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Conquête de l’espace par le Burkina: « Ce n’est plus un rêve, c’est déjà une réalité » (Frédéric Ouattara, Président de l’Université Norbert-Zongo)

Koudougou, la Cité du Cavalier rouge, a la tête dans l’espace, et avec elle tout le pays. Depuis que le projet de Burkina Sat1 a commencé à sortir le bout de son antenne, on s’est dit qu’après l’insolite aventure de Mobutu, notre pays pourrait entrer dans le cercle prestigieux des pays lanceurs de satellites. Et ce, à partir de l’université Norbert-Zongo, qui en est du reste le terrain expérimental. Rêve ? Folie des grandeurs ? Réaliste et réalisable ? La mise en œuvre de ce projet suscite bien des questions et nourrit un certain scepticisme, surtout dans un pays où la préoccupation d’une bonne partie de la population se limite à la pitance quotidienne.

Pour le concepteur et porteur de ce ‘’rêve’’, le docteur Frédéric Ouattara,  par ailleurs président de ladite université, le projet est pourtant déjà une réalité.

 

 

Beaucoup de  Burkinabè ne vous ont vraiment découvert qu’à la faveur de Burkina SAT1. En quelques mots, dites-nous qui est le professeur Frédéric Ouattara.

 

Je suis enseignant-chercheur en physique à l’Unité de formation et de recherche en sciences et technologies et directeur du laboratoire de recherche en énergétique et météorologie de l’espace (LAREME) de l’Université Norbert-Zongo. Depuis le 6 juin 2019, je suis le président de ladite université.

 

Votre nom est associé depuis un certain temps à l’astrophysique. Pouvez-vous nous dire en français facile ce qu’est  l’astrophysique ?

 

L’astrophysique est une discipline de l’astronomie se rapportant à la physique en se focalisant sur l’étude des propriétés des objets de l’univers. On peut notamment adresser leur luminosité, leur densité, leur température et leur composition interne.

 

Et un astrophysicien ?

 

Pour nous, un astrophysicien est un physicien qui étudie les propriétés des objets célestes (planètes, étoiles, galaxies) en se basant sur l'observation, l'étude théorique et l'instrumentation.

 

Un Burkinabè qui choisit comme filière d’étude l’astrophysique, on se demande où il est allé chercher ça.

 

Etant physicien de spécialité géophysique externe et d’option énergie solaire, j’ai participé à un séminaire de formation appelé ‘’Ecole d’Abidjan’’ en 1995. Lors de ce séminaire, j’ai eu à échanger avec feu le Dr Fambitakoye Ousséini, qui m’a vivement encouragé en tant que Burkinabè à prendre en charge la station d’ionosonde de Ouagadougou, à mon retour au Burkina Faso, à la fin de mes études. Je lui ai promis de le faire, et une fois rentré au bercail, je m’y suis engagé. Je tiens à préciser qu’il n’était pas au courant que je n’étais pas de cette spécialité de la physique. Malheureusement, quand je suis rentré, la station d’ionosonde de Ouagadougou était fermée depuis février 1998.

 

On va revenir en arrière et vous demander de nous résumer votre parcours d’étudiant et celui professionnel.

 

Titulaire d’un Bac série C en 1987, j’ai fait mes études universitaires à l’Institut des mathématiques et de physique (IMP) de l’Université de Ouagadougou, aujourd’hui Université Joseph Ki-Zerbo. Après une maîtrise de physique obtenue en 1991, j’ai entamé des études de 3e cycle en géophysique externe, option énergie solaire, à l’Université de Cocody-Abidjan (aujourd’hui Université Félix Houphouët Boigny) à Abidjan en Côte d’Ivoire, de 1992 à 1998. Années académiques au cours desquelles j’ai obtenu successivement un DEA de physique en 1994 et un doctorat de 3e cycle en physique de cette université en 1998. J’ai ensuite obtenu un doctorat d’Etat de Physique/Géophysique externe/Héliophysique/Météorologie de l’espace à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar au Sénégal en 2009 après trois années d’inscription de 2006 à 2009.Il faut préciser que j’ai obtenu un master en philosophie, histoire, épistémologie et didactique des sciences à Montpellier II en 2005.

En outre, j’ai effectué plusieurs séjours de recherche en France au Centre national de recherche scientifique (CNRS)/Centre d’étude des environnements terrestre et planétaire  (CETP)/Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) à Saint-Maur-des-Fossés à Paris en France et effectué un séjour scientifique comme scientifique visiteur à High Altitude Observatory (HAO) à Boulder, dans le Colorado (USA), dans le cadre d’une bourse Fulbright en 2012.

Sur le plan professionnel, après le doctorat de 3e cycle, obtenu en 1998, j’ai été engagé comme assistant en décembre 2001 à l’Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK). Je suis passé maître assistant CAMES en 2004 à l’ENSK. Après l’obtention du Doctorat d’Etat, j’ai obtenu le grade de maître de conférences CAMES en 2010 à l’Université de Koudougou (UK) et  je suis devenu professeur titulaire CAMES en 2014. Sur le  plan administratif, je suis à l’Université Norbert-Zongo, et j’en suis le président depuis le 6 juin 2019.

 

La question qu’on se pose est de savoir si vos activités de président d’université ne perturbent pas vos travaux de recherche. Ou bien cette ascension a-t-elle été un atout de plus ?

 

Du point de vue de la recherche, ce poste comme tout poste administratif nécessite une réorganisation du temps de travail, afin d’y insérer les activités administratives et de faire en sorte que le temps imparti à chaque activité (recherche, travail administratif), soit respecté. Il s’agit de gérer son temps en phase avec ses différentes responsabilités.Du point de vue financier, le poste de président a été et est un atout, une opportunité de financement et/ou un moyen qui offre des possibilités de financement.

