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Renforcement de la cohésion sociale : Mélégué appelle à un Forum des communautés

 

Dans les lignes ci-dessous, l’ambassadeur Mélégué Traoré qu’on ne présente plus analyse la question communautaire au Burkina. Si le pays jusqu’à un passé récent a été épargné par le poison de la division, il y a  maintenant, selon l’ancien ministre, des signes d’inquiétudes avec le terrorisme. C’est pourquoi il propose, entre autres remèdes à cette situation, l’organisation d’un Forum national des communautés.

 

 

 

 

La thématique n’est pas nouvelle, mais actuellement le contexte national évolue vers une situation qui pourrait devenir dangereuse, si elle ne l’est déjà. Elle concerne tant l’Etat que la nation et le peuple, mais peut-être surtout chaque communauté ethnique, donc chaque citoyen, à commencer par les élites. Il aura fallu que le terrorisme frappe le Burkina Faso avec de plus en plus d’acuité et de dangerosité pour que la question communautaire et intercommunautaire devienne centrale dans le pays. Les faits montrent d’ailleurs qu’il ne faut pas, du point de vue des acteurs, se limiter aux entités ethniques : il existe d’autres types de communautés de premier plan, à commencer par les grandes dénominations confessionnelles que sont les Eglises, catholique ou protestantes, et la Communauté musulmane dans ses différentes composantes. Les animistes, la dénomination confessionnelle originelle et donc la plus ancienne, entre peu dans le jeu, car elle n’est pas dotée d’une organisation à structuration centrale, au-delà de ses segments de base, et n’est généralement pas en tant que telle à l’origine des conflits.

 

         Jusque-là les Burkinabè étaient fiers, parfois plus que de raison, de proclamer avec force qu’au Burkina Faso il n’existe pas de problème ethnique. Et que les différends intercommunautaires, quand ils advenaient, avaient uniquement des dimensions sociales et économiques, car ils se limitaient aux disputes pour l’exploitation des terres entre agriculteurs, ou encore aux conflits entre ceux-ci et les éleveurs. On devrait désormais, de manière réaliste, y ajouter d’autres vecteurs des ruptures de l’ordre social de base et de la paix, que sont les migrations internes ou transnationales et, désormais, les déplacements massifs de population.

 

         Car le tableau quelque peu idyllique dont il est fait mention ici est à présent dépassé. Et il faut cesser de faire preuve d’idéalisme ou de myopie sur ces questions. Les terroristes ont eu la vertu, si ça en est une, de provoquer et de mettre à nu des fractures du tissu de la nation burkinabè. Certaines ruptures de la paix, qui apparaissent actuellement, étaient jusqu’ici latentes. De situations de conflits dormants, elles sont passées à l’état de crises ouvertes. D’autres existaient mais étaient inconnues, peu visibles ou à faible intensité. La dernière catégorie de conflits résulte des effets collatéraux des attaques terroristes.

 

Elles apparaissent parfois comme de simples conséquences de ces attaques. Mais le conflit devient beaucoup plus grave quand il fait partie d’une stratégie déterminée de la part des terroristes. Car dans ce cas, l’attaque est lancée précisément pour provoquer l’antagonisme et la désunion au sein d’une communauté ou entre des communautés. Quoi qu’il en soit, ces situations sont extrêmement nocives pour la communauté nationale. D’aucune manière on ne devrait en minimiser la portée et les conséquences, car celles-ci seront durables dans beaucoup de cas, sur le double plan des communautés et des citoyens.

 

La plus dangereuse actuellement est sans doute le risque qu’apparaisse et se développe une question peuhle qui n’existait pas jusqu’ici au Burkina Faso. L’affaire de Yirgou et plusieurs autres évènements graves survenus après en sont emblématiques. Yirgou a été le révélateur de phénomènes qu’on ignorait ou qu’on feignait d’ignorer. Et on doit en faire une analyse intelligente, avisée et complète si on veut enrayer les prémices d’une spirale qui peut devenir dévastatrice. Car on sait bien qu’il n’y a aucune raison pour que la fracture qui s’installe se limite à la seule différenciation entre les Peulhs et d’autres communautés. La stigmatisation des Peulhs, qui s’est généralisée dans le pays, n’est en aucune façon acceptable, mais quelque part elle indique aux autorités et à tous la voie à suivre, et ce qu’on devrait faire ou ne pas faire.

