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Lycée scientifique national de Ouagadougou : Déboires d’un SDF temporaire

A 18 km du centre-ville, sur la RN 3 (Axe Ouaga-Kaya), loin du brouhaha de la capitale, trône fièrement l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP) de Loumbila. Une partie de ce centre de formation pour instituteurs s’est retrouvée, au cours de l’année scolaire 2019-2020, à abriter le staff administratif et les élèves du Lycée scientifique national de Ouagadougou ; eux qui attendent toujours de rejoindre leur site définitif sis à Bassinko, à la sortie nord de la capitale. Ce statut de SDF temporaire, puisqu’ils avaient auparavant squatté les locaux de 2iE à Kamboinsé, est à l’origine de quelques déboires dans l’enseignement des cracks. A cela s’ajoute la pandémie de coronavirus qui a précipité la fin d’année chez les apprenants des classes intermédiaires, selon les explications de nos différents interlocuteurs rencontrés le 24 juin 2020.

Le cadre est paisible. Il y règne un calme presque agreste. Les seuls bruits qu’on y entend, c’est le chant des oiseaux et le ronronnement des camions qui s’activent dans la construction de l’autoroute de contournement. Un des chantiers à la fois emblématiques et pharaoniques du régime Roch Marc Christian Kaboré. C’est le temps d’une petite pause avant la reprise du cours du jour avec l’enseignant des Sciences de la vie et de la terre (SVT). A cette heure de la journée, dans d’autres établissements, c’était généralement la ruée vers le petit marché, n’eût été la covid 19 qui a renvoyé une bonne partie des effectifs à la maison. Ici, au lycée scientifique national de Ouagadougou, cet intermède est mis à profit pour se soulager pour les uns ou prendre de l’eau au kiosque pour les autres. Si l’acquisition des connaissances ne tenait qu’à un environnement aussi propice, il est certain qu’aucun pensionnaire de ce lycée n’aurait à se plaindre. Hélas… ce temple du savoir n’aurait de scientifique que la dénomination, selon certaines indiscrétions ; d’où la curiosité d’aller y voir les choses de plus près.

Abdoul Ganihou Zanphara, élève en classe de Tle C, après son cours d’Histoire-Géographie, se jette à l’eau pour évoquer quelques conditions d’études qui lui laissent un goût d’inachevé. «Avant qu’on commence les cours dans ce lycée, on nous avait parlé de certaines choses qui allaient être mises à notre disposition. Par exemple, des salles informatiques, des laboratoires pour les expériences, mais nous n’avons rien vu de tout cela pour l’instant. Cependant les deux premières années (2de et 1re) quand nous étions au 2iE (ndlr : Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement), il y a un laboratoire mobile avec le matériel adéquat, même si nous n’avons pas pu réaliser toutes les expériences. Sur le site où nous nous trouvons actuellement, nous avons eu l’occasion d’aller en salle informatique une ou deux fois », raconte ce jeune homme de 19 ans originaire de la région du Centre-Est. Une situation qui pourrait avoir un impact sur le contenu de l’enseignement qu’ils reçoivent, selon ses propos. L’établissement étant vocation scientifique, comme le dit son nom, Abdoul Ganihou Zanphara croit que ce centre doit plus mettre l’accent sur les séances pratiques. «Le minimum, c’était de nous permettre de faire beaucoup de travaux pratiques. Je prends l’exemple de quelqu’un qui voudrait devenir chirurgien ou médecin biologiste ; je me dis qu’il ne doit pas avoir uniquement des notions théoriques », explique celui qui caresse le rêve de devenir architecte. Un autre point d’insatisfaction à ses yeux est l’hébergement, d’autant plus qu’ils disposaient chacun, au 2iE, d’une chambre, d’une douche et d’un bureau pour étudier, « alors qu’ici au début, nous étions trois, voire quatre, par chambre. C’était un peu coincé et nous n’étions pas vraiment à l’aise. Personne ne pouvait disposer de quelques heures d’études dans la chambre de peur de déranger les autres ou d’être dérangé. Mais actuellement, ça s’améliore », avoue-t-il toutefois. Issu de la toute première cohorte d’as à avoir intégré cette école à la rentrée scolaire 2017-2018, il espère que les conditions d’études et de logement des promotions futures seront « nettement meilleures ».

