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Magistrats/avocats : Toges et robes s’entre-déchirent

 

Le vendredi 30 mai 2020, dans une correspondance, le procureur général de la Cour d’appel de Ouagadougou, Laurent Poda, a instruit tous les petits parquets qui sont sous sa coupe de ne plus traiter, jusqu’à nouvel ordre, tout dossier dans lequel se trouve constitué un avocat. Une décision pour le moins curieuse qui pose, évidemment, beaucoup de questions. Nous avons cherché les réponses à ces questions en approchant les différentes parties, non pas au procès, mais en bisbilles.

 

 

 

 

Dans sa circulaire le Procureur général (PG) près la Cour d’appel de Ouagadougou intime l’ordre aux procureurs du Faso de son ressort territorial (Ouaga, Koudougou, Ouahigouya,  Ziniaré, Yako, Manga et Léo)  de :

 

« - ne plus audiencer tout dossier correctionnel dans lequel se trouve constitué un avocat ;

 

- ne répondre à aucune correspondance d’un avocat qui vous serait adressée ;

 

- retirer des rôles d’audiences tout dossier dans lequel se trouve constitué un avocat ;

 

- ne recevoir en vos parquets aucun avocat et pour quelque cause que ce soit ».

 

Avant de donner ces instructions urgentes, le PG a expliqué qu’elles étaient suscitées par le Barreau dont le Bâtonnier a décidé « de ne plus commettre d’avocats dans les sessions criminelles ». Et justement ce 1er juin 2020, des audiences de la chambre criminelle devaient débuter à Ziniaré avec 12 dossiers inscrits au rôle. C’est dire que la tenue de ces procès est compromise puisqu’on ne peut pas juger, en assises, un accusé qui n’a pas d’avocat.

 

 

Lorsque nous lui avions demandé les raisons de l’attitude du Bâtonnier, le PG a déclaré les ignorer. Voilà pourquoi ces mesures de représailles contre le Barreau. « Si le bâtonnier refuse de commettre sans motif, alors moi je demande à mes procureurs de ne pas retenir les dossiers des avocats jusqu’à nouvel ordre, comme ça on va savoir de quoi il s’agit », nous a confié le PG, Laurent Poda, qui estime malgré tout qu’il ne s’agit pas ici « de tordre le bras de qui que ce soit ».

 

 

A notre question de savoir s’il y avait un problème entre avocats et magistrats, le maître du parquet général arépondu ainsi : « Si la décision de ne pas commettre était motivée, on pourrait comprendre. Allez demander au Bâtonnier pourquoi il a décidé de ne pas commettre, comme ça on sera éclairé ».

 

 

Prenant Laurent Poda au mot, nous avons joint au téléphone le Bâtonnier, Me Paulin Salembéré. Mais ce dernier n’a pas voulu s’étendre sur le sujet au motif que le courrier du PG ne lui est pas adressé. Cependant, nous avons pu comprendre qu’entre la Cour d’appel et le Barreau il y a de l’eau dans le gaz. Le problème serait la tenue de l’audience solennelle de prestation de serment d’un nouvel avocat, ancien magistrat, sans l’aval du Barreau. En dépit de la correspondance adressée par le Bâtonnier et qui n’était pas favorable à cette prestation de serment, David Boureima Kaboré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a prêté serment le 18 mai 2020.

 

 

En prenant connaissance de la circulaire de Laurent Poda, Me Paulin Salembéré a réagi à deux aspects : le premier porte sur l’instruction faite aux procureurs de ne pas traiter les dossiers avec constitution d’avocats. Pour le Bâtonnier, cette décision pénalise en premier lieu les justiciables, car « nous, avocats, nous n’avons pas de dossiers dans les juridictions. Ce sont les dossiers des tiers, les dossiers de nos clients » ;

 

 

le second aspect, c’est que, dans sa circulaire, le PG a parlé « d’affront » et d’un conseil de l’ordre « en panne d’humanisme». Me Salembéré se demande « de quel affront il s’agit et c’est par rapport à qui ? » Concernant l’humanisme, le Bâtonnier a soutenu que « c’est une valeur qui fait partie intégrante des nombreux serments d’un avocat » et que sur ce plan, « le parquet général ne peut pas donner des leçons au Barreau ». Référence est faite ici aux grèves qu’il y a eues dans la magistrature dans un passé récent et même ces derniers mois.

 

 

Depuis, les choses sont en l’état entre les deux parties et, visiblement, les assises criminelles de Ziniaré qui doivent s’ouvrir ce lundi ne pourront pas se poursuivre, faute d’avocats aux côtés des accusés.

 

 

 

San Evariste Barro

 

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