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Tueries à Tanwalbougou : « Les victimes n’ont pas été exécutées par balles »

 

Rien ne permet  de dire au stade actuel que les 12 personnes retrouvées mortes dans des conditions mystérieuses à Tanwalbougou à environ 50 km de Fada  ont été exécutées par balles. C’est  là une des conclusions de l’enquête préliminaire rendues publiques le 27 mai 2020 par les magistrats en charge du dossier.

 

 

Dans un communiqué du 13 mai 2020, le procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Fada, Judicaël Kadeba, annonçait qu’une enquête avait été ouverte après le décès dans la nuit du 11 au 12 mai de 12 personnes  sur les 25 qui étaient détenues  dans les violons de la gendarmerie de Tanwalbougou pour des faits présumés de terrorisme. Il n’en fallait pas plus pour soulever une polémique, les proches des victimes accusant le magistrat de s’écarter de la vérité. Les 12 hommes ayant été froidement exécutés par  balles selon les membres de leurs familles, dont le plus emblématique reste le député-maire de Dori, Aziz Diallo, qui a maintenu mordicus face aux caméras avoir constaté des impacts de balles sur le corps de son cousin. Dès lors, les rumeurs allaient bon train. S’agissait-il d’une de ces nombreuses bavures ou exécutions sommaires dont on accuse régulièrement l’armée burkinabè ? Interrogé là-dessus à l’hémicycle lors de son discours sur la situation nationale, le Premier ministre avait invité les polémistes à ne pas tirer de conclusions hâtives et à attendre celles de l’enquête. Lesdites conclusions n’ont pas tardé. Parents de victimes et membres de la communauté peule dont étaient issues les victimes n’ont pas voulu rater cette conférence de presse que le ministère public animait à la Cour d’appel de Fada.

 

Dans une introduction à l‘allure de mise au point, Rasmané Bikienga, le procureur général près la Cour d’appel de Fada, a indiqué que « la justice n’avait rien à cacher ». Et comme preuve de sa bonne foi, il informait les journalistes qu’ils pourraient consulter les photos versées à l’enquête  et qui étayent leurs conclusions contenues dans la déclaration liminaire que s’apprêtait à lire le procureur du Faso près  le tribunal de grande instance de Fada.  Les premiers résultats indiquent clairement que les 12 suppliciés de Tanwalbougou n’ont pas été exécutés par balle, contrairement à ce qu’avancent certains. Selon Judicaël Kadeba, dès la découverte de la tragédie, une équipe de la police judiciaire de la brigade de recherche de la gendarmerie de Fada s’est rendue sur place pour le constat d’usage, en compagnie de l’infirmier-chef du poste de Tanwalbougou. «Le constat de 12 corps sans vie a été fait avec des prises de photos. Et sur la trentaine de clichés qui ont été pris et produits dans le dossier, aucune trace n’est visible sur les corps», a indiqué le magistrat. Qui plus est, le certificat médical du 18 mai établi par l’infirmier- chef du poste, «un agent assermenté, a-t-il souligné, ne dit pas autre chose». «L’examen physique révèle des corps inertes, rigides à la palpation. On ne note pas de lésions d’allure traumatique  sur les corps, et il n’y a pas non plus de saignement sur les corps», écrit l’infirmier qui conclut « qu’au vu de ce constat, il n’y a aucun élément matériel pour préciser la cause exacte des décès et que, par conséquent, seule l’autopsie pourrait permettre de situer les causes exactes ».

 

 

 

L’autopsie impossible

 

 

 

Dans l’éventualité de cette autopsie, les corps ont été transportés le13 mai au soir  au CHR de Fada à bord  de deux ambulances affrétées par la mairie. Les enquêteurs disent avoir observé le lendemain à l’hôpital que les corps, recouverts de linceuls blancs et scotchés, étaient déjà en putréfaction.

 

« Malheureusement, la morgue ne disposant pas de chambre froide, les corps n’ont pu bénéficier de bonnes conditions de conservation. Les médecins requis ont fait le constat que les corps étaient en état de putréfaction et que dans ces conditions leur examen ne pouvait être fait. Et un rapport médical en réponse à la réquisition nous a été produit, daté du 13 mai 2020 et signé par le docteur Hamadoum Dicko et 11 autres médecins », a expliqué le procureur. Dans l’incapacité de réaliser ces autopsies, la justice dit avoir été contrainte de remettre les corps aux parents pour l’inhumation.

 

En tout état de cause, les différentes auditions, de 15 personnes dont le commandant du poste de sécurité de Tanwalbougou, ont été écoutées, et confirment également que les présumés terroristes n’ont pas été passés par les armés. Les 12 détenus survivants, dont 3 partageaient la même cellule que les victimes,  ont aussi été entendus. « Ils mentionnent à l’unanimité que les infortunés n’ont pas été exécutés par balles…  Ils n’ont pas entendu de coups de feu. Ils ont constaté que les gens  commençaient à tomber, ils n’y comprenaient rien», rapporte le procureur pour qui, en l’étape actuelle des enquêtes, rien ne permet de déterminer les causes exactes des décès, d’où la nécessité d’envisager des investigations plus approfondies. Il informe d’ores et déjà qu’il s’apprête à transmettre le dossier au tribunal militaire qui, sur la base du code de justice militaire, est habilité à connaître de cette affaire.

