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Gratuité fontaines publiques: Quand les Bobolais versent dans la démesure

Depuis le début de cette semaine, les gérants des bornes-fontaines à Bobo-Dioulasso sont presque noyés par le nombre sans cesse croissant des consommateurs qui inondent quotidiennement les bornes-fontaines pour leur approvisionnement. Une affluence occasionnée par les récentes mesures sociales prises par  le gouvernement burkinabè dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Et depuis, on assiste à une hausse vertigineuse de la consommation et les compteurs d’eau dans les fontaines publiques tournent sans discontinuer, du lever au coucher du soleil.

 

 

L’accès à l’eau potable a toujours été un vrai parcours du combattant pour la grande majorité des Burkinabè des villes comme des campagnes. Disposer en permanence du précieux liquide et en quantité suffisante n’est pas donné à tout le monde dans un pays qui est pratiquement sous la menace constante de la sécheresse occasionnant du coup la raréfaction au fil des années des ressources en eau. C’est en cela alors que l’approvisionnement en eau potable des populations a toujours figuré parmi les priorités des priorités de nos gouvernants. Si précieuse et si vitale, l’eau tant recherchée est aujourd’hui à la portée de tous. Du moins, de la majorité des populations urbaines avec cette nouvelle mesure gouvernementale consécutive à la pandémie du coronavirus. Dans son discours à la nation le vendredi 2 avril 2020 en effet, le président du Faso prenait d’importantes mesures à caractère social dans le but d’accompagner les populations dans leurs efforts de lutte contre le COVID-19. De ces différentes mesures, on retiendra celle relative à la gratuité de l’eau. « Au titre des mesures sociales d’accompagnement pour les mois d’avril à juin 2020, il y a, entre autres, la prise en charge des factures d’eau de la tranche sociale et la gratuité de la consommation au niveau des bornes fontaines », a déclaré Roch Marc Christian Kaboré. Une bonne nouvelle pour les populations et principalement ces ménages à revenus modestes et pour lesquels, la consommation en eau potable a toujours nécessité des précautions budgétaires et une gestion rigoureuse. Tel n’est plus le cas avec l’entrée en vigueur en ce début de semaine, de la décision du chef de l’Etat, d’ouvrir gratuitement les vannes aux populations démunies pour leur ravitaillement en eau. C’est ainsi que depuis lundi à Bobo-Dioulasso, les bornes-fontaines sont régulièrement prises d’assaut par les consommateurs qui s’y rendent munis de seaux, de barils, de bassines, de bidons et de bien d’autres récipients pour se faire servir.

 

Une demande en hausse vertigineuse

 