 

Vous avez connu un triomphe avec la réception de la station au sol de Burkina-Sat1. Qu’avez-vous ressenti après cette victoire d’étape ?

 

C’est pour nous, primo, une victoire d’étape comme vous dites ; secundo, une manifestation de l’accompagnement et du soutien du politique à l’activité de recherche ; et tertio, la consécration d’un travail collaboratif empreint de don de soi et ayant pour objectif une contribution au mieux-être de son prochain et l’expression d’un sentiment que nous sommes en train de relever un défi, un challenge dans lequel nous avons le soutien de la société.

 

Quelle est la suite de ce projet ? Quelles sont les autres étapes ?

 

Etant engagé sur un projet à 3 étapes, la construction de la station au sol a été la première. La construction du cube satellite même sera la deuxième, et le lancement du satellite sur orbite la troisième étape.

 

On imagine que tout cela nécessite des sommes… astronomiques. Peut-on en avoir une idée ?

 

Pour l’étape 1, c’est  60 millions de francs CFA.

Pour l’étape 2, ce sera 110 millions de francs CFA.

S’agissant de la troisième phase, le coût est tributaire du choix du lanceur. Dès la finalisation de cette étape, nous serons en mesure de vous donner son montant et partant celui du projet dans son entièreté.

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Pouvez-vous nous dire quelles sont vos sources de financement ? Est-ce sur fonds propres de l’UNZ ou d’ailleurs ?

 

Ces financements proviennent de l’Université Norbert-Zongo (UNZ), du ministère de l’Enseignement supérieur et du gouvernement burkinabè. Du reste, nous remercions Son Excellence Roch Marc Christian Kaboré, président du Faso, le Premier ministre et son gouvernement et en particulier le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation pour l’accompagnement du projet et son financement.

 

Docteur, pensez-vous sérieusement que notre pays a les moyens de mettre un satellite sur orbite ? 

 

Ce n’est pas une croyance. Nous le pouvons et sommes sur la bonne voie, même si l’échec peut survenir au cours de tout processus et se présente comme une option dans le domaine spatial.

 

Quels avantages nous procurera ce projet de satellite, dans un pays ou le souci majeur d’une bonne partie de la population est de se nourrir ?

 

En général, l’exploitation et l’utilisation de données satellitaires se présentent comme une aide à l’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) et en particulier comme un moyen d’atteinte des objectifs en lien avec la lutte contre la faim, l’accès à l’eau potable, l’amélioration de la santé et l’augmentation des revenus de la population. En conséquence, on aura une amélioration des pratiques agricoles et une adaptation des cultures à la nature du sol. Ce sera aussi une aide à la résilience climatique.

 

De nombreuses personnes se demandent s’il est pertinent d’injecter de l’argent dans ce projet, d’autant plus que tout est prioritaire au Burkina Faso !

 

Oui. Si vous vous référez aux réponses que j’ai données à votre précédente question, vous conviendrez avec moi que la pertinence de ce projet n’est pas un sujet à polémique. C’est un projet pertinent qui va aider dans des domaines liés à l’amélioration des conditions de vie de nos populations.

 

Quels sont de ce fait les domaines de la vie des Burkinabè qui seront impactés de façon positive par le projet de Burkina-Sat1 ?

 

Ce sera notamment la santé, l’agriculture, les mines et les ressources en eau.

 

Peut-on savoir combien d’hommes y travaillent ?

 

Nous sommes une équipe de Burkinabè en nombre essentiel pour mener à bien le projet.

 

Koudougou ville spatiale, ou cité de l’espace, est-ce un rêve ?

 

Non, c’est déjà une réalité. Elle a dorénavant pour vocation d’être le siège d’études spatiales du Burkina Faso en matière d’émulation, de création de vocations, de formation et d’activités spatiales.

 

Ce projet de satellite a certes commencé à Koudougou mais est-ce que Ouagadougou ne va pas l’arracher ?

 

Il s’agit pour nous de faire du Burkina Faso  une nation spatiale à même de faire contribuer ou participer toutes les forces vives du pays aux activités spatiales.

 

Il est aussi question de la création d’une agence spatiale pour le Burkina Faso. Où sera son siège ? Et que va-t-elle renfermer ?

 

L’emplacement sera fonction de son efficacité. Au moment opportun, des voix plus autorisées se prononceront. Elle permettra de coordonner et de mener toutes les actions spatiales en lien avec le développement économique, la santé de la population et le développement de la coopération en matière de recherche et d’innovation.

 

Qui sera l’autorité de tutelle de cette agence spatiale ?

 

Au moment opportun, des voix plus autorisées le diront.

 

Une question toute simple : ne faut-il pas craindre que le lancement du satellite dans l’espace tourne court comme la fusée de Mobutu ?

 

Le lancement se fera dans et avec les pays qui en ont l’habitude. Mais avant le lancement du satellite, un certain nombre de tests seront réalisés pour s’assurer que toutes les conditions sont réunies dans la fabrication du satellite. Tout cet arsenal est nécessaire à un franc succès de l’opération de lancement. Sachez que plusieurs satellites seront de l’embarcation pour l’espace.   

 

Un mot sur l’audience avec le chef de l’Etat le 3 septembre 2020. Quelles promesses vous a-t-il faites ?

 

C’est un plaisir d’avoir échangé avec le chef de l’Etat et d’avoir reçu ses conseils. Il promet d’accompagner le projet et d’être à l’écoute de nos préoccupations. Nous voudrions lui exprimer ici notre reconnaissance ainsi que celle de l’équipe de recherche engagée dans ce projet.

 

Entretien réalisé par

 Cyrille Zoma

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