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Suicide : «Ça part d’un acte banal»(Clément Lankoandé, psychologue)

 

Le 10 septembre, est célébrée la 18e  Journée mondiale de prévention du suicide. Selon l’OMS, 1 suicide a lieu toutes les 40 secondes et une tentative toutes les secondes, ce qui correspond à un million de suicides chaque année. L’acte de mettre fin à ses jours figure parmi les 20 principales causes de décès à l’échelle mondiale. Considéré comme un problème de santé publique énorme, le suicide est pourtant évitable. Qu’est-ce qui peut pousser un être humain à mettre fin à ses jours ? Quels peuvent être les signes d’alerte ? Comment prévenir ? Des éléments de réponse dans cette interview du psychologue clinicien Yimpari Clément Lankoandé, du service de psychiatrie de Yalgado.

 

 

 

Qu’est-ce que le suicide ?

 

 

 

C’est un passage à l’acte. Ça suppose que le sujet renverse une logique agressive contre soi. Il se détruit. C’est un processus pathologique, parce que le fonctionnement psychique normal, c’est éviter le déplaisir et rechercher le plaisir. Pour ce qui est de l’ordre de la souffrance, le sujet veut y faire face pour exister, mais là il y a un renversement, c’est pourquoi il recherche la mort. D’où le syndrome pathologique parce que normalement un être humain ne cherche pas à mourir. Par exemple, en dormant, lorsqu’on rêve, le dormeur  est conscient qu’il dort, tout ce qu’il voit dans son rêve ne l’inquiète pas, ne l’angoisse pas. Mais à partir du moment où il oublie qu’il dort, il panique, et quand il se réveille, il a un sentiment ambivalent, il est joyeux parce qu’il se rend compte que ce n’était qu’un rêve. Mais la nature superstitieuse fait qu’il se demande pourquoi cela lui est arrivé dans mon rêve. Là, c’est la force de la vie qui l’a réveillé pour le confronter à la réalité. Ce qui fait que chez l’être humain la première force, c’est la force de vie, ce qui nous pousse à vivre. Mais, à côté de ça, il y a une deuxième force, la force de mort ou la force de destruction. Lorsque cette dernière prend le dessus chez l’être humain, elle le pousse à se détruire. L’acte suicidaire met en avant tout ce mécanisme. C’est pourquoi lorsqu’il y a une tentative de suicide et qu’au niveau des urgences médicales on lève l’urgence vitale, on propose au malade une consultation psychologique. On pense que la personne a un trouble mental, qu’elle est devenue folle alors que ce n’est pas le cas. C’est parce que, si on ne fait rien, il y a le risque que ça se répète, et ce risque est très important.  

 

 

 

Quelle est l’ampleur du problème au Burkina ?

 

 

 

Au niveau de notre service, nous recevons des cas, des patients qui sont référés des autres services. Soit c’est un centre hospitalier extérieur qui le réfère, soit c’est les urgences médicales, la gastrologie parce qu’il a ingéré des produits toxiques ; soit en moyenne 2 à 3 malades dans le mois. Mais il faut savoir que chez tous ces patients qui sont dans la logique suicidaire, il y a ce qu’on appelle dans notre jargon des équivalents suicidaires. C’est des sujets qui posent des actes comme si, dans ces actes, ils cherchent à mourir inconsciemment : c’est par exemple le cas de ceux qui conduisent dangereusement comme s’ils cherchaient à ce que quelqu’un les cogne dans la circulation, et ils vont mourir et la responsabilité incombera à la personne qui les a cognés. Ça peut aussi fonctionner chez les adolescents comme un appel au secours : par exemple un jeune simule un suicide, et on dit que c’est de l’enfantillage. Pourtant, c’est sérieux, c’est le signe d’un malaise qui doit être pris au sérieux et trouver une réponse conséquente.

 

 

 

Y a-t-il une tranche d’âge qui est plus concernée ?

 

 

 

Ça touche tous les âges mais plus souvent les adolescents et les adultes, aussi les personnes qui sont en milieu de vie, autour de la quarantaine ou de la cinquantaine où le sujet se pose des questions sur son devenir, où il se dit que sa vie n’a plus de sens.

 

 

 

Justement, qu’est ce qui peut bien pousser quelqu’un à s’ôter la vie ?

