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Me Bénéwendé Stanislas Sankara :«Je suis venu en politique le ventre déjà plein»

 

Président de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste depuis 20 ans, Me Bénéwendé Stanislas Sankara a annoncé le 30 mai 2020, lors du congrès extraordinaire de son parti, sa démission afin de devenir un militant de base. Mais 24 heures plus tard, les congressistes ont décidé de le maintenir à la tête du parti de l’œuf.  Dans cette interview qu’il nous a accordée le 2 juin à son domicile aux 1200 Logements, le fraîchement réélu et premier vice­-président de l’Assemblée nationale s’explique sur ce « faux départ » et sur bien d’autres sujets liés à la situation nationale ou au dossier Thomas Sankara. Nous l’avons aussi titillé sur le sobriquet peu flatteur de « Bénériibo » dont certains l’affublent. Sur ce sujet, Bénéwendé dira que son engagement politique n’est pas guidé par des raisons alimentaires.

 

 

 

 

Vous avez annoncé votre démission de la présidence du parti, les militants vous ont supplié de ne pas partir et vous êtes resté. N’était-ce pas une mise en scène tout simplement ?

 

 

 

Pas du tout. Je ne joue pas à la comédie. C’est vrai que quand j’étais collégien j’ai fait du théâtre mais ici, c’est vraiment loin d’une scène théâtrale. C’est une démission qui a été annoncée dans la sérénité après mûre réflexion. Et qui dit démission dit avant tout décision personnelle. Donc, c’est ma décision à moi. Personne ne peut me contester cela. Tout comme quand je faisais mes premiers pas dans un parti politique, ça n’a pas été simple. J’ai réfléchi longuement avant de franchir le Rubicon, comme on le dit. J’ai dit dans ma déclaration de démission que je quittais la tête de l’UNIR/PS pour passer le flambeau parce que j’estime que la relève désormais est assurée. Et c’est pour la pérennité du combat. Quand on dit combat, je peux être meilleur combattant à un autre poste qu’à celui du président de l’UNIR/PS.

 

 

 

Si vous étiez vraiment motivé à quitter la direction du parti, est-ce que les congressistes auraient pu vous obliger à rester ?

 

 

 

Oui. Pourquoi pas ? C’est la continuité de mon engagement. Mais vous savez, diriger un parti politique, c’est autre chose. Je comprends les arguments qui ont été invoqués par les militants en commençant par les membres du secrétariat exécutif national qui ont été aussi reconduits ; je ne dirai pas pour achever les chantiers, mais en tout cas jusqu’au congrès ordinaire qui aura lieu dans moins d’un an. Nous sommes allés la dernière fois en congrès ordinaire le 29 janvier 2017. Si on doit tenir compte des quatre années, à partir de janvier 2021 nous pouvons convoquer un congrès ordinaire.

 

 

 

Maintenant que vous êtes reconduit, quels sont vos nouveaux défis ?

 

 

 

Dans l’intervalle, nous avons beaucoup de choses à faire. Notamment aller aux élections de 2020. Il faut les préparer. Il faut travailler aussi sur le registre des alliances, des coalitions que nous sommes en train de négocier. Il faut également souligner que selon nos textes si le président rend sa démission le congrès doit être convoqué dans les deux ou trois mois qui suivent.

 

 

 

Aura-t-il lieu à bonne date ?

 

 

 

Le faire maintenant, ce n’est pas évident parce que nous serons en plein dans la campagne. C’est autant d’arguments qui ont été soulevés. Mais je pense que l’argument essentiel, c’est de permettre aussi à l’interne un débat démocratique où tous les militants vont s’accorder à trouver un remplaçant dans la transparence totale, dans la démocratie pour qu’en 2021 l’UNIR/PS puisse dire voilà la personne sur laquelle les militants portent leur confiance pour conduire désormais les rênes du parti. Je ne sais pas ce qui se passe ailleurs mais à l’UNIR/PS en tout cas, c’est comme ça que nous fonctionnons.

 

 

 

Vous qui avez lutté pour l’alternance au Burkina Faso, n’est-il pas gênant d’être accroché à la tête du parti 20 ans après sa création ?

 

 

 

Non. Déjà au congrès passé, ceux qui étaient là savaient que je n’étais pas accroché à la direction du parti. Je ne sais pas ce que ça donne en dehors des sacrifices que moi-même je consens personnellement. Parce que j’ai une conviction que je défends, j’ai un engagement que j’ai pris le 15 octobre 2000 sur la tombe du président Sankara. Voilà mon entêtement à être à l’UNIR/PS.

 

 

 

De quel engagement s’agit-il, si ce n’est pas indiscret ?

