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Projecteur: Archéologie du complexe burkinabè

A regarder la grande propension de beaucoup de Burkinabè à se ranger complaisamment dans la file des nains dans tous les domaines du développement, on est tenté de chercher les causes de ce refus de grandeur. Pourquoi ce peuple assis sur une glorieuse histoire et qui, sous la révolution d’août 1983 et pendant l’insurrection d’octobre 2014, a prouvé qu’il pouvait montrer la voie au monde aime à ranger son destin au rayon de la banalité et de la petitesse ?

 

 

Cet article s’origine dans le charivari qu’a provoqué la publication sur la page de la mairie centrale de Ouagadougou du projet de restauration de la maison du Peuple, d’un coût de onze milliards. Peu ont discuté la pertinence du projet, préférant se focaliser sur le coût, qu’ils trouvent faramineux. D’autres trouvent qu’il y a trop de priorités dans ce pays pour qu’on engloutisse onze milliards dans la culture ; on pourrait, arguent-ils, avec cette somme ; faire beaucoup de petites choses. Petites choses : cela résume la dimension des ambitions de beaucoup de citoyens de ce pays, ambitions logées dans un cadre en miniature.

Pourquoi ce peuple rechigne à grandir, se cabre quand on lui demande de rêver grand et se défile quand on l’appelle à se surpasser ? Peut-être que la psychologie des peuples peut nous éclairer, même si la notion de peuple, de nation est un concept à manier avec précaution, car devenue aussi explosive que la nitroglycérine, par ces temps où Konan Bédié exhume le concept mortifère de l’ivoirité et où, en Europe, l’identité nationale a des relents nauséeux de racisme décomplexé.  

Par ailleurs, le caractère national est un « fait social total », selon la formule de Mauss, dont la difficulté de maîtrise est grande à cause de l’absence d’une théorie holistique qui en saisisse la complexité. Aussi, pour tenter de comprendre ce phénomène, privilégions-nous un outil fait de bric-à-brac d’histoire, de sociologie et de psychologie de groupe. Avec des limites certaines.

Un regard vers le passé montre que cette nation s’est souvent montrée à la hauteur des défis et avait une grande confiance en sa capacité à soumettre l’alignement des astres à sa seule volonté. Pour la reconstitution de la Haute-Volta, intellectuels et chefs coutumiers ont fait comprendre au Colon français que sans cette réunification, le peuple voltaïque ne participerait plus aux grands chantiers comme la construction du chemin de fer et délaisserait les cultures de rente si nécessaires à l’économie de la métropole.

Avec l’accession à l’Indépendance, les grands chantiers ont proliféré sous la première république. Vision Volta est lancée en 1963 ; elle est la première télévision publique d’Afrique francophone. La maison du Parti est construite en 1965 avec une capacité de 2500 places et à Koudougou, Maurice s’est bâti un palais dont le lustre ne pâlirait pas devant le regard des grands du monde de l’époque. Et l’armée française fut priée de lever le bivouac parce que les fils du pays, formés sous le drapeau français, ont dit qu’ils pouvaient assurer la sécurité de la mère patrie. C’est dire que le Voltaïque nouvellement indépendant avait des rêves himalayens pour son pays.

Après ce moment de marée haute de nos ambitions, la marée basse est intervenue à partir de 1966 avec le pouvoir des officiers qui ont confondu austérité et vœu d’indigence de sorte que la Garangose, la réduction du train de vie de l’Etat décrétée par le ministre des Finances de l’époque, a été perçue par le peuple voltaïque comme une incitation à vivre de peu, à réduire sa vie au végétatif et à ne s’autoriser que des rêves de manants.

Le citoyen voltaïque a progressivement intégré cela dans son logiciel, et le Prométhée du début des indépendances a abdiqué ; désormais c’est un nabot de l’espérance convaincu que rien de grand, de haut, de beau n’est nécessaire à sa vie. Le pays a mis ses rêves en berne, ses enfants désormais effarouchés à l’évocation de grandes réalisations.

