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Victimes terrorisme et covid 19 : «La blessure psychique ne guérit pas sans prise en charge adéquate» (Pr Kapoune Karfo, psychiatre)

 

Notre pays connaît un contexte socio-sanitaire particulier marqué par la pandémie de la covid 19, d’une part, et  d’autre part, le terrorisme. Ces deux crises, apparemment opposées par leur origine, ont en commun des impacts psychosociaux et psychologiques semblables comme la peur, les problèmes de santé mentale et l’exclusion sociale. Quelle prise en charge pour ces différents troubles ? Dans cette interview, le Pr Kapoune Karfo, psychiatre des hôpitaux, nous parle de la prise en charge psychotraumatique dont le besoin est énorme, mais l’offre insuffisante.  

 

 

 

 

Quels peuvent être les impacts psychosociaux et psychiques de phénomènes comme le terrorisme et la covid 19 sur les populations ?

 

 

 

Sur le plan de la dimension psychosociale, ils entraînent, au premier plan, la peur. Cette peur dérive du stress dépassé. Il y a, en plus, le stress émotionnel et financier associé aux pertes socio-économiques,  l’augmentation des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, la pression accrue pour les soins, l’augmentation de la violence et d’autres comportements  antisociaux, des problèmes professionnels et l’augmentation des facteurs de stress liés au travail, la stigmatisation et l’exclusion sociale,  les problèmes comportementaux associés à la perturbation des activités courantes et la détresse résultant de différences réelles ou perçues dans l’accès au soutien psychosocial et aux autres ressources en santé.

 

Ces aspects psychosociaux vont semer la psychose au sein des populations. Le désordre mental qui va s’en suivre se manifestera dans trois domaines principaux : émotionnel, comportemental et cognitif.

 

 

 

Comment se manifeste ce déséquilibre?

 

 

 

Sur le plan émotionnel, ces réactions se manifestent sous forme de peur (une perte de contact avec la réalité de la maladie, la peur d’être discriminé, stigmatisé, la peur de contracter la maladie), d’inquiétude, d’anxiété (l’impression que ça va basculer, que quelque chose va arriver, et cette impression est permanente avec souvent des exacerbations. On peut aussi s’inquiéter pour nos amis, nos parents, nos enfants), de colère, d’irritabilité (c’est une manifestation de l’impatience des personnes en attente de prise en charge, elle peut être liée au confinement, à la mise en quarantaine, à trop de travail abandonné à cause de la covid 19, à une mauvaise organisation du secours en général (trop de critiques), à la perte de personnes chères où la séparation expose l’individu au réel de la mort qui peut, plus tard donner lieu à un état de stress post traumatique.

 

Sur le plan comportemental, c’est, entre autres, une sensation de vide dans l’estomac, une constriction au niveau de la poitrine, des palpitations cardiaques, la faiblesse physique, des troubles gastro-intestinaux, le gain ou la perte de poids, des réactions cutanées.

 

Sur le plan cognitif, il s’agit notamment de l’incrédulité : manque de foi, de croyance dans les choses religieuses, la confusion mentale, la difficulté de concentration, les troubles amnésiques. Le délire peut aussi intervenir avec des thèmes variés comme la persécution, ou de grandeur. 

 

C’est dire ainsi que le terrorisme et la covid19 peuvent entraîner chez l’homme un psychotraumatisme, encore appelé traumatisme psychique ou traumatisme psychologique.

 

 

 

Qu’est- ce que le psychotraumatisme ?

 

C’est le phénomène du choc se déroulant au sein du psychisme. Le trauma, c’est quand le stress est dépassé, c’est une expérience psychologique d’effraction des défenses où l’individu est confronté de manière inopinée au réel de la mort ; il a vu sa propre mort ou la mort d’un proche sans la possibilité d’y attribuer un sens. Les situations dans lesquelles cela se produit sont : les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou provoquées, comme les inondations, les incendies, les tremblements de terre, les guerres, la maladie, les épidémies et les pandémies, les viols, les violences, les maltraitances, les déplacements forcés, les famines, les accidents de la voie publique.