 

 

 

Non. Cela figure sur la carte du parti. Si vous prenez notre carte, vous verrez au verso ce que nous appelons l’engagement du 15-Octobre. Nous avons juré de lui rester fidèles. Et surtout dans la loyauté vis-à-vis du combat que nous menons. C’est écrit et c’est le bréviaire de tout militant. Cet engagement, on meurt avec. Je peux ne pas être dans le bureau politique, dans le secrétariat exécutif ou président du parti mais c’est un engagement militant. C’est pourquoi je vous ai dit tantôt que ma décision portait exclusivement sur ce poste de président qui peut revenir à quelqu’un d’autre. Mais je reste un militant à vie.

 

 

 

Est-ce que vous doutez de la capacité des autres militants à occuper la direction du parti, puisque ça fait deux décennies que vous la dirigez.

 

 

 

Ce n’est pas une nomination. C’est un parti, donc ce sont les instances qui décident. C’est comme quand l’UNIR/PS a décidé d’aller soutenir le MPP, ce n’est pas maître Sankara qui a décidé. C’était une décision du plenum du parti politique.

 

 

 

La tête de Sankara se vend bien, mais le sankarisme politique n’arrive pas à percer. Qu’est-ce qui explique le hiatus ?

 

 

 

C’est vous qui le dites. Et c’est archifaux. C’est vrai que par le passé le sankarisme était étouffé, mais plus maintenant. La preuve, c’est que vous avez porté un habit Burkindi, c’est l’intégrité. Le sankarisme se trouve partout ailleurs. Comme le professeur (Ndlr :Ra-Sablga Seydou Ouédraogo) l’a dit « Sankara partout, Sankara nulle part ». Mais c’est selon. Vous trouverez partout des rues qui portent le nom de Thomas Sankara, des édifices qui portent son nom au Burkina Faso et ailleurs. C’est peut-être les Burkinabè qui ne connaissent pas la valeur de Thomas Sankara. En tout cas, ailleurs il est plus connu. Comme on le dit, « nul n’est prophète chez soi ». Maintenant si vous faites allusion au sankarisme ramenant ça au parti politique, il y a une nuance.

 

 

 

C’est là le fond de notre question.

 

 

 

La tête de Sankara se trouve dans l’art, la philosophie, etc. Sankara se trouve partout. Même qu’on a développé le concept de Sankarien. Mais le substantif, la substantifique moelle demeure le projet de société que Sankara avait défendu. Et nous nous réclamons héritiers de Sankara. Là je parle de l’UNIR/PS parce que je ne connais pas les autres partis politiques qui se disent sankaristes. Chez nous, nous avons conçu un programme alternatif sankariste qui reprend son discours du 4 août 1987, à savoir « produisons et consommons burkinabè, prenons en main notre destin », et nous l’avons adapté au contexte pour défendre ce projet de société dans les limites d’une démocratie électoraliste.  Donc, vendre ou ne pas vendre dépend maintenant, plus ou moins, de notre capacité à convaincre l’électorat sur la base de notre discours, de notre projet de société.

 

 

 

Pensez-vous que vous parvenez à convaincre l’électorat ? 

 

 

 

En tout cas, nous avons cinq députés. Donc c’est un électorat qui nous fait confiance. C’est un suffrage qui s’est exprimé. Aujourd’hui nous sommes une force politique. On ne peut quand même pas nier l’évidence ! Je suis le premier vice-président de l’Assemblée nationale, nous sommes au gouvernement, on a des maires, des conseillers municipaux, etc. Nous sommes une force qui compte.

 

 

 

Vous parliez tantôt du concept ‘’Sankarien’’, à quoi cela renvoie ?

 

 

 

Il y a des gens qui disent qu’ils ne sont pas des sankaristes mais des sankariens.  Par exemple les chanteurs reggae, ils ne sont pas organisés, ce sont des libres penseurs, ils se disent sankariens.  C’est aussi une autre façon de vivre Sankara.  Nous, nous parlons de Sankarisme parce que nous sommes des hommes politiques, nous faisons de la conceptualisation et nous cherchons dans son discours et son action un chemin pour faire comme lui.

 

 

 

Le congrès n’a pas tranché la participation de l’UNIR/PS à l’élection présidentielle. N’est-ce pas étonnant, à moins de 6 mois du scrutin, de n’avoir toujours pas de candidat ?

 

 

 

Nous avons pris la résolution de participer aux élections présidentielle et législatives. Nous allons présenter un candidat. Ça peut ne pas être Tartempion ou Dupont mais on le fera en temps opportun. Nous avons pris la décision, au congrès extraordinaire, d’aller aux élections à venir. Pour le moment, nous n’avons pas de nom.

