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CORONAVIRUS : « Les Européens ont fait l’erreur à ne pas commettre » (Pr Zékiba Tarnagda, responsable Laboratoire national de Référence-Grippes)

Depuis le 4 avril 2020, Ouagadougou dispose d’un appareil d’analyse des spécimens COVID-19, rendant ainsi fonctionnel le Laboratoire national de référence-grippes (LNR-G) de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) sis à Wemtenga. Son premier responsable, Pr Zékiba Tarnagda, dans cet entretien qu’il nous a accordé le 8 avril, revient sur le processus qui a abouti à l’acquisition de l’appareil et le travail que mènent lui et son équipe au quotidien. Pour l’interviewé, l’erreur n’est pas permise dans son domaine.

 

 

On avait annoncé la mise en place d’une unité d’analyse (avec 3 appareils) à Ouaga. Est-ce que c’est fonctionnel ?

C’est en fait le Laboratoire national de référence-grippes (LNR-G) qui est rendu fonctionnel à Ouagadougou. En effet, depuis plus  de deux ans, le LNR-G est en train de changer de localité pour des raisons techniques. La surveillance de l’influenza (grippe) et des autres pathogènes respiratoires menée par le LNR-G localisé à Bobo-Dioulasso, a rencontré des difficultés. Plus de 30% des prélèvements (spécimens) venant du Burkina Faso, ont eu une culture négative à la recherche du virus influenza quand les spécimens étaient envoyés au CDC Atlanta, centre collaborateur OMS pour l’influenza. Ce qui ne répondait pas à un des objectifs de notre surveillance qui est de fournir des souches du virus influenza à l’OMS pour la mise au point des vaccins contre la grippe dans les hémisphères Nord et Sud de notre planète (pour un vaccin viral, quand il est polyvalent, on fait tout pour avoir des virus de chaque région dans la composition pour qu’il soit efficace partout). L’origine de ces résultats peu satisfaisants était la durée mise pour transporter les spécimens depuis le site de prélèvement jusqu’au LNR-G. Ce temps de transport ne devrait pas excéder 48 heures. Nous rappelons que quatre sites de surveillance sentinelle que sont les hôpitaux des districts de Bogodogo, de Boussé, de Kongoussi et de Houndé sont retenus pour la surveillance des infections respiratoires aiguës sévères (IRAS). Les CSPS de Colsama et de Bolmakoté à Bobo-Dioulasso ont été retenus pour la surveillance sentinelle des syndromes grippaux (SG). Le transport des spécimens était assuré au début par les bus de transport en commun et à partir de 2016-2017 par la SONAPOST, qui utilise aussi des bus de transport en commun. Mais comme les résultats de la culture du virus sont peu satisfaisants, le ministère de la Santé, les acteurs de ce laboratoire de référence, les partenaires techniques et financiers dont l’OMS et le CDC Atlanta ont vu que Ouagadougou étant au centre du Burkina, répondait mieux.  Il fallait donc qu’un laboratoire y soit implanté pour résoudre le problème de la longue durée de transport. Pour ce faire, nous nous sommes activés pour acquérir de nouveaux équipements pour Ouagadougou à travers des projets et conventions. Le matériel a été acquis en 2017 et nous avons équipé le laboratoire de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Ouagadougou qui va désormais abriter le Laboratoire national de référence-grippes (LNR-G). Le laboratoire de Bobo-Dioulasso va rester en place pour effectuer les analyses de l’Ouest du Burkina sur l’influenza, et les autres maladies émergentes dont le COVID-19.

 

Y a-t-il eu des difficultés particulières dans la mise en place de l’unité ?

Oui, les difficultés n’ont pas manqué. Parce que comme je viens de le dire, cela fait deux ans qu’on cherchait à mettre en place le laboratoire à Ouagadougou. Dans un premier temps, le bâtiment qui devait abriter le laboratoire était en pleine construction. Après sa construction, il y a eu des problèmes d’électricité. Aux complications citées plus haut s’ajoutent les difficultés liées aux outils: il fallait installer les appareils, les calibrer et les certifier. Tout cela prend du temps, surtout que certains spécialistes de maintenance sont hors du Burkina. D’autres difficultés pourraient être citées. Voilà pourquoi on en est là. Heureusement, comme on avait deux appareils à Bobo-Dioulasso pour la période transitoire, quand le COVID-19 est apparu au Burkina, ce sont ces appareils qui ont continué à analyser les prélèvements jusqu’à ce que des laboratoires s’ouvrent à Ouagadougou pour prendre la relève.

