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Procès Ignace Sossou : L’éclipse d’un phare démocratique

Ce fut procès qui tombait vraiment mal, si tant est qu’il en existe d’opportun.

 

Quarante-huit heures après la journée internationale de la liberté de la presse célébrée dimanche dernier, le jugement en appel du journaliste béninois Ignace Sossou, initialement prévu pour le 28 avril, s’est tenu hier mardi 5 mai 2020 à Cotonou.

A l’issue des joutes judiciaires, le parquet a requis douze mois de prison contre l’incriminé. Un petit rabais pénal de six mois, si l’on peut le dire ainsi, puisqu’en décembre 2019 le journaliste avait écopé de dix-huit mois assortis d’une amende de cinq cent mille francs CFA pour «cyber-harcèlement» du procureur de la République Mario Métonou.

Les malheurs d’Ignace commencent en mi-décembre 2019 à la suite d’un atelier organisé par CFI, l’Agence française de développement des médias, sur fact-checking en période électorale.

Parmi les intervenants à cette rencontre, le procureur en question dont une partie des propos a été relayée par notre confrère via sa page Facebook et son compte Twitter. « Le Code numérique béninois, c’est comme une arme qui est braquée sur la tempe de chaque journaliste », avait en effet écrit le journaliste. Mais pour le plaignant, sa déclaration a été sortie de son contexte.

On peut raisonnablement pensé que le juge s’est rendu compte, a posteriori, qu’il a commis une faute de goût et par conséquent risquait de se faire taper sur les doigts.

Le plus grave dans tout cela, c’est que le scribouillard a d’abord été enfoncé par CFI alors qu’on se serait légitimement attendu au contraire.

En effet, dans une correspondance au vitriol adressée au garde des Sceaux, l’organisation avait déjà littéralement crucifié Ignace Sossou qu’elle a qualifié de « peu scrupuleux» et l’a accusé d’avoir «tenté de faire un buzz aux dépens de M. le Procureur».

Autant dire que CFI l’avait livré pieds, poings et plume liés à ses bourreaux. Et même si, par la suite, l’Agence s’était rétractée, le mal était déjà fait, et l’accusation ne pouvait espérer meilleure pièce à conviction, qu’elle a brandie lors du procès.

Mais quoi qu’il en soit, le dossier ternit l’image du pays.

 «Monsieur le président, je vous en supplie, redorez le blason du Bénin, et acquittez Ignace Sossou», n’a d’ailleurs pas manqué de lancer Me Robert Dossou, avocat de la défense.

Il faut dire que l’on ne reconnaît plus le Bénin. Cette affaire se serait passée dans ces « démocratures » qui continuent d’exister en Afrique que cela n’étonnerait pas grand-monde.

Mais pas ici.

Pas dans ce qui était considéré comme le « Quartier latin » de l’Afrique.

Pas dans ce qui a été qualifié de laboratoire de la démocratie en Afrique, qui fut le premier à organiser une conférence nationale souveraine et s’était même payé le luxe de renvoyer le général Mathieu Kérékou à ses chères et nostalgiques études marxistes.

Pas dans ce pays qui a connu à plusieurs reprises l’alternance politique pacifique au sommet de l’Etat.

Pas dans l’ancien Dahomey où le respect des libertés de la presse et d’expression était élevé au rang de dogme.

En vérité, depuis un certain temps, le phare démocratique a commencé à émettre de la lumière blafarde, notamment avec l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir ; lui qu’on accuse d’avoir instrumentalisé la justice pour mettre hors circuit Sébastien Adjavon, sans lequel pourtant il n’aurait peut-être pas accédé au palais de la Marina.

Tout récemment, l’Etat béninois a retiré sa déclaration au protocole instituant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). Par voie de conséquence, aucun de ses citoyens ne peut encore saisir cette institution supranationale en cas de violation  de ses droits.

Et que dire des législatives houleuses d’avril 2019 auxquelles plusieurs partis politiques de l’opposition n’ont pas participé ?

Assurément, le Bénin n’est plus le même.

Ce n’est donc pas étonnant que, dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse, il dégringole à la 113e place, lui qui occupait le 96e rang en 2019.

La liberté de la presse étant la mère de toutes les libertés, il y a de quoi s’inquiéter des mauvais signaux que renvoie l’un de nos illustres phares démocratiques.  

 

 

Alain Saint Robespierre

Dernière modification lejeudi, 07 mai 2020 19:43

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