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Littérature: La création au temps du corona

Créer est un acte paradoxal, car il s’agit d’écrire une œuvre qui parle au monde mais dont la réalisation exige de l’auteur qu’il se retire du monde. Car on crée loin des bruits et fureurs du monde. Aussi pense-t-on que le confinement est une opportunité offerte aux créateurs pour plus de productions. Qu’en est-il réellement ?

 

 

Il est largement admis que l’écriture exige de la solitude, du silence, du vide autour de soi, d’être dans une bulle, dans une tour d’ivoire. C’est pourquoi d’ailleurs, on admire les écrivains qui appartiennent à des cultures dans lesquelles l’isolement est difficile, voire impossible, tant la communauté est présente. De sorte qu’écrire en Afrique est, comme beaucoup d’écrivains du continent, perçu par la société comme un acte de dissidence, la volonté de marginalisation d’un membre. On a pensé que le Covid-19, en suscitant des mesures de confinement des individus, de mise en quarantaine des villes, pourrait être un accélérateur de particules de la création pour ces hommes et femmes dont le travail demande le silence, la solitude, le vide.   

Cette retraite du monde que l’écrivain peine à obtenir de la société et qu’il doit arracher à la communauté au prix de grands efforts, la pandémie la lui offre sur un plateau, sans qu’il l’ait expressément demandé. Reste à savoir comment les écrivains burkinabè créent sous le Covid-19. Quatre écrivains burkinabè ont bien voulu évoquer leur situation en ce moment.

La poétesse et dramaturge Sophie Heidi Kam, auteure, entre autres, de Pour un Asile, Et le Soleil sourira à la mer, constate que le confinement ne lui a permis de démarrer une nouvelle œuvre, car tout le monde est à la maison et les enfants, dont les écoles sont fermées, instaurent une récréation permanente de sorte que la bulle de silence éclate à chaque cri de bambin… Aussi profite-t-elle de cette période pour lire et corriger les tapuscrits que lui envoient des maisons d’édition ou de jeunes auteurs ; en attendant la fin du Covid-19 pour s’installer dans une résidence, écrire et rattraper les jours perdus.

Quant à la romancière Monique Ilboudo, auteure des romans Le Mal de peau et Aussi loin de ma vie, elle avait une œuvre de fiction en cours et espérait avancer à grands pas dans cette création en cette période de retraite forcée. « Au début, j’ai vraiment pu faire avancer le texte », dit-elle. Mais avec le temps qui (ne) passe, la fièvre créatrice est retombée. Pour l’auteure, bien qu’elle ait besoin de la solitude pour créer, elle a aussi envie de voir l’extérieur, d’avoir des interactions sociales, de voir des scènes de vie, tout cela nourrit l’œuvre en devenir. Enseignante de droit à l’université Joseph Ki-Zerbo, elle profite du confinement pour préparer ses cours, lire les travaux de ses étudiants, d’un côté, et de l’autre, elle poursuit à petits pas l’œuvre en cours en l’enrichissant de quelques mots chaque jour. Quatre ou cinq phrases à la journée comme Albert Cossery, l’auteur de Mendiants et Orgueilleux.

L’écrivain Yacouba Traoré aussi éprouve la même difficulté d’écrire. Ce journaliste-télé est entré en littérature avec Gassé Gallo, les chroniques les plus savoureuses de nos lettres nationales sur l’histoire nationale. Sa dernière et cinquième publication est une biographie consacrée à la journaliste, membre fondatrice du Fespaco, Alimata Salembéré Ouédraogo. Cet auteur prolifique confie : « Je n’arrive pas à écrire. J’arrive à écrire quand je sens le vide autour de moi. Or, ces temps-ci, tout est peuplé de Covid-19. » Alors, il lit. Enormément. « Pour se soustraire à la dictature de cette pandémie ». Des textes sur les astres. « Je voyage. De planète en planète. De galaxie en galaxie. Je m’intéresse particulièrement à la planète neuf ». Il est possible que de cet intérêt pour l’astronomie et particulièrement pour la planète neuf, dont l’existence relève de l’hypothèse, l’auteur nous revienne avec une belle fiction cosmique quand la pandémie aura quitté la planète bleue.

L’écrivain et critique de cinéma Sid-Lamine Salouka avoue ne plus écrire en cette période. Auteur d’un recueil de nouvelles du Kuntaara, salué par la critique, il a plusieurs fictions en chantier dont un roman policier. Mais pour le moment, il est revenu à ses anciennes amours : le cinéma. En ce moment, il lit un scénario  en  qualité de script doctor.

Ailleurs aussi, des écrivains comme la Canadienne Nancy Huston, l’Américain John Grishman ou le Français Michel Bussi ressentent la difficulté d’écrire dans le confinement. L’appel du dehors, le besoin de se tenir informé sur le Covid-19 empêchent tout repli sur soi. Cette « paralysie scripturaire », selon l’expression de Nancy Huston, serait liée à la constitution de notre cerveau. En effet, Paolo Legranzi, professeur de psychologie à l’Université de Venise, explique que le cerveau est conçu pour faire face à une chose à la fois. Aussi, lorsqu’il affronte une menace, il éteint toutes les autres actions. Dont la création.

Le secteur de la création, comme tous les autres, connaît un ralentissement dans la pandémie. Le Covid-19 ne sera donc pas un printemps des poètes. Pourrait-il en aller autrement du moment que créer est un acte de liberté ? La solitude de l’écrivain est un choix et non une contrainte imposée par les pouvoirs publics. Mais la créativité reprendra ses droits dès que le monde redeviendra ordinaire et il est certain que de nombreuses fictions porteront sur cette pandémie qui a mis l’inspiration des créateurs en berne.

 

Saidou Alcény Barry

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