, quel est son titre alcoolique ? Le peroxyde d’hydrogène, quel est son pourcentage ? Votre glycérine, est-ce qu’elle est pure ? Votre eau a-t-elle été bouillie et refroidie ou distillée ? Après le mélange, est-ce que vous prenez le titre ? Savez-vous quel pourcentage d’alcool vous avez à la fin ? Tous ces paramètres sont à maîtriser. On sort des formules mais vous verrez qu’à  la fin, il y a beaucoup de choses à faire. L’OMS a recommandé aux industries locales d’accompagner la production de la solution ou du gel hydroalcooliques. Il est vrai que dans les pays occidentaux développés, on dit qu’on peut fabriquer le gel ou la solution chez soi. Mais à une seule condition : pouvoir respecter tout ce que j’ai dit. Nous, quand nous recevons de l’alcool par exemple, nous prenons le titre. Par exemple nous pouvons acheter de l’alcool censé être du 96 degrés et nous recevons du 95.2 degrés ou du 95.3. Et il faut faire des calculs et des analyses avec tout ça et disposer des constituants qu’il faut pour pouvoir fabriquer du gel ou une solution hydroalcoolique. L’idéal est de pouvoir produire à grande échelle pour tout le monde.

 

Avant l’arrivée du Covid-19, aviez-vous l’habitude de fabriquer la solution hydroalcoolique ?

 

Nous ne fabriquons pas cette solution de manière régulière. Nous avions une formule dans notre catalogue, hydro clean, un gel hydroalcoolique. Mais la version que nous produisons actuellement est celle de l’OMS. Cette année consacre nos vingt ans, nous étions focalisés pour innover, dans le développement de nouvelles molécules, de nouveaux produits. Mais avec la crise du coronavirus, nous nous sommes focalisés sur l’approvisionnement en matières premières, surtout des produits chimiques qu’on ne trouve pas dans notre pays. Après cela, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait se préparer à l’arrivée de la maladie. Avec ce peu de prévision, on a pu avoir une avance. Je peux vous dire qu’on ne dort pas. En l’espace de trois jours, nous avons pu monter deux unités supplémentaires de production de solutions hydroalcooliques, ce qui a permis de soulager une importante  demande. Nous recevons des appels de partout, nous n’avons même pas le temps de décrocher certains appels parce que nous travaillons.

 

Avez-vous des difficultés de production à quelque niveau que ce soit ?

 

S’agissant de la préparation de la solution en elle-même, je peux dire que nous avions un circuit d’approvisionnement en matières premières assez conséquent. Le gros souci qu’il y a actuellement est lié aux articles de conditionnement. Au Burkina, tout le monde s’acharne sur ces articles de conditionnement qui se font de plus en plus rares. Nous avons envoyé des  agents hors du pays et nous nous demandons comment ils feront pour rentrer, compte tenu de la fermeture des frontières et du couvre-feu un peu partout. Nous ne souhaitons pas non plus conditionner dans n’importe quoi. En tant que pharmaciens, nous nous devons d’offrir des produits pharmaceutiques de qualité. Il faut que l’utilisateur final ait à sa disposition un  produit qui lui permette de se protéger. C’est dire que c’est vraiment très suivi, c’est du sérieux.

 

Pratiquez-vous des prix sociaux pour faciliter l’accès à votre solution ?

 

Nous ne faisons pas comme certains qui ont fait monter les prix. On nous a même dit : « Vous, vous ne voulez pas l’argent ». Non. Nous avons vraiment fixé le juste prix. Nous avons ajusté nos prix quatre jours après la première liste, simplement parce que le coût des articles de conditionnement a doublé, voire triplé. A présent, il n’y en a même plus. Nous nous sommes dit que nous allons produire une solution à un prix abordable pour que tous les Burkinabè puissent avoir accès à un produit de qualité. Si nous avons même fait ce réajustement, c’est parce qu’il le fallait puisqu’il nous faut aussi de quoi fonctionner. Actuellement on est à flux tendu et il y a les questions de recouvrement à prendre en compte.

 

Où peut-on  se procurer votre solution ?