 

 

 

Très souvent lorsqu’on écoute la victime, chez les adolescents par exemple, ça part généralement d’un fait qui est vu par la famille comme banal, or ce n’est pas banal. Elle a, par exemple, eu une mauvaise note, s’est disputée avec sa maman ou son papa et se dit : mieux vaut mourir. Même l’apparition de l’acné (boutons d’amour) chez l’adolescent peut être cause de suicide. Il peut en effet se trouver horrible et penser qu’il vaut mieux mourir. C’est dire que ça peut passer par toutes sortes de raisons, par toutes sortes de motifs. Mais ce qui sous-tend cela sur le plan psychique, c’est une fragilité. C’est des sujets qui ont du mal à faire face à la frustration, à l’acceptation de la différence, qui sont le plus souvent dans un vécu dépressif. Ça peut être une situation dépressive ou un processus psychotique : par exemple, certaines personnes se suicident parce qu’elles entendent des voix qui leur ordonnent de se suicider. Ce type de suicide est lié à des hallucinations auditives. Cette voix pousse à accomplir l’acte suicidaire, elle ordonne de se suicider. Il y a aussi le suicide lié à une annonce. Il y a un effondrement, une situation où la personne ne se revoit plus vivante, où il vaut mieux mourir. Cela résulte d’un choc traumatique : par exemple, suite à un accident, ou un diabétique qui se retrouve amputé d’un membre et qui trouve que c’est mieux de mourir.

 

 

 

Y a-t-il des signes d’alerte ?

 

 

 

Dans l’entourage, cela peut se ressentir souvent dans les propos du sujet, dominés par des idées noires. Il est sans possibilité de perspectives. Le sujet peut avoir des idées noires, se dire que son seul devenir, c’est la mort, mais il ne passe pas à l’acte parce qu’il y a quelque chose qui le retient, une limite qui fait qu’il ne s’effondre pas. Mais la plupart du temps, chez les sujets chez qui ça s’effondre, il y a un fonctionnement narcissique. C’est des sujets qui sont malades dans leur être.  

 

 

 

Y a-t-il un traitement au suicide ?

 

 

 

Dans le cas du suicide, c’est la logique d’anticipation qui est importante, c’est-à-dire pouvoir repérer ça et inscrire la personne dans un accompagnement en lui proposant une consultation. Mais très souvent les gens pensent que consulter un psychologue veut dire qu’on est devenu un malade mental. Pourtant chacun peut développer à un moment donné des vécus de souffrances qu’il ne peut pas gérer seul. Il ne devrait pas y avoir de honte à demander de l’aide, car lorsqu’on ne sait pas demander de l’aide, ça devient dramatique.

 

Lorsque le suicide intervient et que la personne ne meurt pas, généralement c’est les services des urgences qui sont au premier plan pour lui sauver la vie avant de la référer en psychiatrie.

 

S’il n’y a pas un accompagnement dans les 48h qui suivent, le risque de répétition est important.

 

 

 

Peut-on prévenir le suicide ?

 

 

 

Il faut juste en repérer les signes, ne rien banaliser

 

 

 

Après une tentative de suicide, quel est le sentiment de la personne ? Regrette-t-elle son acte ?

 

 

 

Il y a différents cas. Il y a ceux qui ne regrettent pas, qui regrettent même que ça n’ait pas marché. Mais avec le suivi, ils finissent par se rendre compte qu’ils ont commis des erreurs, qu’ils n’auraient pas dû. Mais chez ceux chez qui ça persiste, qui se disent être dans un sentiment de honte, avoir à souffrir davantage, se demandant ce que les gens pourraient penser, l’accompagnement se fait de sorte que la personne puisse surmonter toutes ces considérations pour prendre en compte le sentiment de bien-être de soi.

 

 

 

En Afrique on dit que s’il y a déjà eu un cas de suicide dans une famille, cela va se répéter forcément. Est-ce que le suicide est lié à un problème de gènes ?

 

 

 

Ça prend en compte ce qu’on appelle dans notre jargon le vécu traumatique à répétition. Cela veut dire que, lorsqu’il y a un premier suicide qui a généré des chocs et que ces chocs ne font pas l’objet de prise en charge conséquente, ça demeure comme une solution pour ces personnes, et elles se retrouvent à transmettre ce vécu traumatique à travers des générations. C’est comme cela que nous on l’explique sur le plan psychologique.

 

Dans certaines sociétés comme celle nippone, le suicide est considéré comme un acte de bravoure. Lorsqu’on a commis un acte punitif, il faut se donner la mort pour être pardonné.  Cela existe aussi dans notre société où, lorsqu’un chef traditionnel avait commis une faute grave, il était obligé de se donner la mort pour sauver l’honneur de la culture, de la fratrie, de la société…

 

Alima Séogo née Koanda

Tél. : 79 55 55 51

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