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Ecole nationale de santé publique : La soutenance de la discorde

 

Les élèves de l’Ecole nationale de santé publique (ENSP) ont manifesté le 2 décembre 2020 devant la Direction générale de leur établissement pour comprendre un fait : la suspension de leurs cours et stages depuis le 16 novembre courant. Futurs spécialistes en chirurgie, ophtalmologie, ORL, anesthésie-réanimation, pour ne citer qu’eux, sont sortis crier leur ras-le-bol et refuser que leur formation soit « anesthésiée » ; autrement dit, ils n’entendent pas rester insensibles aux « problèmes » que traverse leur lieu d’apprentissage, craignent d’avoir un encadrement au rabais et, par ricochet, d’être des agents qui fourniront de piètres services. Le casus belli, selon certaines indiscrétions, aurait pour origine l’organisation d’une « soutenance illicite » présidée par le directeur général des ENSP himself, le Dr Emile Pargui Paré. Explications.

 

 

 

 

« Arrêtez d’anesthésier notre formation » ; « Sortez notre formation du coma » ; « Nous demandons juste une réanimation de nos activités pédagogiques », c’est ce qu’on peut lire, ici et là, de la foultitude de revendications et de condamnations brandies par les élèves de l’Ecole nationale de santé publique. Eux qui ont, à travers une assemblée générale extraordinaire, décidé de créer une ambiance particulière à la Direction générale de leur école. La porte du service en question n’est même pas entrebâillée mais purement et simplement close. C’est la mesure de précaution qu’a voulue l’agent de sécurité qui y est posté. « Ce matin, je les ai vu venir un à un, je n’ai pas été informé de quoi que ce soit, donc vous comprenez que si quelque chose se passe… », raconte le vigile après avoir fait tourné la serrure à double tour à la vue des manifestants qui s’agglutinent devant lui. « Est-ce que vous pensez que nous on veut faire du mal à quelqu’un ici ? Nous voulons tout simplement comprendre une situation », lui oppose-t-on dans le brouhaha qui s’en est suivi : « On veut les stages ! » ; « On veut les cours ! » ; « On exige la reprise immédiate et sans délai de nos activités pédagogiques » ; « Naan lara an sara (1) », répètent-ils en chœur avant que ne leur soit demandée « une motion (2) ». Est aussitôt introduit Karim Zidouemba, délégué adjoint de la filière Anesthésie-Réanimation, qui déplore dans un premier temps que la situation ait abouti à la manif du jour puisqu’on pouvait en faire l’économie. Le voici dans un deuxième temps en train de faire le point des actions qui avaient été entreprises jusque-là. « Si nous en sommes arrivés à ce stade, c’est que l’heure est grave, très grave et extrêmement grave. Toutes nos activités pédagogiques sont arrêtées depuis un certain temps. Nous avons entrepris des démarches vers notre direction, à la Direction de la formation supérieure en science de la santé (DFSSS), mais n’avons pas eu de réponse favorable à notre préoccupation qui est la reprise des cours et des stages », déclare l’intéressé qui fait cas d’un « arrêt pour des motifs qui nous sont extérieurs ». Pour designer ces raisons, il parle du fait que les curricula ne seraient pas adaptés et surtout d’une soutenance qui n’aurait pas recueilli l’assentiment de tous au sein du corps enseignant. « Ces problèmes nous sont extérieurs, donc nous n’allons pas nous y attarder. Ce que nous demandons, c’est juste la reprise de nos activités pédagogiques. Nous étions ici le 24 novembre 2020 dans l’optique de rencontrer le directeur général. Nous avions remis une demande d’audience, mais c’est son intérimaire qui nous avait rencontré. Il nous avait rassuré et demandé de lever nos rassemblements qui couvaient peu à peu. Nous y avons cru et avons levé ces mouvements, on n’y partait plus et nous nous attendions à une réponse favorable ou, à défaut, à des esquisses de solutions », explique le délégué adjoint des futurs Anesthésistes-Réanimateurs. Et de poursuivre qu’une autre tentative de rencontre à la date du 30 novembre courant s’est soldée par un échec ; le directeur ayant été à ce moment en réunion. « Nous avons tenté de l’appeler, mais avons fini par lui envoyer un message. Dans sa réponse, il a été dit que notre dossier suit son cours, que de rester à l’écoute. Certes, c’est bien que le dossier suive son cours, mais nos activités sont bloquées depuis longtemps. La formation, à ce que je sache, dure 24 mois et le temps n’attend pas », clame le sieur Zidouemba, galvanisé par des ovations.