 

Quelles sont les raisons réelles qui expliquent que l’autopsie n’ait pas été réalisée ? N’y a-t-il pas eu de précipitation pour enterrer les corps ? Quelle est la capacité d’accueil des cellules de  la brigade de Tanwalbougou ? Que répondent-ils à ceux, notamment le député Aziz Diallo, qui affirment avoir constaté des traces de balles sur les  corps des leurs ? Etant donné que c’est une brigade de gendarmerie qui est mise en cause, les OPJ chargés de l’enquête, eux-mêmes des pandores, peuvent-ils être impartiaux ? Autant de questions, parmi tant d’autres, qu’ont assénées les journalistes aux deux procureurs après leur déclaration liminaire.

 

 

 

« Les survivants disculpent les pandores »

 

 

 

A propos de l’autopsie avortée, le procureur général près la Cour d’appel de Fada, Rasmané Bikienga, se fait plus précis : « A Fada, on n’a pas  de médecin légiste, et on ne dispose pas

 

 

 

 du plateau technique pour réaliser l’examen de corps en putréfaction ». A l’entendre, il aurait même envisagé de réaliser l’examen approfondi à Ouagadougou, mais ils ont dû y renoncer puisque, même dans la capitale, le plateau technique fait défaut.  Les victimes maintenant sous terre, le magistrat assure que la justice n’a pas pour autant enterré son projet : « On nous a dit que même après l’enterrement on peut toujours réaliser l’autopsie. Il faut d’abord attendre trois mois, le temps que la nature fasse son travail ». Si donc il s’avérait que les victimes ont été réellement exécutées, Rasmané Bikienga assure que justice pourrait toujours être rendue puisque les corps pourraient toujours parler.

 

De la capacité d’accueil de la brigade où a eu lieu le drame les magistrats affirment tout ignorer. Tout juste savent-ils que les 25 détenus avaient été divisés en deux groupes : 10   dans une pièce et 15 dans une autre. C’est dans cette dernière que les décès ont été constatés.

 

En réaction  aux propos du député Aziz Diallo, le procureur général les  commente ainsi : « Nous avons reçu l’élu. Nous l’avons invité à rejoindre l’équipe à la morgue pour voir les corps de ses propres yeux. Maintenant ce sont ses propos et déclarations, il ne nous appartient pas de lui dicter cela. Toutes les déclarations seront confrontées, et à l’issue de cela, il y aura la vérité judiciaire ». Pour lui, il n’y a pas de raison de douter du professionnalisme des gendarmes, assermentés, chargés des investigations, lesquels  n’évoluent d’ailleurs pas en solo puisqu‘ils sont sous la coupe du procureur.

 

 

 

Hugues Richard Sama

 

 

 

 

 

Encadré

 

Des familles pas convaincues

 

 

 

Présents en nombre dans la salle, les familles des victimes et des membres de la communauté peule, venus spontanément, avaient du mal à étouffer leur réprobation de certaines déclarations des deux conférenciers. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas été convaincus par les conclusions de l’enquête. C’est la mort dans l’âme que certains se sont exprimés devant les caméras, à l’image de F.B., dont le cousin a été tué. Pour avoir été autorisé à identifier le corps de son parent et avoir dû passer donc de linceul en linceul, il réfute catégoriquement les conclusions de l’enquête : « Quand je soulevais un suaire, je voyais souvent des têtes décapitées. On a pris des tissus qu’on a apposés et on  a scotché le tout. Quand j’ai retrouvé le corps de mon cousin, j’ai vu l’endroit où la balle était entrée et  là où elle était sortie. Il n’y a même pas de doute qu’ils ont été tués  par balles. Parmi les 12, il y en a  qui n’avaient plus de cervelle. Souvent le sang arrivait jusqu’à la cheville. Est-ce que c’est la putréfaction avancée  qui a fait couler autant le sang? » A.D., qui a participé à l’inhumation des victimes dont 11 ont dû partager une fosse commune, est sur la même ligne : « Ce qui est sûr, il y avait des têtes ensanglantées. Maintenant je ne sais pas si c’est par balles ou pas. Mais de toutes les façons, on ne s’attendait pas à grand-chose. Comme ce sont des résultats préliminaires, on espère que la justice va montrer son importance et dire le droit ». Un autre membre de la communauté peule présent à la conférence ne cache pas son indignation : « Est-ce qu’on a besoin d’un médecin légiste pour savoir que quelqu’un a été tué par balle ? On n’en a pas besoin. L’impact d’une balle,  ce n’est pas une piqûre de moustique, ça se voit tout de suite. Aucun parent ne va accepter qu’on exhume un corps pour une autopsie encore. »

 

 

 

H.R.S.

 

 

 

Les preuves en images des procureurs

 

 

 

Comme ils l’avaient promis, les deux procureurs ont autorisé exceptionnellement les journalistes à consulter, sans les  exploiter, les photos prises durant l’enquête et  versées au dossier.

 

Dans une première série de clichés, on aperçoit des corps sans vie, torses nus, entassés dans les couloirs de ce qui est présenté comme des locaux de la brigade de Tanwalbougou. A vue d‘œil, aucune trace de sang ou de traumatisme sur les corps. Dans une autre série, les corps sont emballés dans des linceuls blancs, scotchés et entreposés à la morgue du CHR de Fada, selon les explications qui nous ont été données. Enfin, sur la dernière série, on aperçoit les dépouilles alignées dans une tombe commune. Et là, une tâche noirâtre est visible sur la totalité des corps. Est-ce du sang ? Non, répond le procureur général. « Tout ça, c’est la putréfaction », indique-t-il, donnant le nom de ce liquide bien connu des spécialistes, qui s’écoule au moment de la décomposition du corps.

 

 

 

H. R.S.

 

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