 

 

 

Mais nous sommes quand même à six mois de l’élection présidentielle…

 

 

 

Ça, c’est notre problème. Ce n’est pas votre affaire. Votre problème, c’est d’écrire ; le nôtre, c’est de faire la politique. C’est une stratégie.

 

 

 

Entre nous, le premier vice-président de l’Assemblée nationale que vous êtes peut-il se présenter contre le candidat de la majorité à laquelle il appartient ?

 

 

 

Je ne suis pas premier vice-président au titre du Mouvement du peuple pour le Progrès. Je le suis du fait des alliances que nous avons eues avec le MPP. Et je suis du groupe parlementaire Burkindlim, je ne suis pas dans le groupe parlementaire MPP. Je suis aussi élu député UNIR/PS. J’ai déjà participé à des élections contre Roch Marc Christian Kaboré.

 

 

 

A cette époque, il n’y avait pas eu cette alliance…

 

 

 

Qu’est-ce qui dit qu’en 2020 la donne ne va pas changer ? On peut le faire, le rééditer tout comme on peut soutenir le président Roch Marc Christian Kaboré. Nous n’avons rien à cacher. Si nous décidons de soutenir le président Roch Marc Christian Kaboré, on le fera au grand jour. On ne le fera pas dans un bureau.

 

 

 

Cinq ans après, comment appréciez-vous justement votre alliance avec le MPP ?

 

 

 

D’abord, c’est une alliance qui nous a permis de vivre une autre expérience. Je dois dire que ce n’est pas la première fois que l’UNIR/PS fait des alliances. La particularité de l’UNIR/PS dès sa naissance, c’était d’abord de rechercher l’unité des sankaristes. Nous avons un parcours sur ce registre. Nous avons aussi fait des alliances avec toute l’opposition. L’UNIR/MS, à l’origine c’était l’appellation quand nous sommes nés, on a tout de suite adhéré au Groupe du 14-Février. Moi-même j’ai été le premier responsable du CPO, le cadre de concertation des partis politiques de l’Opposition, pour fédérer plus large au-delà du Groupe du 14- Février. C’est ce combat unitaire qui nous a amenés à obtenir la révision du statut portant chef de file de l’opposition politique, que j’ai dirigée avant de passer la main à Zéphirin Diabré. Donc, vous comprenez que ma vision politique ce n’est pas de rester dans ma coquille d’œuf, de rester fermé. Pas du tout ; c’est plutôt de rassembler autour de quelque chose. Donc, de nos jours quand nous parlons d’alliance, c’est également des regroupements qui peuvent être tactiques ou stratégiques en vue de la conquête du pouvoir d’Etat qui ne se fait pas de façon rectiligne. Dans tous les pays du monde, c’est comme ça. En France, les communistes, à un moment donné, ont noué des alliances ; encore que nous nous ne sommes pas un parti communiste. Un peu partout on fait des alliances. Mais il ne faut pas faire une alliance dans laquelle tu perds ton âme. C’est ce que nous disons à l’UNIR/PS.

 

 

 

C’est donc un mariage de raison ?

 

 

 

Avec le MPP, nous avons fait une alliance de raison. C’est ce que nous avons dit au congrès. Pour la simple raison que le MPP a obtenu, après les élections de 2015, 55 députés. Notre Constitution dit que le Premier ministre est nommé par le chef de l’Etat mais il ne peut être confirmé que par l’onction de l’Assemblée nationale. Si nous n’avions pas apporté nos cinq députés, ce n’est pas évident que le MPP aurait eu une majorité parlementaire pour garantir au chef de l’Etat un premier ministre. Imaginez un gouvernement de cohabitation ou un chef d’Etat élu au premier tour qui compose avec un gouvernement dont le Premier ministre est issu de l’opposition ! C’est ça, une instabilité politique.

 

 

 

Y a-t-il véritablement une stabilité politique ?

 

 

 

Nous avons apporté nos sièges à la gouvernance pour la stabilité politique du pays. S’il n’y avait pas cette stabilité, imaginez le terrorisme qui a tout de suite frappé en 2016, le Burkina Faso n’allait pas rester debout. C’est parce qu’il y a une stabilité politique institutionnelle qu’on peut se développer.  Donc, c’est une alliance dans laquelle nous n’avons aucune déception. En tout cas si on est déçu de la gouvernance actuelle, nous n’avons aucun regret d’avoir été à cette alliance.

 

 

 

Que pensez-vous de l’extension de l’IUTS aux primes et indemnités des travailleurs du public ?

 

 

 

D’abord c’est une loi et elle a été votée. Je suis parlementaire et j’ai voté cette loi. Maintenant il y a des difficultés pour son l’application. Au niveau de mon parti, nous nous sommes exprimés pour demander au gouvernement de trouver un terrain d’entente avec les acteurs sociaux. Je pense que le gouvernement est sur cette voie de la négociation, de trouver des compromis avec les syndicats. Moi qui vous parle, depuis longtemps je paie l’IUTS, je paie beaucoup d’autres taxes.

