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Vente de masques et gels dans les pharmacies : «Le ministère du Commerce a fixé unilatéralement les prix» (Dr Nediée Nao, PCR de l’Ordre des pharmaciens du Centre)

Dur, dur de se procurer un masque ou du gel hydro-alcoolique en pharmacie depuis un certain temps dans notre pays. Ces produits de protection contre le coronavirus restent quasi introuvables dans les officines. Pourquoi une telle rupture ? Est-ce du fait de la surconsommation ou y a-t-il d’autres raisons inavouées ? Réponses avec le président du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens du Centre, Dr Nédiée Nao. Dans une interview qu’il nous a accordée le lundi 4 mai 2020 à Ouagadougou, il aborde aussi d’autres aspects importants de la profession.

  Pour de nombreuses personnes, le pharmacien c'est celui qui vend des médicaments. Quelle est la formation exacte d’un  pharmacien ?

 

Pour être pharmacien, il faut avoir un Baccalauréat série D ou C avec au moins une moyenne de 12/20. Les études sont sanctionnées par un diplôme d’Etat de docteur en pharmacie.

A partir de la 4è année de formation, il y a 3 branches au choix. Il s’agit de l’officine, de la biologie et enfin de l’industrie. A la fin des études, les pharmaciens peuvent travailler à la fonction publique (au ministère de la Santé dans des postes administratifs et/ou techniques) ou dans le secteur privé.

Au niveau périphérique du ministère de la Santé, le pharmacien peut être affecté dans un district sanitaire où il est chargé de l’approvisionnement pharmaceutique des formations sanitaires, de la médecine et de la pharmacopée traditionnelle ou du laboratoire.

 Au niveau intermédiaire du système de santé, le pharmacien peut être affecté au niveau de la direction régionale de la santé où il est chargé de coordonner et de mettre en œuvre la politique pharmaceutique  des Centres hospitaliers régionaux (CHR) comme pharmacien responsable de la pharmacie ou du laboratoire de biologie médicale.

Enfin, au niveau central, le pharmacien peut être affecté dans les hôpitaux (laboratoires, pharmacies, les services cliniques…) ; les directions centrales ; la gestion des programmes et projets du ministère de la Santé.

Dans les secteurs de la recherche et de l’enseignement, des pharmaciens y travaillent également.

Dans le secteur privé le pharmacien travaille dans les structures grossistes répartitrices, dans les officines, les cliniques et polycliniques…

 

Le pharmacien fabrique-t-il le médicament ?

 

Oui, l'art du pharmacien c'est de fabriquer le médicament. On nous l'apprend lors de la formation dès les premiers moments.

 

Nous sommes en temps de covid 19. Mais selon les spécialistes, la courbe épidémiologique est en train d’être renversée. De nombreuses mesures de prévention ont ainsi été levées. Comment appréciez-vous cette situation ?

 

Si on considère les chiffres depuis le début de l’épidémiele 9 mars, selon les épidémiologistes, nous avons atteint un pic et nous sommes en train de redescendre. C'est très bien et c’est le souhait de tous mais je trouve que nous avons baissé la garde très tôt. Nous avons ouvert les marchés, les mosquées ; les transports et bientôt toutes les églises. C'est comme si on est à la fin de l’épidémie. Pourtant, il y a toujours des cas. Et nous ne savons pas si le nombre de tests réalisés par rapport à la population est assez suffisant et significatif pour une meilleure appréciation de l’évolution de la pandémie. Mais ce qui est sûr, il ne faut pas relâcher les mesures de prévention, il faudra continuer à mettre l’accent sur les mesures barrières pour éviter une éventuelle recrudescence.

 

En ces temps de la covid 19 on constate également un manque de certains produits comme les masques et les gels hydro-alcooliques dans les pharmacies. Pourquoi une telle rupture ?

 

Il faut repartir au début de la pandémie le 9 mars 2020 pour comprendre. Avant la covid 19, dans les officines, on avait des gels et des masques, à moindre coût car seule une partie de la population les utilisait. Par exemple, les masques étaient surtout demandés en milieu hospitalier. Mais avec l'annonce des premiers cas, toute la population a commencé à utiliser ces produits.  S'en est suivie une flambée. Nos officines ont été vidées en l'espace d'une matinée de gels et de masques. Mais ce que les gens n'ont pas compris et qu'il est important de préciser, c’est que nous pharmaciens, n'importons pas de gels ni de masques. Il y a des grossistes chez lesquels nous prenons ces produits. Et ces grossistes commandaient en fonction de la demande. Personne n’était préparée à une telle crise sanitaire. C'est pourquoi en quelques jours, nos grossistes classiques n’avaient plus de masques ni de gels. Pourtant la demande était pressante, les gens ont commencé à importer les masques et les gels de toute part et à  fixer leur prix. Mais pour un produit dont le prix a été multiplié par 10 chez les grossistes, ça donne à réfléchir.

