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Quarantaine avortée de Burkinabè rentrés de Tunisie : « Si tu restes là-bas même, tu vas tomber malade »

Rapatriés par vol spécial de Tunisie le jeudi 9 avril 2020, une trentaine de Burkinabè n’ont pas respecté la mesure de quarantaine, invoquant les mauvaises conditions de leur lieu d’hébergement. Deux jours plus tard, nous avons rencontré à son domicile, au quartier Dapoya de Ouagadougou, Jean-Bernard Ouédraogo, l’un des passagers du vol. Le fondateur de  «Burkina Clé», qui en a visiblement toujours gros sur le cœur, revient sur leur quarantaine ratée.

 

Après un mois passé au pays d’Habib Bourguiba pour raison de santé, Jean-Bernard Ouédraogo, 73 ans, retrouve en cette matinée le plaisir de ce bon tô fait maison. Un petit déjeuner qu’il partage avec un invité sur la même table. Les autres membres de la famille, dont ses petits-enfants, ne sont pas bien loin et s’approchent du patriarche qui pour débarrasser qui pour lui apporter un cure-dent. Aucun respect donc de la distanciation sociale, personne non plus dans la maison n’a barré son visage d’un masque de protection. Et dire que le patron de « Burkina Clé »  revient d’un pays qui enregistrait à la fin de son séjour plus de 600 cas confirmés de Covid-19. Nous l’interpellons sur le risque de mettre en danger son entourage en faisant fi des gestes barrières et en ne s’étant pas mis en autoconfinement, comme préconisé quand on revient d’un tel voyage. Le septuagénaire botte en touche. «Je suis chez moi. Je sais ce qu’est un problème de santé. Si je ne me sentais pas bien, je n’allais pas venir ici », balaie-t-il.

Le 8 mars dernier, le serrurier s’était rendu en Tunisie en compagnie de son petit frère pour des soins. Le séjour, qui devait initialement durer deux semaines, a été prolongé de fait avec l’expansion de la pandémie et la fermeture des frontières décidée par les différents gouvernements. Bloqués dans leur hôtel à Tunis, les deux frères commençaient à désespérer quand ils ont appris via l’ambassade du Burkina qu’il y avait une opportunité de retour pour ceux qui le désiraient. La compagnie Tunisair, qui devait en effet rapatrier des Tunisiens, eux coincés dans plusieurs pays ouest-africains, offrait des places pour le vol aller. Tous les candidats au départ, nous apprend Jean-Bernard Ouédraogo, devaient non seulement payer leur billet, mais aussi ajouter la somme forfaitaire de 100 000 FCFA sur le prix habituel du pass. « Ce n’est pas normal », fulmine le retraité qui n’a eu d’autre choix que de cracher dans le bassinet.

Le 9 avril au matin, direction l’aéroport, confiné derrière un taxi qui, mesures sanitaires obligent, ne pouvait prendre qu’un client à la fois. Après les formalités d’usage, la prise de température, une vingtaine de Burkinabè, croit-il savoir, ont pris place à bord de l’Airbus A320, le reste des passagers étant pour l’essentiel constitué de Nigériens. Après une escale à Niamey, le moyen-courrier foule le sol ouagalais aux environs de 14h30. Pour les heureux élus, la joie du retour au bercail va laisser la place à la colère d’être abandonnés à leur triste sort. Alors que les premières informations que nous avions reçues indiquaient que le gouverneur de la région du Centre les attendrait au pied de l’oiseau de fer, notre interlocuteur nous assure que les passagers n’ont vu aucune autorité à leur arrivée, en dehors du personnel de l’aéroport, notamment les agents de santé pour la prise de température et la police pour les formalités habituelles.