Chez Maïmouna Coulibaly au secteur 14, c’est une pagaille généralisée qui a fini par s’installer avec cette affluence qu’elle a visiblement de la peine à contrôler. « Je suis régulièrement débordée et les gens manquent totalement de discipline. J’ai souvent assisté à de chaudes empoignades entre des gens qui n’ont pas toujours respecté l’ordre d’arrivée. C’est bien ce qui provoque les bagarres et franchement je ne sais plus à quel saint me vouer », se désole-t-elle. Non loin de là, à Tounouma plus précisément, on assiste toujours à la même scène avec ce cafouillage monstre autour de la borne-fontaine. « Avant l’entrée en vigueur de la gratuité, je vendais entre 23 et 27 m3 d’eau par jour. Mais aujourd’hui (nous étions mardi) par exemple, avec la gratuité, je suis à presque 40 m3 et la consommation ne fait qu’augmenter de jour en jour. Le robinet reste ouvert jusqu’à la fermeture sans arrêt », raconte le gérant. De toutes les bornes-fontaines que nous avons visitées à Sya, l’eau coulait sans interruption avec par endroits des scènes de gaspillage.  Une chose est sûre, la gratuité de l’eau dans la lutte contre le coronavirus a engendré une affluence presqu’incontrôlée, mais surtout préjudiciable à cette mesure barrière qu’est la distanciation physique. Qu’à cela ne tienne ! Disposer du liquide précieux et en quantité suffisante semble être la préoccupation majeure de ces femmes, de ces hommes et de ces jeunes, qui fourmillent autour des bornes-fontaines pour faire le plein de leur récipient. Parmi eux également, des enfants dont l’âge varie entre 5 et 10 ans et qui veulent eux aussi profiter de cette gratuité pour se faire servir, mais à quelle fin ? Juste pour s’amuser pour bon nombre d’entre eux nous dit Maïmouna Coulibaly qui a déjà pris des dispositions pour les écarter des rangs. « Nous avons constaté que de nombreux parents ne se gênent plus pour envoyer les enfants à la borne-fontaine. Chose qu’ils ne faisaient pas avant, de peur que leur progéniture à qui ils reprochent d’être toujours distraite ne perde l’eau qu’ils ont achetée sur le chemin du retour. Mais maintenant comme c’est la gratuité, personne ne se soucie des conditions de transport. J’ai même vu des enfants venir se servir juste pour aller s’amuser. Et depuis, j’ai décidé de ne plus leur fournir de l’eau. A moins qu’ils ne soient accompagnés par leurs parents. Rien que la journée de lundi, j’ai presque doublé la quantité habituelle que je livrais quotidiennement à ma clientèle ». Comme on peut bien le constater, la consommation ne fait qu’augmenter au fil des jours. Une situation qui s’expliquerait selon des gérants de bornes-fontaines par l’arrivée de nouveaux demandeurs. Mais pour d’autres, cette forte pression dont sont victimes les responsables des bornes-fontaines serait plutôt liée à cette brusque augmentation des besoins de clients habituels. « Avant, certains venaient juste pour un ou deux barils pour leur besoin quotidien. Mais aujourd’hui, j’ai vu des  clients passer presque toute la journée à se servir. Il y a sans nul doute une consommation abusive de l’eau depuis la gratuité. La demande est de plus en plus forte puisque des demandeurs nous proviennent aussi des chantiers de construction », nous dit Abdoulaye Ouattara au quartier Souroukouking.

 

L’inquiétude des gérants

 

Alors si cette mesure de gratuité continue de faire le bonheur des couches les plus vulnérables de la société, il n’en demeure pas moins qu’elle est en train de provoquer des grincements de dents par endroits. D’abord chez les gérants des bornes- fontaines qui disent avoir été pris de court par l’application de cette mesure dont ils affirment ignorer les contours. « Nous prenons l’eau à 198 F/m3 à l’ONEA et nous la revendons à 275 F/m3. Et c’est ce qui nous permet de supporter certaines charges comme le salaire du gérant. Avec cette gratuité nous ne savons pas s’il est prévu des mesures d’accompagnement pour les responsables des bornes-fontaines que nous sommes. Depuis le matin par exemple, je suis là et je ne peux pas bouger. Souvent je me fais relayer par un usager juste le temps de manger avant de reprendre mon boulot. On voudrait bien savoir ce qui sera fait pour nous permettre de nous en sortir avec cette gratuité », s’interroge Abdoulaye Ouattara. Une autre inquiétude et pas des moindres est celle soulevée par les pousseurs de baril d’eau. Avec la gratuité, leur activité est presqu’en berne. Les demandes se font rares en cette période où les potentiels clients ont commencé à se ravitailler directement à la fontaine. La déception est grande pour Djakaridja Coulibaly qui dit être en chômage depuis quelques jours. « Je faisais quotidiennement des va-et-vient incessants dans les concessions pour ravitailler mes clients. Une activité qui me faisait gagner environ 2000 F à 2500 F par jour. Mais maintenant je suis à la recherche du strict minimum pour survivre. Tous les pousse-pousse sont actuellement à l’arrêt et nous sommes très nombreux dans cette situation », déplore-t-il. Si la mesure de gratuité de l’eau dans les bornes-fontaines publiques a été saluée par la grande majorité des populations, il reste entendu que sa mise en application pose véritablement problème. Car dans de nombreux secteurs, on assiste à un réel gaspillage du liquide précieux sans que les auteurs se soucient des conséquences hydriques pour un pays sahélien comme le nôtre. Une campagne de sensibilisation s’impose afin de ramener à l’ordre ces personnes qui ont versé dans la démesure de la consommation et qui se croient désormais tout permis avec cette gratuité.     

 

                                               Jonas Apollinaire Kaboré

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