Fait également partie des « cobayes » Inna Aminatou Charifa Paré, qui voit les choses plus en rose : « Nous évoluons dans des conditions acceptables, vu que nous ne sommes pas encore sur notre site définitif. Nous disposons de manuels pour les cours, nous sommes bien traités et mangeons bien». Le seul bémol, relève-t-elle, c’est l’inexistence d’un laboratoire de Physique et de Chimie. L’élève de 18 ans se rappelle tout de même ce « labo mobile » qui leur a permis, les années antérieures, d’étudier les différents réactifs abordés dans les cours théoriques. Pour elle également, la théorie est bien mais la pratique l’est davantage. « La pratique nous permet d’ancrer ces modules dans nos esprits et peut également nous amener à aimer la matière enseignée », justifie-t-elle. C’est d’ailleurs à force de manipuler les ordinateurs lors des rares occasions qui se sont présentées à elle qu’elle a aiguisé sa passion pour l’informatique et compte, une fois le Bac en poche, se spécialiser dans le développement de logiciels. Comme s’ils s’étaient passé le mot avec leurs prédécesseurs, Amandine Compaoré et Sié Ariel Dibloni affirment que la difficulté majeure est liée à leur statut de Sans domicile fixe (SDF) mais ont bon espoir que les promotions à venir seront mieux loties.   

 

L’année « covidée », exit les séances pratiques

 

Si Abdoul Ganihou Zanphara et ses promotionnaires peuvent se réjouir de n’avoir pas eu à subir d’épreuves pratiques au baccalauréat session 2020, leurs cadets, eux, accusent certainement un grand retard dans le maniement des outils de labo. La faute, cette fois-ci, à la pandémie de coronavirus, apparue au Faso depuis le 9 mars dernier. N’ayant épargné aucun domaine d’activité, les effets néfastes du virus à couronne se sont fait ressentir au niveau du monde éducatif. Ils se sont, en effet, traduits par la suspension des cours dans les différents ordres d’enseignement afin d’éviter que l’indésirable convive s’invite sur les bancs. La reprise des cours, elle, annoncée au moins deux fois, se fera finalement sans les élèves des classes intermédiaires. Mais avant cette étape, les initiatives n’ont pas manqué pour continuer à dispenser les cours. « En période ordinaire, nous utilisons un tableau blanc interactif. Mais avec la covid 19, nous avons pu travailler en ligne, notamment sur les réseaux sociaux comme WhatsApp et Zoom, même si tout le monde n’y avait pas accès », indique Adama Ouédraogo, professeur de SVT. Assis en salle des professeurs, il dit avoir fait au finish, avec ses élèves de 2de et de 1re, plus des deux tiers du programme pour ce qui est des cours théoriques. «Mais pour la pratique, nous recensons au préalable toutes les manipulations utiles pour les élèves afin de leur permettre d’aborder aisément la classe supérieure.

Malheureusement avec ce problème sanitaire, cette partie importante de notre programme a été chamboulée », regrette-t-il, un pincement au cœur, mais avec la détermination d’achever celui de la Tle afin de permettre aux futurs bacheliers de composer avec plus de sérénité. (Ndlr : à l’issue des résultats du premier tour, les 29 élèves ont tous obtenu leur premier diplôme universitaire. Les pensionnaires du Lycée scientifique national de Bobo-Dioulasso ont également fait 100% de taux de réussite). 

Le matériel de labo, à écouter Adama Ouédraogo, dépend des modules et des chapitres abordés. Il cite, entre autres, les microscopes, les lames et lamelles qui servent à la réalisation des coupes avant l’observation. Pour certains phénomènes comme la photosynthèse, étudiée en classe de 1re, il évoque la nécessité de disposer de réactifs. L’étude de la respiration, elle, fait appel à l’utilisation de l’expérience par ordinateur avec des plaques spécifiques. « Cela exige un matériel beaucoup plus approprié mais avec le labo mobile, on ne peut pas faire ce genre d’expériences. Pour l’instant, nous faisons avec ce que nous avons sous la main, mais j’espère que lorsque nous allons nous installer sur le site officiel à Bassinko, nous aurons tout ce qu’il faut pour nous permettre également de réussir davantage nos missions », souhaite-t-il.

 

« C’est sûr qu’en octobre, nous serons dans nos locaux »

 