 

Les sapeurs-pompiers, les soignants lors des catastrophes et des pandémies, les secouristes, les décideurs qui cogitent les réponses à donner à la crise, qui sont souvent sur le terrain et en contact avec les horreurs sont généralement confrontés à ce stress.

 

 

 

Comment se fait  la prise en charge du psychotraumatisme ?

 

 

 

La prise en charge du psychotraumatisme relève d’emblée du spécialiste. Il existe des protocoles d’approche qui permettent de proposer au patient, au groupe une prise en charge selon que la situation est aiguë ou s’il s’est déjà instauré un tableau de stress post traumatique. Cet accompagnement combine des moyens psychologiques et des moyens médicamenteux selon la gravité du cas.  La prise en charge précoce permet d’éviter des complications redoutables du tableau clinique ; une simple frayeur, une simple peur, une sidération non traitée peuvent entraîner des conséquences graves pour la victime.

 

Plusieurs techniques peuvent être utilisées : il s’agit, entre autres, de  la méthode de réassurance, des thérapies comportementales et cognitives, de la  prise en charge collective, de la prise en charge médicamenteuse. Cependant il faut déplorer une insuffisance de la réponse proposée dans notre pays.

 

 

 

Qu’est-ce qui explique cette insuffisance de prise en charge adaptée?

 

 

 

L’insuffisance de la prise en charge est liée premièrement à l’ignorance, généralement des victimes mais aussi des aidants. Dans l’imaginaire social, on se dit toujours que ça va passer, que ce n’est qu’une question de temps. Cela peut être vrai pour les traumatismes somatiques, une blessure corporelle, une jambe amputée par  suite d’un accident ou arrachée par une mine antipersonnel, un pavillon d’oreille sectionné  dans une torture, qui peuvent cicatriser facilement. Le soma est certes guéri, souvent avec des séquelles, mais la blessure psychique ne l’est pas s’il n’y a pas eu de prise en charge. Comme nous l’avons dit dans la définition, le sujet est confronté au réel de la mort, il a vu sa propre mort ; il y a eu effraction dans le psychisme, une blessure dans son appareil psychique et cette blessure ne peut pas être traitée simplement par la cicatrisation d’une plaie ou même la réparation des dégâts somatiques et sociaux ; le déplacé interne, le rapatrié de force n’ont pas besoin que de nourriture et de couverture.

 

Dans un deuxième temps, pour une meilleure prise en charge du psychotrauma, il faut des spécialistes, et ils sont insuffisants dans notre pays. Le peu de spécialistes sur le terrain est vite débordé par les conséquences sanitaires des deux crises. Au Burkina, une dizaine de personnes seulement sont formées à la prise en charge du psychotrauma, et cela est à mettre à l’actif de la société burkinabè de santé mentale en collaboration avec des partenaires français et onusiens. Conséquence : chacun y va de sa propre initiative, de ses propres émotions, ce qui ne peut pas nous tirer d’affaire, mais que faire ?

 

 

 

Justement, vous entendez apporter votre contribution à la formation de spécialistes à travers l’Institut de médecine et sciences alliées (IMSA) qui ouvre aujourd’hui même…

 

 

 

En tant que formateurs, un groupe d’enseignants pour la plupart, nous avons pensé qu’il était impératif de dispenser une formation certifiante dans la prise en charge du psychotrauma destinée à tous ceux qui, sur le terrain, sont confrontés ou s’occupent déjà du psychotraumatisme de manière directe ou indirecte. Cette formation est cyclique, c’est-à-dire périodique, 3 sessions de formation dans l’année d’une durée d’un mois en présentielle, seulement les vendredis après-midi et les samedis. Nous visons surtout les locaux (nationaux : ndlr), car il urge de mettre en place cette formation vu  notre situation de pays en double crise. Le lancement de la première session a, en effet, lieu le 22 juillet 2020 à l’Institut de médecine et Sciences alliées (IMSA) sis au quartier Tanghin de Ouagadougou.

D’autres formations certifiantes sont au programme comme la prise en charge de l’autisme, la gestion du stress et la relaxation, le développement personnel et l’accueil en structure de soins, la relation soignant/soigné.

 

 

Alima Séogo née Koanda

 

Tél. : 79 55 55 51

 

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