 

 

 

Le pays est confronté à une crise sécuritaire depuis 5 ans, quelle appréciation faites-vous de la gestion de cette crise ?

 

 

 

A l’Assemblée nationale, j’ai été le président de la commission créée pour réfléchir sur les questions d’insécurité et faire des recommandation au gouvernement. Nous avons exposé cela publiquement et nous étions parvenus à 14 points de recommandations au gouvernement. De nos jours quand on regarde, il y a une évolution au niveau des plus hautes autorités. Nous avons même un conseil national sur la sécurité qui se réunit mais le mal reste têtu, c’est comme si chasser le naturel, il revient au galop. Quand on regarde les derniers évènements avec beaucoup d’attaques, des morts militaires et civils, on a l’impression que le mal n’a pas du tout régressé. Pourtant, il y a eu des mesures fortes. Il y a eu le couvre-feu qui a été instauré suite à l’état d’urgence qui a été décrété dans certaines zones. Il y a eu les opérations Otapuanou à l’Est et Dofu au Nord. A un moment donné on pensait, notamment vers l’Est, qu’on allait sécuriser quand même la zone. Mais c’était sans compter avec la force de l’ennemi.

 

Pour venir à bout du terrorisme, il faut s’attaquer à ses causes, qui sont multiples ; on ne sait pas qui les finance, ni leur mode opératoire. Vous savez ce qui nous guette comme danger, comme conséquences et qui est aussi dénoncé, que les congressistes ont aussi dénoncé, c’est de plus en plus la stigmatisation dont certaines populations estiment être victimes. Ça, c’est très dangereux parce que c’est sournois. Ce qui est arrivé au Rwanda, ou à un moment avec la Côte d’Ivoire avec l’ivoirisation, peut aussi nous arriver si on oppose les communautés. C’est donc vous dire que parler de guerre asymétrique, c’est peu par rapport au Burkina Faso qui a plus de 60 ethnies et où ces ethnies-là ont toujours vécu en symbiose. Donc si tu es à la tête d’un Etat, exposé à tout cela, il faut avoir une profondeur d’analyse, même si certains compatriotes voudraient que d’un coup de bâton magique on puisse régler le problème. Si c’était aussi simple, on l’aurait déjà fait.

 

Il y a certains qui proposent qu’on négocie avec l’ennemi. Mais il faut connaître l’ennemi pour négocier avec lui. On dit que ce sont des hommes armés non identifiés. Si on les identifiait, on peut dire que c’est telle personne et puis on cherche à discuter. Regardez ce qui est arrivé au Mali à Soumaïla Cissé, qui a été kidnappé alors qu’il allait chez lui pour battre campagne. Toute la zone, que ce soit le Burkina, le Niger, le Mali, dans une moindre mesure la Mauritanie, nous sommes embarqués dans la même galère. Il y a une revendication peut-être politique qui ne dit pas son nom. De toutes les façons, il y en a qui revendiquent un territoire puisqu’on les voit avec des drapeaux, on nous dénie nous, notre souveraineté. C’est une guerre qui concerne l’ensemble des Burkinabè qui veulent la république, les valeurs de la république, la liberté dans la démocratie. De ce point de vue, je pense qu’il y a des efforts qui sont faits. Ce n’est certainement pas suffisant, mais il faut faire chorus avec les Forces de défense et de sécurité, avec les autorités parce que c’est un ennemi commun.

 

 

 

Notre pays est touché par la pandémie de coronavirus, quelle appréciation faites-vous de la gestion de cette crise sanitaire par le gouvernement ?

 

 

 

Je suis un peu embêté parce que je suis le président de la mission d’information sur la covid 19 créée par l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas encore déposé notre rapport, mais on le fera et à l’issue de cela, c’est sûr que le président de l’Assemblée nationale va communiquer là-dessus. Quand notre collègue (NDLR : Rose Marie Compaoré) est décédée, il y a eu la panique, la psychose ; on a même fermé l’Assemblée nationale. Nous avons été ipso facto confinés ; vraiment, c’était la torpeur. Ce sentiment était même un peu général, sauf dans les villages. En effet, j’ai eu l’occasion pendant que Ouagadougou était en quarantaine d’aller dans mon propre village pour cause de décès. Je me suis soumis, je le précise d’abord, à l’exercice d’avoir une autorisation en bonne et due forme délivrée par les autorités compétentes. Mais arrivé au village, j’étais surpris. J’étais masqué et j’étais ridicule. Mes parents n’étaient pas masqués et quand ils me saluaient, ils me demandaient : « Et votre maladie à Ouaga ? » Ça veut dire qu’ils ne se sentaient pas du tout concernés. On m’a même dit que la veille, un de mes cousins avait donné des masques et ils les ont pris déposer. Ils buvaient le dolo à la queue-leu-leu.

