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Moussa Sawadogo, opérateur économique sino-burkinabè : « Si j’étais conseiller de Roch… »

Pour avoir déposé ses valises d’homme d’affaires dans l’Empire du milieu, où il réside depuis maintenant quinze bonnes années, il fait partie des plus Chinois des Burkinabè. Dans ce domaine des affaires, il s’est fait une place au soleil avec son entreprise de transit, Yiwu Baiwa trading company. Moussa Sawadogo, c’est de lui qu’il s’agit, est, de ce fait, bien connu par nombre de commerçants burkinabè et d’ailleurs. Alors que son pays, comme bien d’autres, est sur le pied de guerre contre la pandémie du Covid-19, l’opérateur économique a laissé parler son cœur à travers des dons en nature (32 500 bavettes) et en espèces (27 millions de F CFA). Dans une interview qu’il nous a accordée le 6 mars 2020, il revient sur son parcours. A propos de la riposte au Covid-19, il estime que nos autorités auraient pu solliciter l’aide de la Chine pour venir à bout de la pandémie.

 

 

La Chine et vous, c’est une longue histoire d’amour. Depuis quand cette histoire a-t-elle commencé ?

 

Elle a commencé en 2005. Cette année-là, je suis parti de la Côte d’Ivoire pour la Chine. Je me suis installé d’abord à Guangzhou où j’ai passé 24 jours avant de me retrouver à Yiwu, dans la province de Zhejiang. J’ai travaillé avec un entrepreneur du transit et de la logistique qui est maintenant installé au Mali. J’ai été son employé pendant quatre ans avant de créer ma propre entreprise, le Yiwu Baiwa trading company.

 

Est-ce qu’il y a beaucoup de Burkinabè qui vivent en  Chine ?

 

Oui, ils sont nombreux à y vivre. Nous  sommes environ 500 hommes d’affaires, en plus des étudiants. Mais beaucoup sont actuellement au bercail à cause du Covid-19.

 

Quels sont vos rapports avec vos autres compatriotes qui résident en Chine ?

 

Les choses se passent à merveille entre nous. La preuve, nous avons créé Burkindi, un groupe WhatsApp où on échange régulièrement, ce qui nous permet d’ailleurs de garder le contact. A cela il faut ajouter un autre forum de discussions mis en place par l’ambassadeur du Burkina sur place, ce qui rassemble aussi tous les Burkinabè qui y vivent.       

 

A l’ère des réseaux sociaux, des images font souvent état de ce que les Africains sont couramment victimes de racisme en Chine. Est-ce que vous avez ce sentiment ?

 

Personnellement, je n’ai pas été victime de racisme en Chine. Dans la ville où je me trouve, il n’y a pas de préjugés sur les Noirs. Je puis même vous dire que le maire de Yiwu m’appelle à tout moment quand je suis au Burkina. Pas lui seulement, je discute presque chaque jour avec le secrétaire du centre de commerce de la ville. C’est vous dire à quel point je suis bien intégré, j’ai été proposé l’année dernière par la mairie de ma ville de résidence pour être conseiller.

 

On pourrait donc vous considérer comme un « Chinois noir » ?

 

Oui, je suis un Chinois noir ! (Rires)

 

Cela fait donc quinze ans que vous êtes dans l’Empire du milieu. Qu’est-ce que vous trouvez de particulier chez les Chinois ?

 

J’ai toujours trouvé les Chinois travailleurs. Toute leur mentalité, je peux dire, est bâtie sur le travail. Vivre comme un Chinois, c’est se lever le matin, rejoindre son lieu de travail, revenir le soir, manger et dormir. De ce point de vue, j’ai beaucoup appris d’eux. J’ai surtout appris de l’homme chinois qu’après le travail vient  la réussite. Pour lui, il n’y a pas autre  moyen de s’enrichir que de  travailler. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus inspiré dans la création de mon entreprise. Par cette entreprise, je fais partir de la chine entre 700 et 800 conteneurs par an avec comme destination, la France, les Etats-Unis, mais surtout le Burkina, où j’envoie plus de 500 conteneurs. Ce qui est déplorable chez nous en Afrique, en général, et au Burkina en particulier, c’est qu’on est persuadé que du jour au lendemain on peut devenir riche. C’est tout notre souci, rien d’autre.

 

De façon pratique, en quoi consiste l’activité de Baiwa trading company ?

 

Nous venons en aide à nos commerçants qui éprouvent des difficultés à importer leurs marchandises. L’une des principales difficultés est surtout la barrière linguistique. Grâce à la maîtrise du mandarin, nous établissons alors le contact entre l’importateur et l’exportateur.

 

Pour s’épanouir dans ce métier de transitaire en chef vous n’avez pas eu besoin de longues études. Etes-vous de ceux qui croient que l’école n’est pas toujours utile pour emprunter l’ascenseur social ?

 

Avec la volonté, l’abnégation au travail, on peut bien s’en sortir. Moi mes études se sont limitées en classe de CM2. Mais aujourd’hui, si la possibilité de continuer l’école s’offre à moi, je vais la saisir. D’ailleurs, depuis l’an passé, je pense à étudier en France le management, ne serait-ce qu’en six mois.

 

La pandémie de Covid-19 a imposé la prise de mesures drastiques parmi lesquelles la fermeture des frontières. Quand avez-vous quitté la Chine ?