Nonobstant ces quelques insuffisances, Jean-Paul Boumboundi, proviseur du Lycée scientifique national de Ouagadougou (LSNO), réfute l’idée selon laquelle cet établissement n’aurait de scientifique que le nom. « C’est un vrai lycée scientifique, s’il y a eu une assertion pareille, elle ne vient pas des élèves qui sont dans un régime d’internat. Ils sont dans de bonnes conditions, sont logés et bien nourris. Tout est mis en œuvre afin qu’ils réalisent un rendement digne de ce nom », réplique-t-il. Celui qui se dit à présent familier de ce type de « racontars » confie qu’il y en a qui ont fait le requiem des lycées scientifiques dès leur projet de création. Tout en reconnaissant les « débuts difficiles » inhérents à toute entreprise, Jean-Paul Boumboundi pense que le maximum est fait pour que les cracks soient mieux encadrés, aussi bien sur le plan théorique que sur la pratique. « Les profs, dans leur progression, ont des cours théoriques, et une période de démonstration en classe ou de pratique. Ils élaborent leur programme et nous communiquent le nombre d’heures dont ils ont besoin en matière de Travaux dirigés (TD) ou de Travaux pratiques (TP). Nous, nous soumettons ensuite ce programme au laboratoire mobile qui en voit la faisabilité », explique-t-il. Et de souligner que ce labo, fondé par des profs de PC et de SVT, avec tout le matériel nécessaire, n’a jamais manqué un rendez-vous. Le coût de chaque prestation, dit-il, tourne autour de 25 000 francs CFA et est à multiplier par le nombre de séances voulus par chaque enseignant au cours de l’année. Ce montant prévu dans le budget de fonctionnement de l’école est assuré par le Projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation (PAAQE), lui-même financé par la Banque mondiale. « Je concède que cette année, il n’y a pas eu de TP ni de TD parce que c’est au moment où on voulait entamer le processus que la covid 19 a fait son apparition. Les séances ont lieu généralement en avril. Mais dès le 16 mars, les élèves sont rentrés chez eux et ne sont plus revenus, sauf ceux en classe d’examen. Retenez que pour les années antérieures, les cours ont été dispensés normalement : la théorie et les travaux en laboratoire», assure le proviseur. Pour ceux des classes intermédiaires de cette « académie des sciences » où nul ne passe en classe supérieure s’il a au moins 12 de moyenne sur 20, Jean-Paul Boumboundi pense que des stratégies pourraient être mises en œuvre afin de leur permettre de se rattraper sur les séances pratiques ratées avant d’entamer l’année nouvelle. Ceux des élèves qui n’atteignent pas cette barre de 12 sont tout simplement replacés dans les lycées ordinaires. Si le proviseur Boumboundi admet également que les pensionnaires étaient dans des chambres individuelles à Kamboincé, il estime qu’il serait « même contreproductif de continuer ainsi » ; l’école étant aussi un cadre de socialisation. « C’est même dangereux de les laisser dans des chambres individuelles, il peut y avoir des problèmes de santé. L’objectif de l’école, c’est aussi de leur apprendre à cohabiter, à vivre ensemble », argue-t-il, tout en confiant que l’administration et ses internes seront dans leurs locaux définitifs au mois d’octobre selon l’état d’avancement du chantier.

Aboubacar Dermé

 

 

Encadré 1 :

Presque achevé…

Le 23 juillet, au lendemain des résultats du premier tour du Brevet d’études du premier cycle (BEPC), le chantier, tout aussi excentré, ne connaissait plus son monde habituel ; lui qui brassait environ 400 ouvriers par jour quand il tournait à plein régime selon Narcisse Hébié, superviseur de la mission de contrôle. Seul le bloc pédagogique fourmille de travailleurs qui s’affairent à la pause des carreaux et des faux plafonds. Au pied de ce R+1 qui comportera à terme 6 salles de classe (2 seconde, 2 première et 2 terminale), une seule bétonnière est en activité. L’enceinte abritera, en sus, trois types de laboratoire (Physique, Chimie et SVT). La salle informatique et celle de projection qui pourrait servir de labo virtuelle, en cas de manipulations qui ne requièrent pas la présence physique des élèves, sont presque achevées. Outre le bloc pédagogique qui dispose également d’une bibliothèque, ce site, plus spacieux, de près de 4 ha comporte deux logements (ceux du directeur général de l’établissement et de l’intendant, comme l’exigent les textes) ; un bloc administratif composé de bureaux, de salles de réunion, de cafétéria et une salle polyvalente ou salle de détente qui pourrait servir pour des prestations artistiques. L’école, au-delà du programme officiel, entend faciliter l’éclosion de talents en arts de la scène (représentations théâtrales, de musique, entre autres). La réception provisoire des dortoirs garçons et filles, 90 lits pour les garçons et 120 pour les filles, indique la responsable en charge de cette section, Estelle Judith Béogo, est prévue pour le lendemain 24 juillet. Ce temple de l’excellence qui recevra en moyenne 270 internes est par ailleurs doté d’une infirmerie, idée d’assurer les premiers soins avant de référer les éventuels malades en cas de besoin. Dans l’aile « Restaurant et Cuisine » sont déjà entreposés ustensiles, bouteilles de gaz et tutti quanti, avec ses deux ouvrières qui repassaient la peinture.     

A.D.

 

Encadré 2 :

Les raisons d’un gros retard

 

A l’issue de la visite guidée du chantier, Armand Kirsi Kaboré, coordonnateur du Projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation (PAAQE), fait le point des travaux.  