 

Peut-on dire aujourd’hui que les difficultés sont derrière vous ?

Ce serait être trop prétentieux d’affirmer cela. Mais nous avons franchi un bon pas. Le Laboratoire national de référence-grippes (LNR-G) est ouvert à Ouagadougou et il est fonctionnel. Si aujourd’hui on a les échantillons (prélèvements) on peut faire les analyses. Nous avions promis au chef de l’Etat que le 6 avril le LNR-G allait être fonctionnel. Le 4 avril dernier, un appareil d’analyse des spécimens COVID-19 a été mis en marche, rendant ainsi fonctionnel le LNR-G à l’IRSS à Ouaga. Deux autres appareils (neufs) attendent d’être installés et calibrés pour le renfort.

 

Y avez-vous déjà effectué des tests ?

Avec l’ouverture d’autres laboratoires à Ouagadougou, il a été décidé que  les laboratoires des hôpitaux puissent faire les tests directement à côté des malades pour que le personnel soignant puisse les prendre en charge. Et nous qui sommes au LNR-G, nous allons nous charger du contrôle de ces laboratoires et de la surveillance. Il faut souligner que tous ceux qui ont ouvert les laboratoires ont envoyé auparavant des techniciens chez nous pour qu’on les forme. Parce que nous avons été aussi formés par le centre de référence qui est l’Institut Pasteur de Dakar. Nous avons des normes, des exigences et des spécifications que nous devons respecter en accord avec les recommandations de l’OMS. Il est important de les inculquer à tous les praticiens. Sur notre appareil, les courbes affiches des cas négatifs, des cas positifs et des cas indéterminés. Ici, nous avons juste fait quelques tests pour savoir si l’appareil marche ou pas. Mais à Bobo-Dioulasso, nous avons effectué plus de 1000 tests déjà. C’est une partie de ce personnel de Bobo qui réalisera les analyses au LNR-G à l’IRSS à Ouagadougou.

 

Pr, pouvez-vous nous donner le nombre exact de laboratoires fonctionnels ?

 On a le Laboratoire national de référence-grippes de Ouagadougou, le laboratoire de l’IRSS à Bobo-Dioulasso, celui du CHU-YO, le Centre de recherche biomoléculaire Pietro-Annigoni (CERBA) et le Laboratoire national de santé publique qui s’y affairent. Un technicien du Laboratoire de biologie moléculaire de l’INERA à Kamboinsin a également été formé à Bobo et est prêt pour effectuer des analyses en cas de besoin. Il y a d’autres laboratoires qui nous enverront des techniciens pour la formation. De retour chez eux, s’ils disposent des appareils ils seront capables de faire les analyses.

 

Pouvez-vous expliquer au profane le processus des analyses ?

Les prélèvements sont réalisés sur le terrain et on nous les apporte au labo. Une fois au laboratoire, nous devons extraire les acides nucléiques des prélèvements. On distribue sur une plaque-PCR ce que nous appelons dans notre jargon le mix, qui constitue un ensemble d’éléments pouvant permettre à l’Acide ribonucléique (ANR) du virus de pouvoir se multiplier in vitro. Les échantillons sont ensuite ajoutés dans les différents puits de la plaque PCR. Si l’ARN viral se multiplie (amplification), dans l’appareil nommé Applied Biosystems (Abi 7500 FAST, dans notre cas) on peut apercevoir sa courbe d’amplification sur l’ordinateur relié à l’appareil en temps réel. Cette amplification met au moins 110 minutes dans l’appareil. Les résultats obtenus sont interprétés avant de les remettre au ministère de la Santé. Les cliniciens qui sont à pied d’œuvre pour prendre en charge les malades savent que faire avec chaque cas.

 

Qu’est-ce qui est prélevé exactement ?  Le sang, la salive, les urines ?

Ce sont des écouvillons (NDLR : type de brosse cylindrique à manche, appelé aussi goupillon, pour nettoyer un objet creux) oropharyngés et nasopharyngés. Il faut faire une petite rotation de l’écouvillon une fois qu’on fait le prélèvement pour avoir la chance d’arracher les pathogènes des muqueuses.