 

C’est un comportement à risque !

 

 

 

J’ai regardé ça je suis revenu, et jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas entendu que dans mon village, il y a eu un seul cas déclaré et c’est tant mieux. C’est la même chose dans beaucoup de contrées. Jusqu’à présent, ça fait qu’il y a des gens qui sont sceptiques. Pourtant le mal est là, le virus est là. Il y a eu des efforts et il faut le souligner. Chez nous à l’UNIR/PS, les congressistes ont tenu à saluer la bravoure du personnel soignant. Il y a eu la panique dès les premiers moments mais très rapidement, le personnel soignant s’est ressaisi. Les agents de santé se sont investis, se sont employés à faire leur travail. De nos jours, on sent que la tendance est baissière. C’est un phénomène que nous sommes en train de maîtriser et, Dieu merci, un peu à l’échelle du monde on est en train de vaincre la covid 19. Mais il y a eu effectivement beaucoup d’insuffisances au début. A travers les journaux, nous avons entendu des familles qui se sont exprimées, qui étaient en détresse. Il y en a aussi peut-être qui ne sont pas morts de covid 19 mais qu’on a considérés comme tels. Nous, nous avons notre culture. La façon dont on nous a présenté la maladie, la manifestation, la contagion, ça heurte nos coutumes. Ailleurs, on peut incinérer, brûler un cadavre, c’est normal. Mais imaginez si au Burkina un beau matin on vous dit que vous devez brûler votre cadavre, c’est inadmissible, c’est inacceptable. C’est la douleur des uns et des autres mais au fur et à mesure, je crois que les autorités sanitaires se sont ressaisies et les mesures de prise en charge se sont améliorées. L’Assemblée nationale a commandé aussi une commission d’enquête sur le système de santé avant la pandémie parce que quand on parle de capital humain, la santé y occupe une place de choix. C’est parce qu’on se porte bien qu’on peut travailler. Mon appréciation, c’est un peu cela : saluer les efforts du personnel de santé, reconnaître qu’il y avait beaucoup d’insuffisances mais qu’aujourd’hui, on est en train de relever le défi.

 

 

 

Etes-vous satisfait de la manière dont le pays est géré ?

 

 

 

En ce qui concerne effectivement la gouvernance, nous l’avons aussi dénoncée. Nous disons qu’il ne faut pas que les mêmes tares que nous avons combattues pendant 27 ans se perpétuent alors que l’aspiration fondamentale était le changement. C’est pour cela d’ailleurs qu’à l’UNIR/PS, nous prônons le « changement alternatif ». C’est-à-dire ne pas simplement enlever des hommes pour continuer avec les mêmes tares, le même système mais travailler à la rupture. Travailler à la rupture, c’est reconnaître par exemple qu’il y a la corruption. La loi CNT y relative n’était pas mal mais quand une loi est votée et qu’elle n’est pas appliquée, ce n’est pas une loi. Ça veut dire que quelque part au niveau de la gouvernance, on a intérêt à ne pas appliquer la loi. Ce qui veut dire qu’on veut protéger des gens, c’est ça aussi l’impunité et il y a des dossiers emblématiques qui viennent d’ailleurs justifier l’impunité et la corruption qui sont des faits réels et il faut arriver à casser ça. Il y a des instruments de contrôle qui existent comme l’ASCE/LC. Vous avez au niveau de la société civile des ONG comme le REN-LAC, vous avez même la justice qui, désormais, a son indépendance et le procureur qui peut se saisir d’office d’une affaire. Si on met cela en exergue, on verra qu’on va assainir la gouvernance. Je prône en tout cas une rupture dans la gouvernance, c’est ce que pratiquement la grande majorité des Burkinabè réclament.

 

 

 

Comment peut-on faire un tel grand écart ? On critique mais on est toujours dedans.

 

 

 

Claquer la porte ne fera pas avancer les choses, si l’on peut rester à l’intérieur du système et combattre le système. Tout à l’heure je lisais un Américain qui disait que si vous êtes dans le système vous pouvez mieux le combattre. J’ai fait l’expérience de l’opposition radicale à telle enseigne que jusqu’à présent les Burkinabè pensent que je dois mourir opposant alors que moi, c’est la conquête du pouvoir d’Etat qui m’intéresse, pour pouvoir appliquer mon projet de société. Nous sommes en alliance où je peux faire des propositions dans le cadre de nos structures au gouvernement. Nous sommes par exemple à la tête du ministère de l’Environnement. Avec le ministre Bassière, nous avons pu organiser la Journée de l’arbre. Il y a le ministre des Ressources animales, Sommanogo Koutou, qui a organisé la première fois un Salon de l’élevage. C’était très bien. Le fait de vouloir consommer ce que nous produisons refait surface. Le président Roch Marc Christian Kaboré porte lui-même le Faso danfani qui est très apprécié partout où il passe. En tout cas il est cité comme exemple.

