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Génocidaires rwandais : Un gros requin pris sur les bords de la Seine

 

Félicien Kabuga, vous connaissez ? C’est l’un des plus grands génocidaires rwandais qui étaient encore en fuite jusqu’ à ce 16 mai. Prospère homme d’affaires  dans son pays au moment des faits, le massacre de 800 000 à 1 million de Tutsi en avril, mai, juin 1994, il est présumé avoir été le bras armé des Interahamwe, ces milices hutus qui ont exécuté le génocide au Rwanda il y a 26 ans.

 

 

 

 

Recherché par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), puis par le  Mécanisme international du Tribunal pénal international de la Haye (MTPI), l’homme était en cavale depuis 23 ans. Signalé tantôt en Afrique centrale, tantôt en Afrique du Sud ou en Belgique, comme un poisson dans l’eau, il passait entre les mailles du filet d’Interpol. C’est finalement en France qu’il a été arrêté tôt le matin du samedi 16 mai en Asnières-sur Seine, département des  Hauts-de-Seine.

 

 

Pour un gros poisson, c’en est vraiment un dans la nasse du MTPI qui continue la traque des génocidaires rwandais, lesquels, en véritables prédateurs des Tutsis, ont planifié, financé et exécuté leur massacre. Rarement pogrom n’aura été aussi intense que celui de 1994 au Rwanda avec près 10 000 meurtres par jour et pendant environ 100 jours. Dans cette folie à passer du tutsi par le tranchant des machettes et les crépitements des armes à feu, Félicien Kabuga ne faisait pas seulement office d’argentier, il jouait aussi au stratège. En effet, il présidait un prétendu Fonds de défense national par le biais duquel il collectait le nerf de la guerre, ici la dîme ethnique hutu, et  dirigeait aussi le comité d’initiatives de la tristement célèbre Radio Mille Collines d’où partait l’essentiel des messages à l’endroit des miliciens interahamwe, les exécuteurs des basses besognes de l’Akazu, le premier cercle du pouvoir en place à Kigali à cette époque.

 

 

Rien d’étonnant que Félicien Kabuga fût le génocidaire rwandais le plus recherché. De fait, pas  moins de 7 chefs d’accusation pour génocide et crime contre l’humanité pèsent sur ses épaules avachies par l’âge : il a aujourd’hui 84 ans. Un vieillard dont la santé peut être sujette à caution. C’est pourquoi, malgré la joie légitime des victimes de ce génocide et celle des activistes de la lutte contre l’impunité, on se demande si Félicien Kabuga aura assez de forces physiques pour endurer les rigueurs d’un procès où qu’il soit : à la Haye, à Arusha ou à Kigali. Que dire des rudesses de la prison s’il venait à y être condamné ?

 

 

 En attendant, ce sont les militants de l’association des victimes du génocide rwandais, « Ibuka – Mémoire et justice », qui boivent du petit lait, à commencer par le président de sa section française, Pierre Nsanzimana. « C’est une grande nouvelle », a-t-il dit non sans rappeler que d’autres génocidaires courent toujours dont certains sur le territoire français. En cela il fait écho à la déclaration du procureur général de Kigali qui, lors de la célébration du 25e anniversaire de ces massacres l’année dernière, avait indiqué que 39 génocidaires étaient toujours réfugiés en France,  37 en Belgique, 18 aux Pays-Bas, 5 dans chacun des pays suivants : Royaume-Uni, Norvège, Suède ,  Allemagne et ce n’est pas tout. C’est dire que, pour un génocidaire arrêté, soit-il un gros requin, ils sont encore plus d’une centaine à passer entre les mailles du filet d’Interpol. Et pas que des alevins : à ce propos, on cite volontiers Agathe Ganziga, la veuve du président Habyarimana, Augustin Bizimana, l’ex-ministre de la Défense, ou encore Protais Mpiranya, l’ex-commandant de la garde présidentielle, tous d’anciens extrémistes hutus.

 

 

 Certes ils ont beau multiplier les déguisements, les changements d’identité, de pays ou de lieux de résidence, il n’y a pas que ces subterfuges qui leur garantissent l’impunité depuis 26 ans : certains génocidaires rwandais bénéficient de complicités actives ou passives pour échapper à la justice. Une complicité des Etats, d’institutions ou d’individus qui, soit ne sont pas en odeur de sainteté avec le pouvoir actuel de Kigali, soit ne croient pas à la culpabilité de leurs protégés.

 

 

La France pour sa part tente désespérément depuis 26 ans de recoller les morceaux d’une relation  bilatérale avec le Rwanda fissurée par les erreurs du président Mitterrand et les ressentiments du président Kagamé à l’égard de l’Hexagone. Ainsi Nicolas Sarkozy sera le premier président français à effectuer une visite officielle au Rwanda en 2010 depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Kagamé ; Emmanuel Macron, quant à lui,  après avoir parrainé l’élection de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Kagamé à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie, avait reçu des représentants de l’association des victimes  du génocide à l’Elysée à l’occasion du 25e anniversaire de sa commémoration. Il avait décidé à cette occasion que la France marquerait désormais la date du 7 avril comme  journée du souvenir de cet « holocauste ». Cette année, l’Elysée a salué, le 7 avril dernier, la mémoire des victimes du génocide tout en réitérant son engagement à faire en sorte qu’il prenne toute sa place dans la mémoire collective par l’éducation et la lutte contre l’impunité.

 

 

Lutte contre l’impunité, le mot est lâché, et il ne fait pas de doute que Félicien Kabuga, même s’il n’est pas blanc comme neige, est sacrifié sur l’autel de l’assainissement des relations franco-rwandaises. Ces gestes de bonne volonté de Paris peuvent amadouer Kigali sans suffire à lui faire oublier le rôle ambigu de l’opération turquoise au plus fort des massacres en 1994.

 

A ce propos, le Rwanda demande des excuses publiques à la France qui tardent à les faire. Mais qui sait, peut-être bien qu’à la remise du rapport du comité d’historiens mis en place l’année dernière sur instigation du président Macron pour faire la lumière sur le rôle que l’Hexagone a joué pendant la guerre civile rwandaise, Paris lâchera un mea culpa historique.

 

En attendant, c’est un gros requin génocidaire qui passera bientôt devant la chambre de mise en accusation dans les prochains jours à Paris. De quoi donner des insomnies à ses semblables des bords de la Seine et d’ailleurs. Comme quoi, le passé des criminels ne trouble pas seulement leur sommeil, il finit toujours par les rattraper.

 

La rédaction

 

Dernière modification lelundi, 18 mai 2020 22:18

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