 

Les affrontements entre communautés sont faciles à déclencher. Le sentiment identitaire est légitime au départ, car l’ethnie, c’est l’espace où chacun de nous retrouve son Etre social originel. C’est la matrice de notre identité, et personne ne devrait avoir de complexe à affirmer ce qu’il est, le fils ou la fille de son ethnie. A cet égard, il faut savoir résister à une de nos propensions, i.e. au mimétisme incompressible des concepts venus de France, et ne pas diaboliser la notion de communauté que les Français exècrent tant. Il reste que l’identification à une communauté particulière se prête très facilement à toutes les dérives quand on ne sait pas en faire positivement la gestion. Ici, comme pour les autres grands enjeux humains et sociétaux, la bonne approche commence par l’intelligence des faits et des situations.

 

A l’origine donc, les composantes ethniques du Burkina Faso. Tout - ou presque – a déjà été dit et écrit sur cette question. Il suffit de se référer aux excellents travaux de nos universitaires et de nos chercheurs du CNRST, qui sont parmi les meilleurs du continent. En la matière, je sais de quoi je parle, ayant dirigé l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique cinq ans durant. Il n’est pas nécessaire de refaire l’histoire du pays, mais on ne peut pas se dédouaner de la référence aux communautés. Il est en outre inutile de rouvrir le débat sur les statistiques ethniques : elles ne sont véritablement d’aucun secours ici, sauf quand elles éclairent sur tel ou tel enjeu. Toutefois, on peut au moins retenir quelques traits significatifs de la cartographie ethnique du Burkina Faso.

 

 

 

« Les rebellions et les guerres civiles naissent rarement de la majorité »

 

 

 

Avec la moitié de la population, les Mossi constituent de loin la communauté numériquement la plus importante du Burkina Faso. Ils pourraient, non seulement  tout imposer, mais certainement s’assurer la suprématie dans l’occupation des postes dans l’administration et au plan de l’Etat. Mais on sait aussi ce que cela donne en général dans les pays en Afrique et dans le monde, avec les inévitables convulsions et les révoltes des communautés minoritaires. Les rébellions et les guerres civiles naissent rarement de la majorité, mais plutôt des minorités. Les élites mossi ont su, hormis quelques velléités qui n’ont pas prospéré dans la durée, et ce, dès la reconstitution de la Haute-Volta en septembre 1947, résister à la tentation de tout accaparer du fait de leur nombre. Les minorités ont, de leur côté, su éviter de tomber dans les travers de l’ethno-régionalisme, du crypto-ethnicisme et de la surenchère si l’on excepte les velléités mort-nées du Mouvement Autonomiste de l’Ouest, le MAO, de la deuxième moitié des années soixante-dix, visant à créer une hypothétique et incertaine République du Kénédougou.

 

Le Burkina Faso montre, sur ce plan, une incontestable originalité, et fait montre d’exemplarité en Afrique. Pour l’essentiel, dans notre pays, le critère ethnique n’est jamais entré en ligne de compte dans la gouvernance de l’Etat. Aucun président d’institution ou ministre dans notre pays, aucun chef d’entreprise non plus, ne choisit ses collaborateurs à partir de critères ethniques ou régionaux. Les chefs d’Etat successifs depuis 1960, jusqu’aujourd’hui, ont toujours donné l’exemple sur ce plan.  Ce fait doit être salué. C’est une raison de plus pour ne pas tomber dans la tentation de fabriquer une question peuhle qui n’a jamais existé chez nous, et qui ne devrait pas exister.

 

L’Afrique est ainsi faite : chaque communauté ethnique a son génie propre qu’elle apporte dans l’ordre de la nation. C’est cela la richesse de notre nation. On oublie trop souvent que les Peulhs constituent, avec 11% de la population, la deuxième ethnie au Burkina Faso. Ils sont les seuls à être présents dans toutes les provinces et dans l’ensemble des communes du pays sans exception. Ils devraient de ce fait être un facteur d’intégration nationale et non le contraire. Présents dans tout le golfe de Guinée, et au Soudan occidental, jusqu’en Afrique centrale, allant aux confins du Soudan oriental, ils sont tout autant, vecteur d’intégration régionale. Mais ils ne le seront véritablement que s’ils en sont eux – mêmes conscients, se conçoivent et agissent en conséquence, et si on les considère comme tel. Ils ont de la ressource à cet égard : les cadres et intellectuels peulhs constituent une composante significative de l’élite burkinabè. Ils comptent en leur sein, des intellectuels parmi les plus denses et les plus brillants du Faso.

