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Présidentielle Niger : Le changement dans la continuité ?

Entre une interminable crise sécuritaire qui aura encore fait des dizaines de morts ces dernières semaines et une autre, sanitaire, liée à la recrudescence du coronavirus, 7,5 millions d’électeurs nigériens étaient appelés aux urnes hier dimanche 27 décembre 2020 pour choisir leur président de la République et les 171 députés de l’Assemblée nationale. Concernant la course à la magistrature suprême, trente candidats (1) se disputent le fauteuil sur lequel, hélas, ne peut s’asseoir qu’une seule personne à la fois puisque ce n’est pas un banc.

 

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’instabilité chronique dans laquelle s’était installé le Niger a permis au personnel politique de tourner, générant de ce fait de nombreuses personnalités ayant la stature d’homme d’Etat pour avoir occupé les plus hautes fonctions du pays. Dans cette forêt touffue où se côtoient de vénérables baobabs et de bien frêles arbustes, quelques-uns dominent ainsi la canopée électorale en l’absence de Hama Amadou (2), disqualifié par la Cour constitutionnelle en raison de sa condamnation dans l’affaire dite des bébés trafiqués.  Au nombre de ceux-ci :

 

- Mahamane Ousmane du Renouveau démocratique et républicain (RDR Tchandji), premier président démocratiquement élu en 1993 après la conférence nationale souveraine et qui sera victime du coup d’Etat d’Ibrahim Baré Maïnassara en 1996 ;

- le général de division Salou Djibo, « le putschiste vertueux », comme certains le surnomment, puisqu’il qui était sorti du rang en février 2010 pour freiner le Tazartché de Mamadou Tandja qui avait eu la mauvaise idée de négocier un troisième mandat pour « terminer ses chantiers ». Celui qui s’était manifestement mis en réserve pour la république porte les couleurs du PJP (Paix-Justice-Progrès) ;

- Seini Oumarou du Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara), ancien chef de gouvernement de Tandja ;

- Albadé Abouba, plusieurs fois ministre, notamment de l’Agriculture sous l’actuel président, aujourd’hui en rupture de ban avec son allié Mahamadou Issoufou, qui se présente sous la bannière du MPR-Jamhuriya ;

- Ibrahim Yacouba du Mouvement patriotique nigérien (MPN),  ci-devant chef de la diplomatie nigérienne ;

- et… et Mohamed Bazoum, porte-drapeau de la majorité actuelle, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), contre lequel un procès en nationalité douteuse (il serait Libyen d’origine) a été instruit par ses adversaires tout le long de la campagne qui vient de s’achever.

Un débat pour le moins  malsain qui a souvent fait le malheur de bien de contrées et dont le pays d’Amani Diori est, hélas, coutumier puisqu’avant Bazoum, Mahamane Ousmane et Tandja ont, eux aussi,  été accusés de n’être pas des Nigériens «pur-sang».

 

Faut-il y voir la crainte d’être laminée par l’impressionnant rouleau compresseur du candidat de la « Coalition Bazoum 2021 », forte d’une cinquantaine de formations, présenté comme le super favori de la compétition ? Après trois semaines de campagne, de nombreux observateurs de la scène politique nigérienne se demandent en effet comment le dauphin désigné du président sortant, qui règle son pas sur celui de son mentor, pourrait ne pas rafler la mise alors que son parti, depuis dix ans au pouvoir, a eu tout le temps de se constituer un trésor de guerre électoral et de renforcer son emprise sur l’ensemble de ce territoire vaste comme quatre fois le Burkina pendant que la plupart de ses contempteurs font encore dans l’informel politique.

 

L’enjeu du reste pour son état-major et ses partisans, c’est le coup K.-O. historique dans la mesure où, jusque-là, entre deux coups d’Etat, aucun président n’est parvenu à se faire élire dès le premier tour. Et ils sont d’autant plus confiants qu’à l’issue des élections municipales et régionales du 13 décembre dernier, une sorte de répétition générale avant la présidentielle réclamée à cor et à cri par l’opposition, le PNDS (sans compter ses alliés) s’est adjugé provisoirement 1799 (sur  4246) sièges de conseiller pour un total de 1.491.080 suffrages exprimés (sur 3.919.958), son poursuivant  immédiat, le MNSD-Nassara, s’en tirant avec  358 élus locaux et 305.257 voix.

 

 

Certes, ce ne sont pas les mêmes types de scrutin, une présidentielle étant avant tout, comme on dit, un rendez-vous entre un homme (ou une femme) et son peuple, mais de telles données ne peuvent que donner des indications sérieuses sur l’issue de la consultation d’hier qui demandent cependant à être confirmées quand on sait que les opposants tiennent les deux principales villes du pays que sont Niamey et Zinder. Les foules en transes qui ont scandé à en perdre la voix « daga mou, say mou » (3) pendant les grands rassemblements de Bazoum auraient de ce fait tort de penser que l’affaire est déjà dans le sac.

  

 

En attendant donc de connaître le verdict des urnes, on peut d’ores et déjà se féliciter de deux choses : primo, si tout se passe bien, comme on l’espère jusqu’en avril 2021 quand interviendra la passation des charges, ce sera la première fois de toute l’histoire du pays qu’un président démocratiquement élu transmettra le pouvoir à son successeur tout aussi démocratiquement élu ; tout le mérite, secundo, en reviendra au président Mahamadou Issoufou, qui a toujours martelé dès 2017 qu’il ne modifierait pas, contrairement à tant d’autres de ses homologues, la Constitution pour briguer un troisième mandat et qui a tenu parole dans un environnement africain où le parjure est devenu un mode de gouvernement. « Je n’ai pas la prétention de croire que je suis un homme providentiel irremplaçable », avait lancé il y a trois ans Zaki, le lion de Dan Dadji. Les « indispensables » ont dû apprécier. Depuis, la tripatouillite aiguë dont souffraient nombre de chefs d’Etat a même fini par contaminer l’Ivoirien Alassane Ouattara et le Guinéen Alpha Condé, hier opposants historiques martyrisés, aujourd’hui « présidents-fondateurs » qui n’ont pas su résister aux chants des sirènes.

 

En cela, quel que soit celui qui aura la faveur des urnes, c’est le Niger qui aura gagné en sortant du cycle infernal de l’instabilité politique pour renforcer sa démocratie et poursuivre la lutte contre le terrorisme qui endeuille le pays depuis de longues années, compromettant les efforts de développement d’une nation parmi les plus pauvres du monde. 

 

La Rédaction

 

(1)- 29 maintenant après le désistement d’Amadou Boubacar Cissé de l’UDR-Tabbat, qui s’est rangé derrière Mahamane Ousmane

(2)- Le leader du MODEN-Fa Lumana a appelé ses militants a donné leurs voix à Mahamane Ousmane

(3)- En haoussa, « après nous, c’est nous »       

    

 

Dernière modification lelundi, 28 décembre 2020 23:10

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