 

En Chine le Covid-19 a commencé à prendre de l’ampleur en mi-janvier. Le 19 du même mois, j’ai quitté la Chine pour Paris. De la capitale française, j’ai appris qu’il y avait eu deux morts chinois. Des amis de ce pays m’ont contacté aussi pour m’informer que la maladie y avait pris la proportion d’une crise sanitaire. De la France, je suis alors rentré au Burkina. A mon arrivée, j’ai même approché certaines autorités pour qu’elles se préparent à faire face à une éventuelle crise de la même nature.

 

On imagine que, comme tous les acteurs économiques, l’arrêt des liaisons commerciales avec l’Empire du milieu a porté un sérieux coup à vos affaires. Est-ce qu’on peut avoir une idée de ce que vous avez perdu jusque-là en raison de cette situation ?

 

La situation que nous vivons a effectivement des répercussions sur nos activités. Mais on n’a pas d’autre choix que de respecter les consignes données par les autorités sanitaires et politiques si on veut s’en sortir. Imaginez si les consignes ne sont pas respectées. Par mois, je fais charger en moyenne 70 à 80 camions. Depuis, cette moyenne est passée à 20 ou 35. Mais pour moi, ce n’est pas le plus préoccupant : tant que le pays se porte bien, en termes de santé, il va de soi que les affaires vont reprendre et pourront prospérer.

 

Aux autorités sanitaires burkinabè vous avez remis plus de 25 millions de F CFA mais aussi des kits de protection.  Dites-nous comment s’est faite l’acquisition des kits.

 

J’ai d’abord consulté des Chinois fabricants de consommables médicaux. Je me suis rendu compte que je pouvais directement faire l’achat avec ces fabricants. Mais sur trois cartons que je pouvais acquérir avec eux, j’allais me retrouver avec un carton, à cause des frais de douane. Je suis donc passé par la voie diplomatique pour qu’il y ait des exonérations fiscales. Pour tout vous dire, je suis passé par mon ambassade qui a facilité les choses en contactant le secrétaire général du ministère chargé des Burkinabè de l’extérieur.  

 

Malgré cette morosité du climat des affaires, vous avez fait des dons en espèces et en nature. On imagine donc que vous avez encore les reins suffisamment solides ?

 

Je remercie en tout cas le Bon Dieu. N’oubliez surtout pas que cela fait quinze ans que je suis en Chine. Ce pays, je ne peux pas dire que j’ai été le premier à le découvrir, mais je fais quand même partie des premiers Burkinabè à y résider. Je ne me plains donc pas.

 

Le premier don, celui des 27 millions, vous l’avez voulu discret. Qu’est-ce qui explique cette façon de procéder ?

 

Par modestie, je n’ai pas voulu médiatiser la remise de ce don. Mais au-delà de ça, chacun a sa manière de voir les choses.

 

Après ces différents dons, vous avez annoncé d’autres actions. En quoi vont-elles consister ?

 

Je suis personnellement engagé dans la lutte contre cette pandémie. Pour cela, je ne compte pas me limiter aux gestes que j’ai déjà faits. Et si je dois faire plus d’efforts dans la donation, je le ferai, car il y va de l’intérêt de tous que le coronavirus soit éradiqué.

 

Vous avez sans doute suivi le président du Faso égrener ses mesures pour soulager les Burkinabè. Qu’est-ce que vous en pensez ?

 

Je suis ravi qu’il ait pris de  telles initiatives qui vont, à mon avis, aider la population. Avec tout ce qui est prévu, on ne peut qu’espérer que les bénéficiaires seront soulagés. Cela va surtout rendre efficace le dispositif mis en place pour lutter contre la maladie. Même si, en tant qu’opérateur économique, je ne bénéficie pas directement des mesures économiques, je me réjouis que la majorité des Burkinabè en tirent profit, et au bout du compte, c’est tout le pays qui gagne.

 

Pensez-vous que ces mesures sont suffisantes ou que le chef de l’Etat pouvait mieux faire ?

 

Il faut dire que les autorités ont négligé cette maladie au départ. Une preuve en est que jusqu’à présent, elles n’ont pas demandé l’appui de la Chine, qui est pourtant sollicitée par de grandes puissances par ces temps qui courent. C’est vous dire que le chef de l’Etat aurait pu mieux faire. La situation est tellement grave qu’il n’y a pas lieu d’éprouver de la honte à demander de l’aide.

 

Si vous étiez un conseiller de Roch Marc Kaboré, vous lui auriez donc suggéré un appel au secours?

 

Sans hésitation, j’allais lui suggérer de se tourner vers un pays qui a aussi bien l’expérience dans la gestion de la crise que les moyens financiers. Je suis convaincu d’ailleurs que les Chinois sont mobilisés et disposés à nous appuyer.

 

On sait que le confinement total a permis à la Chine de limiter les dégâts du coronavirus. Pensez-vous qu’on peut procéder ainsi dans notre pays ?

 

C’estbien possible. Et je pense que c’est d’ailleurs une obligation d’y aller si on veut vite éradiquer cette maladie dans notre pays. Vous me demanderez ‘’et les acteurs du secteur informel qui vivent au jour le jour ?’’ C’est ce qui est regrettable. A ce sujet, je suis de ceux qui voient le Burkinabè comme celui qui  ne pense pas à demain. On croit que peu importe la situation, il faut à tout prix travailler. Il faut pourtant être en bonne santé pour mieux exercer ses activités et ainsi progresser. D’où la nécessité pour tous de respecter les mesures d’hygiène  prescrites pour sortir de cette impasse.

 

Entretien réalisé par

Bernard Kaboré &

Roukiétou Soma (Stagiaire)

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