 

Il faut en fait revenir à la morphogenèse de l’Etat burkinabè pour décrypter l’intelligence des faits et de notre situation. Ce pays, comme la plupart des autres Etats africains, à l’exception de ceux du Maghreb, de l’Egypte, du Burundi, du Rwanda, de l’Ethiopie, du Lesotho et du Swaziland, a été créé de toutes pièces par le regroupement arbitraire de blocs ou d’entités ethniques précoloniaux. Ceux-ci n’avaient parfois rien à voir les uns avec les autres, et n’ont pas choisi à l’origine d’être positionnés dans un même Etat. Dans le cas du Burkina Faso, c’est la juxtaposition, et le formatage autour de l’ensemble mossi central, qui a donné la cohérence géopolitique interne à la colonie, puis à l’Etat burkinabè, des blocs de l’Ouest, du Nord, de l’Est, du Sud, du Sud-Est et du Sud-Ouest. Sur les plans ethnique, anthropologique et sociologique, chacun de ces blocs avait – et a – ses spécificités. Et nous sommes tous fiers d’appartenir à nos communautés respectives. Mais il faut dépasser ces communautés particulières et singulières, pour édifier la communauté nationale.

 

A la reconstitution de la Haute-Volta en 1947, tout n’a pas été qu’harmonie, comme le montrèrent les réticences du Nord peuhl et targui, de l’Ouest multiethnique autour de Bobo Dioulasso, et de l’Est gourmantché, avec le roi Simandari, quand il fut question de faire renaître la colonie dans ses frontières de 1919. Mais cette étape franchie, on est frappé par la force de la cohésion de l’ensemble voltaïque, alors qu’on aurait pu connaître le contraire. Et cette force, on la doit à la lucidité, à l’intelligence, à la maturité, et à l’engagement de la première génération des élites politiques voltaïques. Certes les sensibilités ethniques étaient et sont toujours là, parfois incidemment exploitées, mais la nation burkinabè comme bloc, a résisté, et les a toutes dépassées.

 

C’est depuis lors qu’il n’y a jamais eu de parti ethnique ou ethnorégionaliste au Burkina Faso. A la vérité, il n’y a pas eu de projet sérieux d’en instituer. Et la tentative de créer à l’Ouest, la ‘‘République du Kénédougou’’ à partir du fleuve Mouhoun, qui serait devenu la frontière, par le Mouvement Autonomiste de l’Ouest, le MAO, en 1975 – 1977, n’a guère prospéré. On a dû son échec à la maturité des leaders politiques de l’Ouest, mais aussi du gouvernement, et de l’élite du plateau mossi. L’initiative aurait pu être périlleuse pour le pays, mais elle ne l’a pas été, précisément du fait de cette maturité des dirigeants et des élites, toutes régions et toutes ethnies confondues. C’est aussi cela le génie du peuple burkinabè. Dans les faits, le rejet de l’initiative par le président Sangoulé Lamizana, et la position d’abord ambiguë, mais finalement positive, du professeur Joseph Ki-Zerbo, mirent fin à ces velléités fractionistes.

 

Les médias privés, qui à partir des années quatre-vingt-dix se sont épanouis, à commencer par les précurseurs qu’ont été Kibaré, l’Eclair, le Patriote, le B.Q. et l’Observateur d’Edouard Ouédraogo né en 1973, ont su suivre et maintenir cette ligne. Aucun média dans notre pays n’a de caractère régionaliste ou d’orientation ethnique, et cela est à saluer fortement.

 

C’est ce dont l’élite actuelle a hérité. Elle a eu le mérite de le préserver, même si au détour de certains propos circonstanciels, y compris de très hauts responsables de l’Etat, on sent pointer de temps à autre des sentiments à relents ethniques ou ethnorégionalistes, comme on l’a vu lors de l’affaire Yirgou. Les nouvelles élites, la génération qui va remplacer la nôtre, doivent défendre et cultiver ce legs de la cohésion de base de la nation, en comprenant qu’il n’y a pas de Burkina Faso sans ce mélange originel, et sans le caractère fusionnel de notre nation.

 

La responsabilité première sur la question communautaire, est celle du Président du Faso, du gouvernement, de la haute administration, et des intellectuels. Construire l’Etat et surtout la nation, est la première mission du Président du Faso, du Premier ministre et du gouvernement en tant qu’organe collectif, mais aussi de chaque ministre et bien entendu du Parlement. Cela commence par l’élaboration par le gouvernement, d’une vision cohérente et déterminée quant à la question de l’unité nationale. Les initiatives comme le dialogue politique ouvert entre l’opposition et la majorité vont dans la bonne direction. Mais ce type d’actions ne suffit pas, essentiellement parce que le dialogue se déroule loin des populations ou même des élites, et se limite au jeu politicien dans lequel les partis détiennent les premiers rôles. Quant à l’Assemblée nationale, elle doit être au centre de la dynamique communautaire, et avoir une vision exemplaire de ces enjeux. Elle a la légitimité de pont à cet égard.