 

Nous sommes un établissement de préparation pharmaceutique. De manière réglementaire, il y a un circuit officiel qui est là. Nous sommes un laboratoire qui livre aux grossistes pharmaceutiques, les grossistes pharmaceutiques livrent aux pharmacies et celles-ci au public. Malheureusement au regard de la demande accrue, lorsqu’on dépose en pharmacie, le produit est vite acheté. C’est la raison pour laquelle il faut produire en grande quantité pour rendre le produit disponible dans toutes les pharmacies aussi bien à Ouagadougou que dans les autres villes. Nous avons pris en tout cas l’engagement  d’approvisionner nos grossistes au quotidien.

 

L’usage excessif du gel ou de la solution hydroalcoolique avec cette psychose n’a-t-il pas de conséquences ?

 

Bien sûr. Je disais tantôt de faire attention à ne pas avoir trop d’alcool sur les mains au risque de dessécher votre peau ; ou alors vous respectez par la suite le principe d’hydratation. En les utilisant trop, on peut avoir les mains lésées, donc des ouvertures pour les microbes, les virus, entre autres. L’achat abusif des gels et solutions hydroalcooliques ne permet pas non plus à un maximum de personnes d’entrer en possession du produit.

 

Avez-vous d’autres conseils pratiques pour l’utilisation des produits hydroalcooliques ?

 

Il y a effectivement beaucoup d’autres aspects que les gens ignorent et sur lesquels il nous faut accentuer la sensibilisation. Il ne faut pas avoir les mains mouillées ou souillées avant d’utiliser le gel ou la solution, elles doivent être sèches parce que si elles sont déjà humides, le produit sera dilué et son effet  diminué. Et que ce soit le gel ou la solution hydroalcoolique, je conseille à  tout le monde de se rendre en pharmacie  pour se les procurer parce que les pharmaciens sont les spécialistes du médicament. Aujourd’hui tout le monde fabrique le gel ou la solution. Le Laboratoire national de santé publique a lancé une campagne pour que tous ceux qui produisent les solutions et le gel se manifestent afin qu’il vienne faire des prélèvements et donner des résultats. Faites donc attention aux paramètres importants comme le degré d’alcool. Pour les achats, il ne faut  pas surconsommer pour que tout le monde puisse en avoir. Il y a des gens qui se rendent en pharmacie et veulent acheter d’énormes quantités. Pensez à tout le monde.

 

En tant que pharmacien, comment appréciez-vous le débat sur la chloroquine qui serait un possible remède contre la pandémie ?

 

Ça fait longtemps qu’on n’utilise plus la chloroquine à cause des phénomènes de résistance. On l’utilisait pour le paludisme mais  aujourd’hui on a des molécules beaucoup plus avancées pour le traitement du paludisme. Même avant qu’on  ne parle de plus en plus de la chloroquine ces derniers temps, il y avait des gens qui avaient commencé à tourner pour chercher ce médicament. J’ai dit à une connaissance dans cette situation qu’il n’y avait plus de chloroquine dans les pharmacies. Il y avait de l’hydroxychloroquine qui, de manière chimique, n’est pas le même composé que la chloroquine, mais en est un dérivé. Mais même l’hydroxychloroquine, il n’y en a plus. Tout le monde s’est jeté dessus. Cependant, il faut faire attention au suivisme. Que ce soit en Chine, aux Etats-Unis ou en France, les recherches sont toujours en cours. Pour l’instant, aucun pays ne s’est prononcé officiellement pour annoncer soigner les malades du COVID-19 avec la chloroquine à titre curatif. Alors qu’il y a des gens qui ont commencé déjà même à prendre la chloroquine  à titre préventif. Attention, surtout  que ce médicament peut créer des problèmes pour les yeux. Nous voyons déjà des ordonnances passer avec la chloroquine. Qui sait ? Peut-être que dans deux jours ou dans une semaine le traitement à base de chloroquine sera reconnu, mais il faut observer et attendre des résultats concrets, parce que le monde scientifique est toujours en train de travailler  à trouver un remède.

 

Interview réalisée par

Hugues Richard Sama

 

Encadré

Les prix publics conseillés par flacon

 

60 ml : 1 000 FCFA

100 ml : 1 150 FCFA

125 ml : 1 250 FCFA

250 ml : 1 650 FCFA

500 ml : 2 400 FCFA

1 l : 3 100 FCFA

5 l : 12 250 FCFA

20 l : 50 225 FCFA

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