 

 

 

Des stagiaires ‘’chassés’’

 

 

 

Le délégué adjoint ajoutera que les anesthésistes ont été « chassés » et « refoulés » des terrains de stage et que d’autres filières n’ont pas fait de cours en tant que tels. « Ils n’ont rien fait jusque-là pour le problème de curricula. Je me dis que si chacun tient à la qualité de la formation, à la qualité des ressources humaines au Burkina Faso, à la santé des citoyens, cela doit nécessairement passer par une bonne formation des cadres supérieurs de la santé que nous sommes. Si nous bâclons cette formation, il ne faut pas qu’on soit surpris que ce soit avec ces insuffisances que nous prendrons en charge la santé des Burkinabè. Et avec une population qui n’est pas en bonne santé, ne nous attendons pas à un développement quelconque, ce n’est pas possible et ça n’existe nulle part là », tonne l’orateur, plus que jamais motivé par les cris de ses camarades. « Pour la reprise de nos activités pédagogiques, en avant !» ; « Pour une formation de qualité, en avant !» ; « Pour la reprise de nos stages, en avant !» ; scandent-ils. L’animation reprend de plus belle jusqu’à ce qu’un groupe de dix responsables s’engouffrent dans le bureau du Directeur des études et des stages. L’occasion idéale pour deviser avec qui veut et essayer d’en savoir davantage sur la soutenance dite illicite. Le démêlé serait lié au fait que le directeur général des ENSP, le Dr Emile Pargui Paré, a présidé la soutenance d’une élève d’origine « étrangère » qui a été exclue pour « insuffisance de notes ». Ladite soutenance se serait également tenue un « jour férié » et, mieux ou pire, l’intéressée s’en est tirée avec une « bonne note ». Pour se faire mieux comprendre, notre interlocuteur utilise cette caricature : « C’est comme le cas d’un élève de 4e qui a été exclu par le conseil du lycée parce qu’il n’a pas obtenu une note suffisante pour aller en classe supérieure. Mais voilà que le directeur régional de l’Enseignement supérieur débarque dans cet établissement un dimanche et sans avoir consulté le proviseur et le censeur, prend deux enseignants de l’école qu’il connaît bien et qui sont ses amis, fait composer l’élève et lui attribue une forte moyenne qui lui garantit le passage en classe supérieure ». Selon cet élève, qui a requis l’anonymat, c’est cette situation qui fait tiquer certains enseignants qui, dès lors, se sont abstenus de continuer à dispenser les cours. « Comme ce sont les mêmes enseignants qui accueillent leurs élèves pour les stages, la conséquence est que ces activités ont aussi été suspendues. Et la ‘’fièvre’’ a contaminé les autres filières, pour un établissement qui en compte une dizaine, relève-t-il.

 

 

 

« Nous n’avons pas d’écrit officiel qui justifierait ces refus de stage »

 

 

 