Certaines pharmacies ont pris le risque de commander car il y avait la demande mais d’autres se sont abstenues. Les officines qui voulaient rendre service aux populations n'ont pas été comprises. On les a accusées de multiplier les prix pour s’enrichir pourtant il n’en était rien. 

Avec la surenchère, les pharmaciens ont commencé à préparer leurs propres solutions hydro-alcooliques soit pour vendre soit pour leur propre consommation. C’est ainsi que le laboratoire Gamet, que je salue en passant, s’est lancé dans la production de solutions hydro-alcooliques pour pallier la situation de pénurie. C'est dans cette période que le ministère du Commerce a décidé de façon unilatérale, sans concertation avec les différents acteurs, de fixer les prix de vente au détail par arrêté ministériel, sans fixer les prix chez les grossistes. Dès le lendemain (de la prise du décret : ndlr) ils ont commencé à faire des contrôles dans les officines. Si vous ne pouvez pas disponibiliser les produits et les céder aux prix fixés par l’arrêté, il vaut mieux s’abstenir. Ce qui est déplorable lors des contrôles, même les commandes effectuées avant la signature de l’arrêté devraient être vendues aux prix indiqués, à perte sans autres formes de procès. Je crois que c’est peut-être ce qui explique la rareté de ces produits dans les officines pharmaceutiques.

 

Mais on a appris qu'en plafonnant les prix, le ministère a pris le soin de lever les taxes sur les produits entrant dans le cadre de la lutte contre la covid 19. Malgré cet allègement, vous couriez toujours à la perte ?

 

Le ministère vous a dit qu’il a allégé les taxes, mais dites-nous, où fabrique-t-on des gels et des masques au Burkina ? L’arrêté devrait préciser les prix de vente en gros et les prix au public.  Ça ne sert à rien de prendre des décisions difficilement applicables alors que sur le terrain la réalité est toute autre. La conséquence aujourd’hui c’est que les solutions hydro alcooliques, gels et masques se vendent maintenant aux abords des voies, sous le soleil et ça ne dérange personne. Et beaucoup ne savent pas que quand on dépose de la solution hydro-alcoolique au soleil toute une journée, l’alcool va s’évaporer et il ne va rester que de l’eau. Ceci pose un véritable problème de santé publique et je pense qu’il faut y remédier dans les meilleurs délais pour le bien de nos populations.

 

Il y a aussi une rupture de médicaments comme la chloroquine et l’azithromycine…

 

Oui, ces deux molécules entraient dans les protocoles de prise en charge de la covid 19. L’Azithromycine, est un antibiotique qui, avant la covid 19, était utilisé pour traiter certaines infections des voies respiratoires, comme les angines. La Chloroquine, quant à elle, était utilisée dans le traitement du paludisme simple mais a été retirée des rayons depuis 2006, C’est l’hydroxychloroquine que nous avions dans nos officines. Cette molécule est utilisée pour le traitement de certaines pathologies dermatologiques, rhumatologiques  et même en médecine interne. Ces médicaments étaient commandés, en fonction des besoins, en petite quantité. Mais avec l’avènement de la covid 19 et à la lumière de ce qui se disait, tout le monde s’est mis à rechercher ces médicaments pour, soit se traiter, soit faire de la prévention. Chose qui n’est pas normale.  Et comme il n’y en avait pas suffisamment, le ministère de la Santé a alors pris une note circulaire pour mettre ces produits en quarantaine afin de mieux contrôler leur utilisation pour ceux qui en avaient réellement besoin. D’où la rupture. C’est vrai que certains malades non covid 19 ont été privés de leur traitement, et c’est déplorable. Je crois que les choses sont rentrées maintenant dans l’ordre. Les malades qui utilisaient ces médicaments peuvent continuer à  en bénéficier pour leur traitement sur présentation d’ordonnances établies par les spécialistes.