 

Pr, en français facile pour que tout le monde vous comprenne

On met la tige qui a à son bout le nylon ou le dacron dans la narine jusqu’à la paroi. Au niveau de la paroi, on fait une petite rotation. On la ressort ensuite on la met dans un tube qui contient un milieu qu’on appelle le milieu de transport du virus. Pour avoir la chance de trouver le virus, on fait un écouvillon au niveau des narines et un autre dans la bouche. C’est ce qui constitue les écouvillons nasopharyngé et oropharyngé. On mélange les deux dans un tube avant de faire l’analyse.

 

Il semble qu’il faut attendre 24 heures pour que les résultats soient disponibles. Pourquoi ?

Personne ne dit qu’il faut attendre 24 heures avant que les résultats ne soient disponibles. Par exemple, si vous faites le prélèvement à 17 heures à Ouagadougou, le laboratoire étant à Bobo-Dioulasso et comme on ne circule pas la nuit, il faut attendre le lendemain matin pour prendre la route.  Si on bouge à 6 heures du matin, on a au moins 6 heures de route pour arriver à Bobo-Dioulasso. Donc, depuis le prélèvement il faut attendre le lendemain vers 13 heures pour que le laboratoire reçoive les échantillons. Sinon, quand le laboratoire a les échantillons, 6 heures ou 7 heures après, on peut donner les résultats quand l’analyse se fait en deux étapes, mais en moins de temps quand c’est une seule étape (tout dépend du type de réactif) utilisé.

 

Y a-t-il une marge d’erreur ?

Dans tout ce que les humains font, il y a parfois des marges d’erreur. Mais quand on se rend compte qu’il y a des erreurs ou des doutes, on reprend le prélèvement. Parce qu’on ne peut pas jouer avec la santé des populations. Si quelqu’un est positif et on le déclare négatif, c’est dangereux, car il va contaminer de nombreuses personnes. Et s’il est négatif et on le déclare positif, on ira l’hospitaliser et il va contracter la maladie là-bas. Donc ici, l’erreur n’est pas permise. Ce qui fait que nous avons l’obligation de reprendre un examen quand nous nous apercevons que le résultat est douteux.

 

Certaines personnes avaient, semble-t-il, été déclarées guéries avant qu’on se ravise sur leurs cas. Scientifiquement, comment explique-t-on cette situation?

Pour les tests qu’on nous envoie, il y a le gène de l’enveloppe du virus qu’on appelle le gène ‘’E’’. Quand vous détecter ce gène, cela veut dire que vous êtes en contact avec le virus. Mais est-ce que le virus est encore actif dans l’organisme ? C’est la véritable question qu’on se pose. Maintenant, il y a aussi un autre gène qu’on appelle RNA dépendant-RNA polymérase, en abrégé RdRP. Il est l’enzyme qui prouve que le virus est en train de réagir. Quand on trouve cette enzyme, cela veut dire que le virus est dans l’organisme et qu’il est en train de se multiplier. Là, il n’y a rien à faire, le virus est présent dans l’organisme et il est actif.

Maintenant, quand on trouve le gène ‘’E’’ chez un sujet et qu’on n’a pas trouvé l’enzyme, il y a des décisions à prendre par le clinicien qui suit l’état physique du malade. La décision finale revient donc au médecin traitant (clinicien).

 

Si on ne se trompe pas, dans cette lutte mondiale contre le coronavirus, c’est la première fois qu’on déclare des individus guéris avant de se raviser. Et cela s’est produit au Burkina Faso. Est-ce un problème de la qualité des hommes ou un problème matériel ?

C’est vous qui m’informez que des personnes avaient été déclarées guéries avant qu’on ne se ravise sur leur cas. Je ne suis pas au courant de cette information. L’OMS donne des recommandations actualisées sur le rendu des résultats du laboratoire et la conduite à tenir pour tous les cas de figure. Il faut rappeler que le COVID-19 est une nouvelle maladie qui n’était pas connue, son évolution peut à tout moment surprendre. Si nous prenons la période d’incubation par exemple, il n’y a pas d’unanimité là-dessus.

 

Vous dites n’être pas au courant, pourtant c’est une information officielle donnée par les autorités en charge de la question !

