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Quelques Jours d’Avril de Raoul Peck: Une leçon d’histoire

A l’heure où la commémoration du génocide tutsi, qui a démarré un 7 avril 1994, se fait dans le confinement, le premier film de fiction sur cette tragédie, celui du réalisateur haïtien Raoul Peck, sorti en 2004, résonne avec l’actualité au Sahel. Saurons-nous en tirer des leçons ?

 

 

Le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat sur l’avion du président Juvénal Habyarimana, les extrémistes hutu enclenchent une campagne d’extermination des Tustis et des Hutus modérés. En deux mois, entre 800 000 et 1 000 000 de personnes sont tuées à coups de machettes et de gourdins, pour la plupart. C’est le dernier génocide du 20e siècle dans l’indifférence générale du monde.

Quelques jours d’avril raconte cette tragédie du point de vue du capitaine Augustin Moganza (Idris Elba), un Hutu modéré de l’armée loyaliste ;  il vit avec Jeanne (Carole Karemera) et ses deux enfants. Son frère Honoré est l’animateur vedette de la Radio Mille Collines qui appelle à l’extermination des cafards, c’est-à-dire des Tutsi. Après l’assassinat du président Habyarimana, l’armée loyaliste, aidée de miliciens hutu, déclenche un massacre de masse sur tout le territoire. Augustin confie sa famille à son frère pour les exfiltrer. Pris dans la tourmente, traqué par les génocidaires, il ne reverra plus sa famille ni son frère.

Dix ans plus tard, Augustin, qui est devenu instituteur et qui tente de refaire difficilement sa vie de survivant, se rend à Arusha en Tanzanie, où son frère est détenu pour incitation à la haine et au génocide, pour savoir ce qu’il est advenu de sa famille. Raoul Peck raconte cette confrontation entre frères tout en revenant sur la genèse du génocide.

Sans verser dans le pathos, sans voyeurisme, Quelques jours d’avril saisit l’horreur à partir de ce drame intime qui s’inscrit dans une tragédie nationale. Plus que les corps jonchés dans les marais ou dans les camions, c’est le travelling sur les visages des condamnés que le spectateur reçoit tel un uppercut. Dans ce film sombre, on voit aussi les hommes dans ce qu’ils ont de plus beau, comme ces filles du lycée catholique qui préfèrent mourir ensemble que de livrer leurs camarades tutsi. Ou cette femme de génocidaire qui cache des Tutsi dans sa cabane.

Le film démonte la machine de la mort pour exhiber les rouages qui la meuvent. Il commence par la stigmatisation et la diabolisation des Tutsi, les médias comme la Radio Mille collines, qui instillent la haine de l’autre sans être inquiétés, les meurtres ciblés qui sont commis sans que cela heurte les consciences, la complicité des puissances comme la France, l’indifférence et les tergiversations des Etats-Unis d’Amérique, de l’ONU, la loi qui légalise la stigmatisation et, enfin, l’industrie de l’assassinat de masse.

Voyez-vous une ressemblance avec ce qui se passe dans le Sahel ? Le scénario d’un remake d’une telle tragédie pourrait s’écrire et se jouer dans le Sahel si l’on n’y prend garde. Notre drame n’est pas de n’être pas assez entré dans l’histoire mais de ne pas faire entrer notre histoire douloureuse dans la mémoire pour mieux construire le présent et envisager le futur. Le génocide rwandais a eu lieu il y a 26 ans, mais peu de jeunes Africains connaissent ce pan sombre de l’histoire africaine parce qu’elle ne leur a pas été transmise. Ni à l’école ni ailleurs. Du Rwanda, ils connaissent le fabuleux essor, la start-up nation, le miracle économique qui fait leur fierté parce que ce petit pays leur démontre que l’Afrique n’est pas condamnée à demeurer dans le sous-développement. Mais savent-ils qu’il y a seulement un quart de siècle ce pays était tombé dans des ténèbres épaisses par la faute de ses fils ?

C’est pourquoi le devoir de perpétuer la mémoire de ce génocide et de ne tolérer aucun acte qui prépare de grandes tragédies doit être de mise car, comme le disait Bertolt Brecht, « le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde ». Instaurer une journée africaine de commémoration du génocide rwandais serait un premier pas…

 

Saïdou Alcény Barry

 

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