La Révolution d’août a ressuscité les grandes aspirations et les grands rêves qui s’élancent et  se cognent au ciel mais cette parenthèse sera vite fermée le 15 octobre 1987. L’échec de la Révolution devrait être analysé à travers ce prisme : le renoncement de la majorité des Burkinabè à la promesse d’un futur grandiose. Blaise Compaoré leur proposait un quotidien sans éclat encadré par les logiques du FMI et de la Banque mondiale.

Et les Burkinabè sont entrés dans une vie de kyste avec des salaires gelés, les investissements vitrifiés, les rêves écrasés comme des punaises sous la botte de la garde prétorienne du Prince. On érigeait de petits monuments, hauts comme des nains de jardin, on posait de petites routes nationales minces comme des lacets, on construisait de petits stades, des aéroports nains et des hôpitaux rachitiques comme les hangars du marché de cola.

L’école, les médias, les politiques se sont mis à répéter comme des perroquets que nous étions pauvres, à exhiber nos plaies et à faire la manche devant les bailleurs. Les ONG sont devenues des messies, leurs paroles le nouvel évangile du développement. D’acteurs de leur développement, les populations sont devenues des marionnettes entre les mains des businessmen de la philanthropie intéressée.

Dans un manuel scolaire de l’époque, on apprend aux élèves que les ONG sont des organisations internationales qui aident le pays à se développer parce qu’il n’a pas suffisamment de ressources pour le faire, un euphémisme que le petit écolier comprend bien vite : il intègre qu’il fait partie d’une nation d’indigents et va alors paramétrer ses rêves et ses ambitions pour qu’ils tiennent dans une sébile de garibou. Robert K. Merton a développé le concept de prophéties auto-réalisatrices pour expliquer comment un groupe conditionné par une prévision négative préparait sans le savoir l’avènement de celle-ci. Ainsi a-t-on écrit une tragédie dont nous sommes devenus les acteurs.

 

Et pourtant ce pays est riche !

 

Ce pays n’est point pauvre. Il est parmi les premiers producteurs de coton, exportateurs d’or et de bétail du continent. Il a des fleuves, des forêts, des plaines fertiles, du soleil ardent toute l’année. Il est plus favorisé qu’Israël, mieux nanti que la Corée du Sud, Singapour ou le Japon qui sont, malgré la rareté de leurs ressources, des puissances économiques. Par-dessus tout, ce pays a des hommes qui n’ont jamais rechigné au travail. Qui sont ceux qui ont posé le chemin de fer Abidjan-Niger, qui ont construit le port d’Abidjan et dont la diaspora continue à faire prospérer l’économie ivoirienne ?

Nous sommes moins pourvus par la nature que l’Afrique du Sud ou le Zaïre mais ce ne sont pas les éléments de l’environnement qui font le caractère d’un peuple. Vivre au bord de la mer ne fait pas d’un peuple un peuple de marins, tout comme des conditions difficiles ne font pas d’un peuple un peuple résilient. Le peuple est un principe spirituel.  Un peuple est un ensemble d’hommes qui se regardent comme un peuple. Il est l’œuvre spirituelle de ceux qui le composent, qui le créent incessamment. Toute son essence est dans les âmes.

Ce sont les médecins de l’âme qu’il faut solliciter pour soigner ce peuple et lui redonner l’estime de soi. Les historiens, on y revient toujours, les médias, l’école et les politiques ont un rôle à jouer, il s’agit de puiser dans notre histoire et dans le présent pour bâtir notre roman national. Bassin ayant accueilli plusieurs communautés, le Burkina doit se réapproprier l’histoire de toutes les communautés qui le constituent.

Ainsi, les grandes figures de l’histoire africaine comme Soundjata Kéita, Boukari Koutou, Cheick Omar Tall, Sony Ali Ber sont leur tout comme Ouezzin Coulibaly, Kwame Nkrumah, Joseph Ki-Zerbo, Thomas Sankara. Il faut donner plus d’écho aux personnalités inspirantes comme l’économiste Ra-sablga Ouédraogo, l’astrophysicien Frédéric Ouattara, le champion Frabrice Zango et à toutes les personnes connues et anonymes qui, par leurs actions, montrent que les Burkinabè sont capables de grandes choses. Pour donner aux Burkinabè conscience de la grandeur qu’ils ignorent en eux…

 

Saïdou Alceny Barry

 

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