 

Quel bilan peut-on faire de l’état d’avancement des travaux à ce jour 23 juillet ?

 

Nous sommes à environ 95% de taux d’exécution. Il nous reste essentiellement des travaux de finition dans le bâtiment pédagogique. Les autres sont presque ou totalement achevés. Nous avons déjà programmé la réception provisoire de certains d’entre eux. Ce taux en toute honnêteté n’est pas surévalué.

 

Pensez-vous que les occupants de ce centre pourront s’y installer dès la rentrée prochaine, c’est-à-dire en octobre ?

 

Il n’y a aucun doute là-déçu car le timing est fait de telle sorte que nous finirons les travaux à la fin de ce mois de juillet. Nous mettrons celui d’août à profit pour installer les matériels au niveau des labos, cuisines et salles pédagogiques. En septembre, le gouvernement aura le loisir d’organiser l’inauguration officielle des deux lycées scientifiques nationaux, Ouaga et Bobo-Dioulasso, puisqu’ils sont au même degré d’évolution. Les deux infrastructures coûteront plus de 6 milliards de francs CFA.

 

On sait que ce chantier a été lancé depuis le 19 février 2019 pour un délai d’exécution de 6 mois, qu’est-ce qui n’a pas marché ?

 

Il y a plusieurs facteurs. Le premier qu’il ne faut pas négliger est qu’il a fallu réfléchir sur le concept même de Lycée scientifique. Nous n’en avons pas d’exemple dans la sous-région. Des voyages d’études ont donc été programmés à l’extérieur, des consultants ont été recrutés pour se pencher sur les contenus scientifiques, pédagogiques et surtout sur le cadre de gouvernance à imprimer à la structure. Cela nous a pris pratiquement une année. Le deuxième aspect, c’est que les dossiers ont été montés en vue de lancer le marché mais nous avons rencontré des difficultés au niveau des études architecturales et techniques. Celles-ci nous ont fait traîner. Nous avons fini par lancer le marché, recruter les entreprises et avons encore été confrontés à un autre problème : il est vrai que les travaux ont été lancés à la date que vous avez indiquée mais ils n’avaient pas été faits avec l’approbation des plans d’exécution délivrés par le Laboratoire national du bâtiment et des travaux publics (LNBTP). C’est la seule structure de l’Etat habilitée a donné son Ok pour la réalisation des infrastructures publiques. Les travaux ont bel et bien été lancés mais ce problème devait être résolu entre les entreprises et le labo en question à travers un contrat de prestation dont les entreprises ont eu du mal à respecter les clauses. L’un dans l’autre, nous avons perdu quatre mois du délai d’exécution des travaux avant d’avoir l’approbation de ces plans d’exécution sans lesquels on ne pouvait pas déposer une seule brique. Ces plans nous garantissent, en réalité, la durabilité, la conformité avec les règles de l’art. Un troisième facteur et non des moindres est que le tissu entrepreneurial est assez compliqué : nous avons eu des entreprises sélectionnées sur la base de leurs performances mais dès que le chantier a débuté, nous avons noté des lacunes au niveau de la quasi-totalité d’entre elles si bien que les travaux ont avancé avec peine.

A.D.

Encadré 3 :

Qui peut être admis dans les Lycées scientifiques nationaux ?

 

N’intègrera pas les deux écoles qui veut mais qui sera parmi les 140 premiers à l’issue des résultats du Brevet d’études du premier cycle (BEPC). Autant dire que celles et ceux, comme Fatimata Bintou Jaharahï Savadogo, qui ont déposé des copies ayant frôlé la perfection, sont en pole position. Mais à écouter le coordonnateur du PAAQE, Armand Kirsi Kaboré, les brevetés qui viennent après ce classement peuvent aussi, avec plus de chance, y être reçus étant donné qu’il est également ouvert une liste d’attente. En effet, de ce nombre sortiront des bénéficiaires de bourses américaines, turques sans compter que des écoles tenues par exemple par l’armée ou des religieux ont du mal à se séparer de leurs ‘’champions’’.

Le proviseur, Jean Paul Boumboundi souligne par ailleurs que le statut de ces établissements connaîtra une évolution ; eux qui sont appelés à être autonomes. « C’est possible que pour les années prochaines nous puissions organiser des concours de recrutement tout en tenant compte de l’excellence. On pourrait prendre les meilleurs élèves, fixer une moyenne avant qu’ils ne déposent leurs candidatures pour subir un test. Cela pourrait être fait pour ceux qui ne seront pas retenus par l’Etat, mais qui souhaitent rejoindre ces temples. Mais le principe de qualité s’appliquera toujours », insiste-t-il, relevant au passage qu’il y a treize lycées régionaux de même qualité qui seront implantés dans les chefs-lieux.   

A.D.

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