 

 

 

Le port du tissu local est à mettre à l’actif de l’UNIR/PS ?

 

 

 

C’est à l’actif du sankarisme que nous défendons, donc à l’actif de l’UNIR/PS également puisque nous sommes dans le gouvernement, nous discutons, on ne s’oppose pas. Ce sont des idées aussi que le gouvernement peut prendre chez nous mais ce n’est pas notre programme qui est appliqué, c’est le programme du MPP. Toutefois, ils peuvent accepter, comme nous sommes ensemble, de prendre en compte certains aspects de notre politique qui intéressent aussi le peuple burkinabè mais on aurait souhaité appliquer notre propre programme. Honnêtement, c’est ça que nous cherchons mais pour y arriver, il faut que nous ayons plus de députés. Si le peuple ne nous donne pas cette possibilité, qu’il souffre de nous voir cohabiter dans l’alliance et de négocier pour que nos points de vue passent. On n’est pas bête !

 

 

 

Un certain nombre de vos militants ont claqué la porte du parti et créé le leur, est-ce que cela ne diminue pas la force de l’UNIR/PS ?

 

 

 

Il y a presque 100 partis politiques. Les partis sankaristes, il y en a qui sont même dans l’opposition. Demain peut-être que d’autres vont créer des partis politiques. C’est la liberté de tout un chacun d’autant plus que la charte des partis politiques permet à chaque Burkinabè de créer sa formation. Nous ne sommes pas contre. Chacun fera son expérience. Mais dire que cela affaiblit l’UNIR/PS, je ne crois pas parce que je constate qu’au contraire, l’UNIR/PS aujourd’hui est plus aguerrie, a une expérience dans sa lutte et s’est plus ouverte, en tant que parti, à d’autres Burkinabè qui y sont venus. Ceux qui étaient au congrès dernier ont vu par exemple qu’il y a tout un groupe d’enseignants d’université qui sont venus y adhérer. Il y a même un parti politique qui a accepté de se dissoudre dans l’UNIR/PS. Il s’agit du parti du député-maire Aziz Diallo, le PDL Lafia. Nous avons enregistré aussi des demandes d’adhésion émanant d’autres formations politiques.  

 

 

 

Quelle relation entretenez-vous actuellement avec Alexandre Sankara ?

 

 

 

C’est mon frère, nous n’avons que des relations de famille. On peut avoir des divergences de point de vue. Il a été remplacé au niveau du poste qu’il occupait au secrétariat national aux structures par le député Hamidou Sanfo, qui a pour adjoint Alfred Simporé. Il a quitté le parti, me semble-t-il. Nous pensons qu’il est au PUR. On a même saisi l’Assemblée nationale pour dire que nous le considérons comme démissionnaire du parti mais il refuse de donner son mandat. Il dit qu’il est toujours à l’UNIR/PS mais nous on ne le voit plus au bureau du parti, ni à nos activités. Nous ne l’avons pas exclu, il s’est auto exclu. Il a rendu sa démission, donc il doit laisser le mandat selon les textes du parti.

 

 

 

Seriez-vous personnellement sur la ligne de départ pour les législatives ?

 

 

 

On verra, puisqu’on a un mandat donné par le congrès au secrétariat exécutif. C’est prématuré d’en parler, j’ai été député depuis 2002, de façon régulière, donc je sais ce que c’est. J’ai mon cabinet, n’oubliez pas que je suis avocat, je ne viens pas en politique pour chercher de l’argent, pas du tout. Si c’est à cela vous pensez, vous avez joué ‘’bidet.’’

 

 

 

Comptez-vous céder la place à un jeune ?

 

 

 

On ne cède pas de place en politique, c’est comme pour la conquête du pouvoir : vous partez avec votre force et vous prenez. On ne met pas de jeune, c’est une question de mérite. Si un jeune a 18 ans et qu’il peut être élu député, il va passer mais si ce jeune n’est pas méritant et pense qu’on va le prendre comme une cerise et le déposer sur le gâteau, il verra qu’en politique, ça ne marche pas comme ça. Malheureusement nous avons aujourd’hui affaire à une jeunesse qui croit à la facilité et qui ne croit pas en elle. C’est d’ailleurs pour ça qu’à l’UNIR/PS nous avons compris qu’il faut mettre l’accent sur la formation politique et idéologique. Peut-être que moi, j’ai pu résister jusqu’aujourd’hui pour la simple raison que j’ai été à une école de formation mais si c’est sur Facebook que vous allez construire votre conviction politique, eh bien je crois que nous aurons une société virtuelle.