Après plus d’une heure d’échange avec la délégation des élèves, le Dr Hervé Kiéma, directeur des études et des stages, en compagnie de ses collaborateurs, accède à notre demande d’entretien. Le par ailleurs médecin de santé publique, spécialiste en épidémiologie et gestion des risques relève d’emblée que le problème n’est pas général et ne concerne que 49 attachés de santé en Anesthésie-Réanimation sur un effectif d’environ 300 élèves. Si tout le monde a débrayé, à l’en croire, ce serait en guise de solidarité, sachant que n’importe quelle filière peut se retrouver dans une situation similaire. « Ils ont rencontré l’administration ce matin pour lui notifier des difficultés qu’ils rencontrent dans les lieux de stage. Qu’ils sont refoulés des différents services d’anesthésie-réanimation des principaux hôpitaux de la ville de Ouagadougou. C’est la préoccupation qui a été exposée, et ils ont demandé à l’administration des solutions assez rapidement pour leur permettre de reprendre leurs activités », signifie-t-il. Interrogé sur le « fond du problème », le directeur des études et des stages dit n’avoir pas, pour l’instant, d’éléments précis qui justifieraient ce refus de stages sur les différents sites et que l’administration a déjà entrepris d’entrer en contact avec les différents responsables des hôpitaux pour cerner le problème et dégager des pistes de solutions. « Mais nous avons ouï dire qu’il s’agirait d’une soutenance qualifiée d’illicite. Qu’en savez ? ». Et le médecin de santé publique de réagir : « Administrativement, nous n’avons pas encore reçu de note d’un service qui justifierait le refus de recevoir nos stagiaires. C’est pourquoi nous allons entrer en contact avec les responsables, nous entretenir et voir où se trouve exactement le problème ».

 

Rencontré dans l’après-midi de la manif, le directeur général des ENSP, le Dr Emile Pargui Paré, n’a pas souhaité, pour l’instant, se prononcer sur la question, car le dossier « est déjà en traitement à la Direction du contrôle interne de l’école » où il doit être entendu. L’affaire, selon ses propos, est également dans les mains de l’inspection du ministère de la Santé, et de promettre d’y revenir en temps opportun.

 

 

 

Aboubacar Dermé

 

 

 

(1) ‘’Si nous nous couchons, nous sommes morts’’, une formule de feu le Pr Joseph Ki-Zerbo brandie aux temps forts de la lutte du collectif contre l’impunité ; lequel demandait justice pour le journaliste Norbert Zongo

 

(2) Dans le langage syndical, une demande de silence

 

 

 

Encadré :

 

15 enseignants fustigent une pratique en porte-à-faux

 

 

 

Dans une correspondance datée du 19 novembre 2020 et adressée à « Tout membre du jury de délibération des examens de fin d’études 2020 de la DFSSS », un collectif de quinze enseignants permanents dit avoir pris part, le 16 octobre courant, à la délibération du jury qui a prononcé l’exclusion de l’élève en question pour défaut de moyenne requise pour l’admission. A grand renfort des articles 68 et 69 du Règlement intérieur de l’ENSP, ils expliquent que l’admission est conditionnée à l’obtention d’une note de 12/20 comprenant la note d’école (note de stage y comprise) qui compte pour 40%, la note de l’examen pratique (30%) et la note de mémoire (30%). Ce que l’intéressé n’aurait pas rempli et qui est synonyme de son exclusion puisqu’ayant redoublé au moins une fois dans le cycle. « A notre surprise, nous apprenons qu’une soutenance a été organisée le jeudi 29 octobre 2020, jour férié de surcroît, dans les locaux de la DFSSS au profit de cette élève. A travers cet écrit, nous, enseignants permanents signataires, venons vous informer que nous ne sommes mêlés ni de près ni de loin à cette soutenance ; protestons contre cette pratique qui ne respecte nullement les textes en vigueur ; et nous en tenons à la délibération ayant prononcé l’exclusion de la candidate », peut-on y lire.

 

 

 

Encadré :

 

La réplique de Mlle Elisabeth

 

 

L’élève Elisabeth Allarassem étant hors de la capitale, nous nous sommes contenté d’une correspondance datée du 16 novembre 2020 qu’elle a adressée à la cheffe du Département de la Santé. La Tchadienne venue poursuivre ses études au Burkina en 2008, y réagit suite à une note de la sous-section ENSP du Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) contestant sa soutenance. Elle perçoit le fond du problème entièrement opposé à ce qui lui est reproché mais voit un acte visant à « salir ma carrière et mes travaux de mémoire ». « Je suis venue au Burkina pour étudier, pas pour me faire… dans les bureaux des enseignants harceleurs, ni par des enseignantes homosexuelles qui, semble-t-il, sont prêtes à… des pauvres étudiantes », écrit-elle et n’exclut pas d’aller en justice où « tout va se savoir ».

 

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