 

L’Etat avait décidé de la fermeture de l’officine d’un de vos confrères, la Pharmacie du Sud, pour ne pas la nommer. Quelles sont les raisons avancées et où en est-on ?

 

L’argument que le gouvernement a avancé, c’est que la pharmacie s’était approvisionnée en tests de diagnostic rapide de la covid 19  pour les revendre à la population. Pourtant ces tests ne sont pas homologués. En plus, les tests auraient été commandés sans autorisation spéciale. L’Ordre des pharmaciens, en son temps, a approché le ministère pour comprendre et demander à ce que l’officine soit ouverte tout en poursuivant la procédure, s’il y en avait une en cours, afin qu’on ne prive pas la population de médicaments, d’autant plus que les pharmacies étaient beaucoup sollicitées. Le lendemain, le problème a été réglé.

 

Avec la fermeture des frontières, avez-vous un approvisionnement régulier en médicaments?

 

Pour le moment, nous n’avons pas de gros soucis d’approvisionnement. Les grossistes pharmaceutiques passent par les centrales d’achat à l’extérieur pour leurs commandes. Celles-ci traitent les commandes et les envoient par voie maritime et aérienne en fonction de l’urgence et du type de médicaments.  Présentement nous ne sentons pas trop les ruptures parce que les frets continuent. C’est peut-être dans 6 mois que nous pourrons avoir des ruptures car certains laboratoires pharmaceutiques, à un certain moment, ont fermé à cause de la pandémie. Ces temps de fermeture peuvent avoir une incidence sur l’approvisionnement de nos pays par la suite. A ce niveau également, si on anticipe, en diversifiant les sources d’approvisionnement, on pourra minimiser le manque de médicaments.

 

Qu’est qui explique l’absence d’une firme pharmaceutique au Burkina ?

 

Je pense que c’est l’absence d’une volonté politique et d’une vision du secteur pharmaceutique. Notre système de santé ne pourra être performant tant que nous n’allons pas commencer à produire localement le minimum de médicaments dont nous avons besoin.  Jusqu’à la fin des années 1997-98 et 99, il y avait MEDIPHA qui fabriquait des solutés, U-pharma qui fabriquait de la chloroquine et du paracétamol. Sans savoir pourquoi, ces structures ont été fermées et depuis ce temps, plus rien. Des initiatives existent mais jusqu’à présent rien de concret. Vous avez suivi comme moi, c’est avec la pandémie de la covid19 qu’on a voulu «réveiller» U-pharma pour produire de la chloroquine pour prendre en charge les malades. L’industrie pharmaceutique coûte très cher. Ailleurs, ce sont les Etats qui se mettent au premier plan pour faciliter certaines démarches aux investisseurs. Alors tant que nos autorités ne se mettront pas devant, tant qu’elles ne faciliteront pas l’accès à l’industrie pharmaceutique, nous n’aurons pas d’industrie pharmaceutique ici. Pourtant on est en train de former des pharmaciens, où est ce qu’ils vont travailler ? Vivement que le programme présidentiel d’un pharmapool prenne forme.

 

Quel a été le degré d’implication de l’Ordre des pharmaciens dans la gestion de la crise sanitaire ?

 

Nous avons pris les devants dès le début de la crise. Vous savez, les pharmacies constituent le premier  recours de la population en cas de problème de santé. Paniqués, les gens se référaient à nos officines. Nous avons même mis en place une cellule covid 19 pour réfléchir et donner des orientations et des directives aux pharmaciens au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie et ce en fonction des directives du ministère de la Santé. Nous avons élaboré des posters pour la sensibilisation de la population, réalisé des spots de sensibilisation audio et vidéo en français, dioula, mooré et fulfuldé. Nous avons demandé aux pharmaciens d’officine de mettre en place des mesures barrières afin de protéger la population et nos équipes officinales. Au niveau du ministère de la Santé, lorsque nous avons des propositions pour améliorer la gestion de la pandémie, nous lui en faisons part.

 

Des tradipraticiens ont proposé des produits pour prévenir ou traiter la covid 19. Quel est votre avis de scientifique ?

 

C’est une bonne initiative. Aujourd’hui  la médecine et la pharmacopée traditionnelle font partie  intégrante de l’offre de soins thérapeutiques dans notre pays. Seulement, sur le plan scientifique, les procédures de reconnaissance des vertus thérapeutiques d’un produit à traiter sont longues et nécessitent une démarche scientifique bien connue. Il y a la phase de recherche exploratoire, les études précliniques avec les différents tests de toxicité, la recherche clinique, etc.  Cette démarche peut prendre facilement 5 ans. Pourtant, avec la pandémie, on est dans l’urgence. C’est donc  une question de responsabilité. Nous ne pouvons pas dire aux populations de ne pas utiliser ces médicaments traditionnels mais nous les invitons à faire attention, car on ne connaît pas toujours la composition de ces produits.