 

 

 

On dit que vous avez des relations particulièrement étroites avec le président Roch Marc Christian Kaboré…

 

 

 

Voyez un peu ici dans mon bureau, on le voit sur les photos. C’est un homme que j’aime bien, que j’apprécie. J’ai commencé à l’apprécier depuis l’Assemblée nationale. J’étais dans l’opposition et lui dans la majorité, mais on se respectait. J’ai découvert en lui un homme qui écoute tout le monde.

 

Pour la petite histoire, quand je devais former le premier groupe parlementaire, « Justice et démocratie » avec 17 députés, mon ambition était de regrouper. Conformément aux textes, nous nous étions le plus important. Mais le Pr Joseph Ki-Zerbo a voulu dire que son groupe qui était composé de10 députés était homogène. Il fallait donc trancher. Il nous a renvoyés dos à dos consulter les textes.

 

C’est comme ça qu’on nous a donné l’occasion d’occuper le poste de vice-président à l’Assemblée nationale. Donc j’ai été vice-président parce que notre groupe était numériquement le plus important.

 

Très rapidement, les gens ont pensé que c’était une question d’amitié. Non, ce sont les textes qui ont prévalu.

 

 

 

Puis vous êtes devenu le premier chef de file de l’opposition politique...

 

 

 

En effet. Mais savez-vous comment on en est arrivé à opérationnaliser le CFOP ? C’est parce qu’en 2009, après la crise de 2008, le CDP avait compris à l’époque (et c’était lui le président du CDP) qu’il fallait accepter les réformes proposées par l’opposition. Effectivement on a intégré ces réformes et l’opposition a eu un statut.  A l’époque, il y avait ce que moi j’ai appelé les partis chauve-souris, qui voulaient être dans l’opposition et aussi dans le gouvernement. Suivez mon regard ! Nous avons tenu une réunion houleuse pour définir qui est parti politique de l’opposition. Si vous prenez la charte des partis politiques et la loi portant Chef de file de l’opposition, vous verrez qu’on y définit clairement qui peut en être membre, avec des obligations et des devoirs. C’est cela qui nous a amenés à la clarification.

 

Comme moi j’avais 4 députés, la loi disait que le premier responsable du parti qui a le plus de députés est le Chef de file de l’opposition. C’est donc par la loi et non des rapports de complaisance. C’est parce que nous nous sommes trouvés sur un terrain où la vision de construire la démocratie imposait la même sensibilité.

 

Quand il a fallu préparer les élections de 2012, je suis allé au siège du CDP discuter du fichier électoral, de la carte d’électeur… En son temps, qui aurait cru que Me Sankara pouvait s’y rendre pour cela ? Roch Marc Christian Kaboré était le président du CDP. Il nous a accueillis. Ce regard-là est le regard croisé de gens qui croient à la démocratie, à la liberté des hommes. Tout le reste n’est que spéculations. 

 

 

 

Certains vous affublent du sobriquet peu flatteur de « Bénériibo ». Cela pour signifier que vous vous êtes rapproché, comme on dit, de la table à manger. Maître, vous bouffez maintenant ?

 

 

 

Moi, je suis venu en politique le ventre déjà plein (rires). Au contraire la politique m’a ruiné. J’ai dû vendre des immeubles, des terrains pour investir en politique. Le « riibo » là est où ? Ce sont certainement des affamés qui ne pensent qu’à leur ventre qui disent cela. Moi, je ne leur réponds pas.

 

 

 

L’artiste qui a coordonné la réalisation de la statue géante de votre leader, Thomas Sankara, après les corrections apportées à l’œuvre suite à la polémique née après sa première découverte, dit que cette fois ils sont « nets dans le panier ». Etes-vous de cet avis ?

 

 

 

Si vous allez au village, à l’autel où on sacrifie les poulets aux ancêtres, vous verrez des cailloux, des bouts de bois qui représentent ces mêmes ancêtres, en quoi ou en qui on croit aveuglément. On vous dira même que si vous jouez avec cela, vous mourez.

 

J’ai dit et répété que les sankaristes ne doivent pas jeter l’anathème sur la statue qui symbolise le président Thomas Sankara. Même si c’était un morceau de bois, si on dit que c’est Sankara et que nous commencions à insulter, c’est du sacrilège.