Vous savez, dans la lutte contre le coronavirus, les informations viennent de partout. Il faut avoir le réflexe d’aller à la source. Il y a deux semaines aujourd’hui, des gens avaient affirmé que l’appareil qui faisait le diagnostic à Bobo-Dioulasso était en panne. Des journalistes sont venus me voir et quand je les ai conduits à l’intérieur, ils ont vu que l’appareil fonctionne à merveille. Donc, ce ne sont pas toutes les rumeurs qui sont bonnes à prendre.

 

Là, il ne s’agit pas de rumeur mais d’une info donnée au point de presse sur le COVID-19

Il faut faire une analyse pour voir qu’il n’y pas de virus et une autre pour voir s’il y a le virus. Notre raisonnement est purement scientifique. Nous n’inventons rien. Quand c’est rouge, c’est rouge ; comme Thomas Sankara l’a dit : un chat est un chat.

 

Dans certains pays, le problème de réactifs se pose. Est-ce qu’on est suffisamment équipé pour faire face à une éventuelle explosion de la maladie ?

Le Burkina Faso n’est pas un pays en dehors des autres pays en développement. Nous subissons le même sort, car les réactifs ne sont pas fabriqués dans notre pays. Ils sont fabriqués ailleurs. Soit nous en achetons soit on nous en donne. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? On gère avec ce qu’on a.

 

Certains spécialistes préconisent les analyses de masse. Est-ce qu’une telle situation est envisageable au Burkina Faso ?

Sur le plan épidémiologique, cela dépend du contexte. Si on se limite à des cas, je pense que le dépistage massif ne sied pas. Pour le VIH-sida par exemple on n’a pas eu recours au dépistage de masse, mais au dépistage volontaire. Les gens le faisaient de façon volontaire. Si on arrive à une situation où il faut faire les analyses de masse, les spécialistes, le ministère de la Santé, les populations aviseront.    Quelle que soit l’efficacité d’un médicament, si vous le donnez à un malade qui ne le prend pas ou qui ne respecte pas les consignes données, on n’atteindra pas le résultat attendu. C’est ce que l’on appelle la compliance du malade. Si on respecte les consignes, si on est discipliné on va vite se débarrasser de cette maladie. Tout cela dépend du comportement des populations. A l’heure du couvre-feu par exemple, certains circulent encore ou discutent au bord de la route en groupes.

 

Est-ce que vous pensez que les mesures nécessaires sont prises pour éviter qu’on atteigne le pic de la pandémie ?

Avant même le cas confirmé au Burkina Faso, tous les jours il y avait des réunions au CORUS, au ministère de la Santé. Une coordination a été montée en quelques temps qui compte en son sein les différentes commissions. Il y a aussi la formation des ressources humaines. Les préleveurs ont été formés par les médecins du LNR-G. En ce qui concerne le laboratoire, des gens ont été formés à Bobo-Dioulasso et sont revenus à Ouagadougou pour commencer les analyses. Ils sont dans les différents laboratoires et font le diagnostic. Donc, c’est quelque chose qui a permis de débuter la prise en charge des cas COVID-19. Nous qui portons actuellement le masque, en janvier personne n’en portait. Il faut que les masques viennent de quelque part. Il y a aussi la quarantaine, le couvre-feu qui sont des mesures prises. Vous voulez qu’on fasse plus que ça? Ce qu’il nous faut maintenant, c’est de la discipline.

 

Compte tenu de la situation actuelle, à partir de quand peut-on dire que le pire est derrière nous ? Pouvez-vous faire des projections ?

Pourquoi vous êtes si pessimistes. J’ai espoir que tout va s’améliorer d’ici là. Au début, les gens ont dit que les Chinois allaient tous mourir. Aujourd’hui, la Chine a rouvert ses grandes villes et elle relance son économie. Ce sont les Européens qui souffrent aujourd’hui. Ils ont été punis par leur acte. Il y a un virus qui circule dans un pays, vous prenez des avions pour aller rapatrier vos ressortissants. C’était l’erreur à ne pas commettre. Certains étaient en contact avec le virus et d’autres en période d’incubation. Ces voyageurs ont ramené le COVID-19 en Europe.  Au Burkina Faso, des gens sont allés en Europe et nous ont ramené le virus. C’est ce qu’on appelle le cas index. La maladie n’est pas venue de la Chine au Burkina. Nous n’avons pas le droit de perdre espoir.

 

Interview réalisée par :

Akodia Ezékiel Ada

Hadepté Da

W. Harold Alex Kaboré

Dernière modification lelundi, 13 avril 2020 20:59

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