 

Les populations se plaignent d’une disparité, parfois abyssale, des prix dans nos pharmacies ? Comment  cela se justifie-t-il?

 

La question du prix des médicaments ne relève pas de l’ordre des pharmaciens. C’est plutôt au syndicat des pharmaciens et dans une moindre mesure, au ministère de la Santé, à travers l’Agence nationale de régulation pharmaceutique qu’il faut poser la question. Il faut reconnaître néanmoins qu’en dehors de certains médicaments, notamment les génériques dont les prix sont encadrés, les prix des autres médicaments sont libres. Mais je peux essayer de donner certains facteurs qui peuvent expliquer ces écarts de prix constatés des fois dans les officines pharmaceutiques. Il y a une vingtaine de structures grossistes au Burkina dont quatre grandes. Les officines s’approvisionnent auprès de ces structures. Il peut arriver que les prix de cession diffèrent déjà d’un grossiste à un autre d’où les prix publics vont aussi être différents. Dans tous les cas, les factures viennent avec des prix indicatifs. Entre les grossistes, le prix peut être différent. En plus, pour un même produit, la tarification douanière peut le considérer comme un médicament chez un grossiste, et chez l’autre comme tout autre produit. Cela veut dire que là où on trouve que ce n’est pas un médicament, on lui applique 18% de TVA. Le prix va donc différer d’une officine à une autre en fonction de la source d’approvisionnement.

Parfois pour les produits d’un même laboratoire, les prix différent d’un grossiste à l’autre. Donc les prix publics aussi vont être différents.

D’un arrivage à un autre, les prix peuvent également changer. Un autre élément, c’est qu’en cas de rupture, certains pharmaciens font des commandes express en Europe. Ce qui implique le payement de nombreuses taxes. Le produit devient alors plus cher. Si jamais le produit rentre en stock chez les grossistes quelque temps après ils ne peuvent pas les vendre au même prix.

Il faut que les clients nous fassent un peu confiance et demandent des explications aux pharmaciens au lieu d’aller sur les réseaux sociaux ou à la radio dire des propos blessants à l’endroit des pharmaciens.

 

On dit que quand un pharmacien meurt sans avoir un héritier qui a fait des études pharmaceutiques pour prendre la relève, la pharmacie doit être fermée. Est-ce vrai ?

 

Ce n’est pas totalement exact, l’officine peut ne pas être forcément fermée mais elle peut être cédée à un autre pharmacien. Il y a des dispositions dans notre code de santé publique qui encadrent  tout cela. Il faut rappeler que l’exercice de la profession de pharmacien est personnel, ce n’est pas une entreprise familiale, c’est le diplôme du pharmacien qui maintient l’officine ouverte. C’est pour ça que nous disons que nous ne sommes pas des commerçants. Nous exerçons une activité commerciale. L’article 169 du code de santé publique stipule qu’une officine ne peut rester ouverte en l’absence de son titulaire que si celui-ci s’est fait régulièrement remplacer.

Le même article dit qu’après le décès d’un pharmacien, le délai pendant lequel le conjoint survivant ou ses héritiers peuvent maintenir une officine ouverte en la faisant gérer par un autre pharmacien ne peut excéder un an. Mais toutefois un arrêté du ministre chargé de la Santé, après avis de l’inspecteur des services de pharmacie et de l’ordre des pharmaciens peut porter ce délai :

1- à deux (2) ans, lorsque le pharmacien décédé laisse des héritiers mineurs ;

2- à six (6) ans, lorsqu’au moment du décès, le conjoint dudit pharmacien ou l’un de ses parents en ligne directe ou de ses héritiers ou le conjoint de l’un de ceux-ci se trouve en cours d’études dans une Faculté de Pharmacie.

En dehors de ces cas, l’officine doit être cédée à un autre pharmacien selon des conditions bien définies par le ministère de la Santé. Dans le cas contraire, l’officine est fermée. Toutes les conditions de remplacement sont définies dans le code de santé publique et notre code de déontologie.

 

Alima Séogo Koanda

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