 

Dans mon bureau au siège du parti, vous avez des statues de toutes les formes que des militants ont apportées en disant que c’est Sankara. De mon point de vue, c’est l’esprit qui compte dans ce que l’art symbolise à travers l’objet que vous avez. L’art n’a pas une valeur qu’on peut définir. La valeur qu’on lui donne est fonction du sentiment profond qu’on a pour l’objet.

 

Avant la correction de l’œuvre, j’ai eu l’occasion de voir la première statue à l’atelier. Ce jour-là effectivement il y en a qui disaient que ça ressemble à Sankara et d’autres qui affirmaient le contraire. Mais promenez-vous dans la ville de Ouagadougou et observez les statues. J’ai vu quelque part une statue de Mgr Thévenoud. Je ne sais pas si cela lui ressemble vraiment mais personne ne se plaint. Allez en Europe, vous verrez des statues du colonel Fabien, pour ne parler de la France, de Jean Jaurès…

 

Souvent, ce n’est pas l’image de la personne mais le respect qu’on a en prononçant son nom renvoie à ses œuvres. Si nous sommes les premiers à jeter l’anathème, on donne du coup raison à ceux qui n’aiment pas le président Sankara. Il y en a qui ne vont plus emprunter la voie du Conseil de l’entente parce qu’ils ne veulent pas voir le bras levé. Arrivé là-bas, ils n’ont qu’à se bander les yeux. En tout cas c’est le président Sankara. Il est tombé là-bas et ça rappelle à ses assassins ce qu’ils ont fait. Pour nous, c’est une fierté de dire qu’il est ressuscité d’une manière ou d’une autre là où il est tombé. 

 

 

 

Par le fait du prince, le président de la Transition, Michel Kafando, avait exhumé le dossier Thomas Sankara, qui a d’ailleurs connu quelques avancées. Où en est-on aujourd’hui sur le plan judiciaire ?

 

 

 

Le dossier est très avancé. Attendez dans quelques jours et vous verrez les résultats. Au moment où nous parlons, le dossier est sous le contrôle du juge d’instruction, qui a pratiquement fini son travail. Probablement il prendra une ordonnance dans les prochains jours. Le dossier a vraiment évolué mais nous nous sommes abstenus de communiquer là-dessus parce que ça gêne le travail du juge.

 

Rappelez-vous que quand le président français, Emmanuel Macron, est venu à Ouagadougou, il a dit que la France acceptait d’ouvrir les archives. On a effectivement reçu un lot de documents. Le juge les a compulsés et il s’est fait certainement une opinion. De façon globale, le dossier a en tout cas évolué sous les standards d’un procès équitable. C’est cela qui est important dans ce genre de dossier. Ce n’est pas parce qu’au départ il y a eu le fait du prince qu’il n’a pas respecté les principes du contradictoire, de la présomption d’innocence. Il y a eu des inculpations et ceux qui sont inculpés ont des avocats.

 

On a procédé à la reconstitution des faits au Conseil de l’entente. Chacun a montré ce qu’il a fait le jour de l’assassinat, on a fait les auditions, les interrogatoires… On a reconstruit les faits. Ce que le peuple veut, c’est le procès, et qu’on puisse aussi enterrer à nouveau les restes qui sont dans les mains de la justice.

 

On avait exhumé les corps pour les besoins de l’enquête et tout cela est lié. Le peuple connaîtra la vérité et c’est d’ailleurs notre combat depuis 1987. En 1997, le dossier est parti au tribunal. On l’a bloqué jusqu’à la fuite de Blaise Compaoré. C’est pour cela que le président de la Transition, Michel Kafando, a parlé de fait du prince, parce que c’est le fait du prince qui avait bloqué le dossier. Puisqu’on avait même obtenu une décision au niveau du Comité des droits de l’homme qui condamnait l’Etat burkinabè, sous Blaise Compaoré, à ouvrir le dossier. Ils ont refusé et c’est cela que Michel Kafando a levé. Le fait du prince a un fondement. On avait déposé le dossier dans un tiroir et mis les pieds dessus. Lui il a levé les pieds par le fait du prince et le juge s’est saisi du dossier et fait son travail.   

 

Il y a aussi la question de l’ADN qui a été posée entre-temps. Est-ce qu’on a pu établir que c’est Thomas Sankara qui gisait dans la sépulture à Dagnoën ?

 

 

 

Il n’y a pas seulement l’ADN comme élément de preuve. Il y a notamment l’enquête balistique, avec les balles et les objets qu’on a retrouvés et qui sont gardés en lieu sûr sous scellés et filmés. Au départ, c’est la famille de Sankara qui avait demandé le test ADN.

 

 

 

Entretien réalisé par

 

Evariste Ouédraogo

 

Hadepté Da

 

Rabiatou Congo

 

Dernière modification lemercredi, 10 juin 2020 21:04

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