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Coup d’Etat au Mali: « Rien ne va changer » (Issa Zono, Malien vivant au Burkina)

Cela fait une trentaine d’années qu’Issa Zono a quitté son Mali natal pour le Burkina Faso. Les raisons de son départ sont politiques. Et depuis son éloignement des bords du Djoliba en 1980, il n’a jamais tourné le dos à l’actualité politique. Le proviseur du lycée Wendmanégré, dans le quartier Karpala de Ouagadougou, nous a confié le mercredi 19 août 2020 qu’il n’approuvait pas la gestion d’Ibrahim Boubacar Keita, mais que le coup d’Etat n’était pas la solution. Pour lui, le pronunciamiento n’apportera aucun changement à son pays sur les plans sécuritaire et de la gouvernance.

 

 

Comme diraient les militants des mouvements estudiantins ou politiques, c’est un grand camarade de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) que nous avons sorti du bois le 19 août dernier, actualité politique de son pays oblige. Issa Zono, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un homme du troisième âge. Cette année, le natif de Ségou, ville située à 240 km de la capitale du Mali, Bamako, a 62 ans. Ayant vécu une trentaine d’années au Burkina, il a aujourd’hui la nationalité burkinabè. Il peut donc se réclamer à la fois malien et burkinabè.

La venue de Zono au Pays des hommes intègres ne s’est pas faite de gaité de cœur. Ce fut par la force des choses. L’élément déclencheur de son départ, l’assassinat de son camarade de lutte Abdou Karim Camara, dit Cabral. Ce dernier, étudiant en philo-pédagogie à l’Ecole normale supérieure (ENSUP), est élu le 17 février 1980 président de l’UNEEM lors d’un congrès qui se tient dans la clandestinité. L’organisation avait été dissoute par le régime de Moussa Traoré. Le congrès lance un mot d’ordre de grève pour réclamer la libération de lycéens arrêtés lors de manifestations à Ségou. Le mouvement des étudiants est violemment réprimé. Abdoul Karim Camara est arrêté le 16 mars 1980 alors qu’il se trouvait dans un camion en route pour la Guinée. Il est conduit au commissariat du 2e arrondissement de Bamako où on le torture et le force à enregistrer un appel à la fin de la grève qui est diffusé sur la radio nationale. Il est ensuite conduit et torturé au camp para de Djikoroni à Bamako, où il meurt de ses blessures le lendemain.

 

« C’est seulement le pouvoir qui intéressait IBK »

 

Après ce drame, ce fut la débandade dans les rangs de l’UNEEM. Certains militants se sont retrouvés en Guinée Conakry, d’autres au Sénégal. Zono, lui, a fait le choix du Burkina Faso parce qu’il avait des parents et des amis dans ce pays. Celui qui a plus motivé son choix pour le Pays des hommes intègres, c’est le président Thomas Sankara. A l’en croire, le père fondateur de la révolution d’août 1983 incarnait sa façon de comprendre le monde.

Bien que loin de son pays, l’activiste Zono s’est toujours intéressé à sa gestion. Et Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) élu président en 2013, n’a jamais été le choix de ce professeur de français de formation. Mais comme il a été porté à la magistrature suprême par la majorité, c’est à contre cœur qu’il l’a accepté. « Nous avons tous décrié  le coup d’Etat de 2012, y compris IBK. Ce coup de force a plongé le Mali dans une crise  indescriptible. Une grande partie du pays est occupée par des groupes armés. IBK a condamné le coup d’Etat et après il est allé faire allégeance aux soldats du rang, afin de bénéficier de leur soutien aux élections. Effectivement,  il a obtenu leur soutien.  Depuis lors,  j’ai compris que ce monsieur, c’était le pouvoir qui l’intéressait, pas l’intérêt général », a donné en guise de justification celui qui battait en 2018 campagne pour le PARENA (Parti pour la renaissance nationale).

Le Mouvement du 5-Juin Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), coalition hétéroclite de chefs religieux, de la société civile et d’hommes politiques, réclame depuis plus de deux mois la démission d’IBK, élu en 2013 puis réélu en 2018 pour cinq ans. Dans la journée du 19 août 2020, les militaires finissent par avoir la tête du président à l’issue d’une mutinerie. L’on apprend par la suite qu’il s’agissait d’un coup d’Etat. « C’est malheureux,  mais je ne suis pas surpris de l’issue des évènements, car il y avait un enlisement de la situation qui a trop duré ; un blocage total de part et d’autre. Et cela n’était pas du tout à l’avantage du pouvoir en place. Il revenait au président de faire tout pour débloquer cette situation avant que ça ne dégénère. Il aurait dû négocier. Tout le monde sait qu’en démocratie, on ne peut pas obtenir du jour au lendemain la tête du président. Il fallait donc faire quelques concessions. Malheureusement, ce ne fut pas le cas, et le coup d’Etat est survenu », déplore le communiste. Pour lui, le chef de l’Etat aurait pu dissoudre l’Assemblée nationale et cette résolution aurait eu l’avantage de faire baisser la contestation qui montait de jour en jour.

 

Le plaidoyer de l’enseignant pour son pays

 

Pour ce père de quatre enfants, le coup de force ne va apporter de changement ni sur le plan de la gouvernance, ni sur celui  plan sécuritaire au Mali. Mais, loin de lui l’idée de ne pas faire confiance aux militaires. « Un coup d’Etat n’était pas la solution. La solution, c’était la négociation. Ça allait prendre le temps que ça devait prendre, mais c’était la solution à mon avis. Ce sont les militaires qui ont conquis le pouvoir et non le M5. Est-ce que les problèmes que les Maliens vivent aujourd’hui, les militaires pourront les résoudre ? » se demande-t-il.

Dans un communiqué, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a condamné la remise en cause de l’ordre constitutionnel.  Selon Zono, la CEDEAO joue son rôle. C’était la même chose en 2012. Pour lui, c’est pour dissuader tous ceux qui voudraient arriver au pouvoir par la force parce que l’Afrique indépendante n’a connu que ça. « Au début des indépendances, pour éviter que les pays africains soient divisés politiquement, socialement et sur le plan communautaire, les partis uniques étaient l’option. Mais ces partis uniques ont échoué, parce qu’ils étaient la propriété d’un clan, celui du président. Il n’y avait pas une égalité dans la répartition des ressources de l’Etat », rappelle l’enseignant.

 

La période des coups d’Etat étant révolue, cet ancien activiste persiste et signe, le pronunciamiento n’était pas la solution. « Cette façon de faire nous met toujours en retard », déplore-t-il. Selon lui, la fermeture des frontières terrestres et aériennes par la CEDEAO ne va profiter à personne. « C’est mettre le pays en quarantaine économique, en plus de ce que tout le monde a vécu avec  la Covid 19. C’est grave. Il faut que la CEDEAO revoie ses mesures, car il faut bien que le peuple vive », plaide le communiste.

 

Akodia Ezékiel Ada

Félicité Zongo

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