 

 

 

« La cohésion nationale est l’affaire de tous les segments de la société et de l’ensemble des citoyens »

 

 

 

C’est à tous les niveaux que la cohésion nationale se construit. Le gouvernement devrait mener une réflexion, et élaborer un document de référence sur cette thématique, en donnant des instructions à tous les gouverneurs, hauts-commissaires, préfets et maires, chefs des structures déconcentrées, afin qu’ils l’exploitent comme outil d’action. Ils organiseront alors des conférences ou des concertations à chaque niveau de la structuration territoriale du pays. Les acteurs en seront les chefs de village ou de canton, les responsables de secteur dans les villes, les leaders des communautés ethniques ou traditionnelles, confessionnelles, professionnelles et partout, les personnalités ayant de la notoriété. Ce type d’initiatives doit être doublé de rencontres d’animation et de sensibilisation au niveau des groupes sociaux spécifiques, tels que les associations de jeunes, les groupements de femmes ou encore les travailleurs et les syndicats. Car la cohésion nationale est l’affaire de tous les segments de la société, et de l’ensemble des citoyens. La communauté nationale s’édifie grâce à cette dynamique inclusive et globalisante, en ce qu’elle est le dépassement des communautés singulières.

 

Mais le discours ne suffit pas dans ce domaine. Sont aussi en cause les comportements, les attitudes et les gestes des gouvernants et de l’élite, intellectuelle ou non, à commencer par le sommet. Il est des choses et des déclarations qu’on ne devrait pas entendre de la bouche du président du Faso, du Premier ministre, d’un président d’institution, d’un ministre, d’un gouverneur, d’un haut-commissaire, d’un préfet, d’un maire, d’un ambassadeur, d’un directeur général, d’un haut fonctionnaire, d’un universitaire, d’un chercheur, de tout cadre burkinabè. Or, dans l’affaire de Yirgou, que n’a-t-on pas entendu comme propos sur les Peulhs, venant parfois de hautes personnalités de l’Etat et d’intellectuels. La cohésion nationale se renforce d’autant plus que les déclarations ou le discours et les comportements des gouvernants à tous les niveaux, central et territorial, servent d’indicateurs d’inclusion, et non d’exclusion ou de stigmatisation, en direction des populations. La déclaration d’un président d’institution ou d’un ministre, est toujours un message d’Etat.

 

 Les politiques et les initiatives que lance le gouvernement, doivent être sans aucune ambiguïté sur ce plan. La véritable ségrégation actuelle qui est faite dans certaines zones, tendant à empêcher les jeunes Peulhs d’intégrer les unités des volontaires créées pour agir en matière de sécurité est inacceptable. Et on attend du gouvernement qu’il y mette fin fermement et sans délai.  

 

 Il faut aller au-delà des dirigeants et des élites. C’est au niveau du corps social lui-même, et de chaque Burkinabè, que la prise de conscience doit s’opérer, et que le travail de conscientisation doit se faire. Tout ce qui est réalisé aujourd’hui par les associations, par exemple pour la promotion de la parenté à plaisanterie ou dans les sanctuaires animistes interethniques, doit être valorisé, et cela, dans le discours des plus hautes autorités de l’Etat, mais aussi des responsables de l’administration territoriale.

 

C’est le moment de redonner de la vigueur et du dynamisme aux organisations de jeunes, telles que les scouts, la JEC, la Croix rouge de la jeunesse, la JAC, les nouveaux groupements de jeunes, la jeunesse musulmane et celle de l’action catholique, le mouvement associatif en général. Car ce sont là de formidables espaces de dépassement des communautés primaires, et de construction de la communauté et de la cohésion nationales. Aujourd’hui, les associations les plus diverses, jusqu’aux grins de thé, doivent être mobilisés, et formés aux fins de la construction de la communauté nationale burkinabè, caractérisée par l’unité et la cohésion.

 

L’avenir du Faso qui actuellement fait face à une redoutable et pernicieuse adversité, passe par là. Parmi les réponses à la situation nationale, l’organisation d’un Forum National des Communautés, apparaît comme l’une des réponses les plus pertinentes et les plus prometteuses à notre situation. Il est destiné à construire la matrice et l’assiette de l’harmonie entre les communautés, et leur cohabitation harmonieuse au sein de la communauté nationale. Aussi, un appel est-il lancé à tous les citoyens engagés, pour qu’ils adhèrent au projet.

 

 

 

Ambassadeur Mélégué Traoré

 

                       Ministre plénipotentiaire

Docteur en sciences politiques

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