La suite, Jean-Bernard Ouédraogo nous la raconte avec moult détails. « On nous a mis dans deux cars de la SOTRACO. C’est à ce moment qu’un employé de l’aéroport est venu chercher un diplomate tunisien. Les cars ont bougé, escortés par des motards. Arrivés, à Gounghin, notre bus est rentré à l’INJEPS, l’autre a poursuivi plus loin. J’aurais appris qu’il est allé à Kilwin. A l’INJEPS, on n’a trouvé personne : il n’y avait que le car, le chauffeur, le convoyeur et les passagers. Personne n’était là. Il y avait une dame du service qui a dit qu’elle n’était pas au courant. Ce qui est sûr, elle a indexé un coin comme étant des logements. Le convoyeur a conduit une partie des passagers pour qu’ils visitent le lieu. Arrivés ce n’était pas pour nous. Ils sont revenus m’en informer ; j’ai alors dit que si c’est comme ça, on ne descend pas du car, on va attendre les autorités», narre-t-il. Lui aussi dresse un constat cinglant de leur logis. « Ce sont de petites chambres avec deux lits. A mon âge, je ne vais pas dormir là-bas. L’Hygiène ? Si tu restes là-bas même tu vas tomber malade. Où est-ce qu’on va rentrer pour se soulager ? Où sont les  lavabos ? Moi, je n’entre pas dans des toilettes comme ça ». Sans compter, selon lui, que l’endroit qui était censé être le lieu de leur quarantaine, donc idéalement isolé, grouillait de jeunes venus pour leur sport.

 

Fronde

 

Faisant la grève, les passagers, selon lui, sont restés dans le bus jusqu’aux environs de 16h 30 où quelqu’un dont il ne connaît pas l’identité est arrivé pour prendre langue avec eux. «Il s’est excusé et nous a assurés qu’ils étaient en train de mettre tout en œuvre pour nous recevoir. Pendant ce temps, il ne cessait d’appeler au téléphone. A un moment, j’ai dit que je devais recevoir une injection. On nous avait donné à l’aéroport le numéro d’un médecin qui devait s’occuper de nous, mais quand on l’appelait, il ne décrochait pas. Il a dit qu’il allait s’en occuper ». D’autres responsables sont arrivés sur place dont le médecin, sans pour autant mettre fin à leur calvaire ; ils se confondaient juste en excuses. L’heure du couvre-feu approchant à grands pas, le septuagénaire affirme avoir menacé de partir pour pouvoir effectuer son injection. Une menace qu’il a fini par mettre à exécution : « Je leur ai dit : prenez mon adresse, mon nom ; moi, je pars pour la piqûre. Les autres m’ont suivi ». Le toubib, selon lui, avait tenté de retenir certains en demandant aux passagers de se scinder en deux groupes : ceux qui se sentaient malades et ceux qui pensent être bien portants. « Qui va dire qu’il est malade ? » persifle le vieil homme.

Le lendemain matin, il raconte avoir été contacté par l’équipe médicale en charge de la lutte contre la pandémie. «Ils sont passés à la maison. Ils m’ont demandé si j’avais pris ma température. J’ai répondu non parce que moi c’est ma tension qui m’intéresse». A l’en croire, les médecins n’ont pas évoqué une possible remise  en quarantaine après la tentative avortée. «Ils m’ont conseillé sur les bonnes pratiques à avoir et ils ont dit qu’ils vont me suivre», indique Jean-Bernard Ouédraogo. Des conseils comme le port du masque que le septuagénaire n’applique pas forcément comme nous avons pu le constater, au moins il assure qu’il sera confiné entre les quatre murs de sa cour : « Je suis à la retraite, je dors, je mange, je ne quitte pas de toutes les façons mon domicile».

Au cours du point de presse hebdomadaire sur l’évolution du Covid-19,  vendredi  dernier, le coordonnateur de la riposte, le Pr Martial Ouédraogo, a été interrogé par un de nos confrères sur le sort des passagers du Vol TU397 de Tunisair. Il a refusé de qualifier ce qui s’est passé à l’Institut  des sciences du sport et du développement humain (ISSDH) ex-INJEPS d’«incident». Pour lui, lorsqu’il y a un vol de rapatriement, il y a deux possibilités : une quarantaine de groupe ou un isolement individuel.

«Malheureusement, nous n’avons pas pu faire la quarantaine de groupe. Cela a été rattrapé avec la quarantaine individuelle, a-t-il expliqué.

 

 

Hugues Richard Sama

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