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Un personnage de roman : Un Amour de cent ans

Vous est-il arrivé de croiser un personnage que l’on croirait sorti d’un roman, tant sa vie ressemble à une fiction ? Comme la vie de cet ancien combattant de l’armée française qui porte à hauteur de poitrail, entre les médailles militaires, une histoire d’amour que jalouserait Shakespeare.

 

 

Mba Pierre porte un amour inextinguible. Cet octogénaire est un ancien parachutiste de l’armée française qui a fait les dernières guerres coloniales aux côtés de la France. Il a baroudé en Indochine, à Madagascar et en Algérie avant de venir prendre sa retraite dans l’armée burkinabè.  Mba Pierre, comme on l’appelle, est un solide bonhomme avec un physique d’ancien bodybuildeur, un visage large et des yeux rieurs. Il a toutes ses dents et, surtout, toute sa tête malgré son âge. Il est connu dans certains bars de la capitale où il prend ses aises et surtout pour sa faconde. Quand tombent les pensions françaises et burkinabè, il fait montre d’une grande prodigalité avec les amis et serveuses.

 

C’est en ces moments fastes où coulent l’alcool et défilent les grillades que Papa Pierre aime s’épancher sur son passé et servir à l’assemblée l’histoire de l’amour de sa vie. La belle Sénégalaise Fatou, corps souple de liane, peau couleur de nuit, des yeux blancs comme du lait.  Venant de Marseille, un navire de la marine française mouille au large de Saint-Louis pour une nuit, pour se ravitailler et mettre ensuite le cap sur Alger. Une équipe descend avec quatre barques pour ramener des légumes et des cigarettes. Mba Pierre en fait partie. Elle doit être de retour au bateau à minuit au plus tard. En se promenant sur la plage à la recherche d’un bar pour écluser quelques bières et danser avec les belles signares, ces mulâtresses au regard ensorcelant, Pierre voit, assise sur un rocher, une jeune fille dont le regard perdu au loin semble suivre à l’horizon le passage des bateaux ou le vol des mouettes.

 

Quand il la hèle et qu’elle se retourne et pose son regard sur lui, il comprend vite qu’il n’ira pas plus loin ; les yeux blancs de la biche l’avaient soumis. Ce jeune fauve restera là, toute la journée, à regarder ce jeune corps gracile et à écouter cette voix douce. Fatou appartient à la communauté des pêcheurs lébou, le peuple autochtone de la presqu’île de Dakar. Elle est élève au lycée des jeunes filles et vient souvent s’asseoir sur ce rocher pour regarder les pêcheurs jeter leurs filets à la mer. Ils se quittent au mitan de la nuit et se promettent de se revoir le lendemain.

 

Mais le lendemain, Pierre n’a pas la permission de quitter le navire ; c’est une autre équipe qui rejoint la terre dans les quatre barques.  Pierre enjambe le pont et se jette à la mer. Il rejoint la rive à la brasse. Presque mille mètres de nage. Arrivé, il retrouve Fatou à la même place. Comme il est tout mouillé, elle l’amène dans une cabane de pêcheur pour qu’il se change et y laisse son linge à sécher.

 

Un amour qui ne s’épuise pas…

 

Pierre, vêtu seulement d’un boubou de pêcheur et de sandales trouvés dans la cabane,  est accompagné par Fatou en ville pour acheter des cigarettes. Ils traversent le pont Faidherbe, une sorte de Tour Eiffel couchée,  le quartier autochtone, et le quartier colonial avec ses belles  demeures blanches et de belles  métisses au balcon. Elle lui montre la maison où Pierre Loti a écrit le Roman d’un Spahi, et la maison de Battling Siki, le premier Africain champion du monde de boxe, et à la poste, elle lui parle de l’aviateur Jean Mermoz et du tableau de Géricault, le Radeau de la Méduse, qui avait quitté Saint-Louis et qui coula avant d’avoir atteint la Mauritanie.

 

A moment où le soleil plongeait dans le fleuve et colorait le soir de ses éclats rouge et or, ils revinrent à la cabane. Ils y restent toute la nuit. Au matin, une patrouille cueille le jeune soldat et l’amène sur le navire. Il est mis au cachot jusqu’à Alger pour tentative de désertion. Il se promet de revenir à Saint-Louis, pour revoir celle pour qui il était prêt à fuir l’armée. A la fin de la guerre, il revient dans son pays en passant par Abidjan.

 

 

Il réintègre l’armée nationale et se promet une fois de plus de repartir à Saint-Louis, dès qu’il aura une permission. Et les années passent. Et toujours, il renouvelle ses promesses d’aller à la recherche de son grand amour. Soixante ans passent. Il a épousé d’autres femmes, a eu des enfants et des petits-enfants. Mais l’espoir de revoir son véritable amour reste inentamé. C’est cet espoir qui l’a sauvé de la mort à Alger et qui le maintient toujours en vie. Tant qu’il croit qu’un jour  il reverra Fatou, il tient la mort à distance.

 

 

Quel magnifique livre un écrivain pourrait tirer de cette rencontre furtive dont le souvenir reste intact malgré les années qui passent ! Quel film un réalisateur pourrait faire en orchestrant les retrouvailles entre Mba Pierre et Fatou, plus de 60 ans après ce jour où le jeune homme sortit des vagues comme un dieu de la mer et trouva sur un rocher une sirène esseulée !

 

A penser à cet amour imputrescible qui refuse de se dissoudre dans le temps, il nous revient en mémoire ces vers de René Char : L’acquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne de la beauté.

Saïdou Alcény Barry

 

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