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Arts plastiques au Burkina Faso: A la recherche du discours d’artiste

Les artistes plasticiens au Burkina Faso font montre de beaucoup de créativité dans la sculpture, la peinture ou la photographie. Pourtant, ils peinent à pénétrer le marché de l’art. Nous pensons que le talon d’Achille de ces artistes est l’absence d’un discours d’artiste pour porter les créations et les inscrire comme des singularités dans le champ de l’art.

 

 

Il y a le discours sur l’art, qui est celui du critique d’art, du philosophe de l’art, du commissaire d’art, et participe d’une conversation sur l’art par des d’individus qui ne sont généralement pas des artistes. A côté de ce discours d’experts, il y a le discours de l’artiste, qui est celui du praticien.

Dès le 19e  siècle, Eugène Delacroix contestait au critique la capacité de comprendre l’œuvre d’art. « La plupart des livres sur les arts sont faits par des gens qui ne sont pas artistes : de là tant de fausses notions et de jugements portés au hasard du caprice et de la prévention. Je crois fermement que tout homme qui a reçu une éducation libérale peut parler pertinemment d’un livre mais non pas d’un ouvrage de peinture

Ce discours de l’artiste est d’autant plus nécessaire dans l’art contemporain que l’œuvre peut être absente comme dans l’art conceptuel et l’œuvre n’ayant pas de matérialité, elle ne peut exister qu’à travers le discours de l’artiste. Par ailleurs, l’artiste contemporain revendique de plus en plus un discours singulier sur la société de sorte que la création a besoin d’être accompagnée par le discours de l’artiste pour élucider le concept de l’œuvre.»

L’absence de discours d’artistes au Burkina s’explique par plusieurs raisons. D’abord, l’artiste plasticien burkinabè n’en perçoit pas la nécessité, du moment qu’il évolue en marge du marché de l’art et qu’il vend ses créations à des acheteurs qui n’en sont pas demandeurs. Ensuite, l’artiste n’étant pas capable de construire un discours sur son art, il s’efface et compte sur son œuvre pour se défendre et parfois sur le marchand ou le critique pour élaborer le discours sur l’œuvre. Malheureusement, l’œuvre d’art contemporain joue avec les limites entre l’art et le non-art, de sorte qu’elle a besoin d’un discours pour se légitimer. Sans être exhaustif, on peut dire que Pierre Garel, Hyacinthe Ouattara et Christophe Sawadogo sont les rares artistes qui portent des discours sur leurs pratiques artistiques. Pierre Garel est avant tout un enseignant d’art et les deux autres ont un niveau d’études appréciable. Toutefois, si le niveau d’études permet plus facilement de le faire, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas la condition sine qua non. En effet, des artistes n’ayant pas un long parcours scolaire se défendent bien avec des discours très cohérents comme c’est le cas des plasticiens béninois.

Une anecdote. Lors d’une table ronde sur l’art portant sur le marché et l’esthétique, un artiste burkinabè dont le travail est d’une grande originalité, un des plus doués des sculpteurs actuels, intervenant sur l’esthétique, a dit que l’art nègre ne se souciait pas du beau et que ce sont les Européens qui ont introduit cette catégorie en Afrique ! Gêne de l’assemblée devant cette méconnaissance de l’art nègre par un grand artiste. Un, deux et puis une colonie d’anges passent. Si cet artiste avait connu les magnifiques têtes de laiton d’Ifé entre le 10e  et 16e siècle ou les gracieux masques à visage féminin du peuple dan de Côte d’Ivoire, il n’aurait sans doute pas sorti une telle énormité. S’il avait quelques notions d’esthétique, il ne se serait pas risqué sur une pente aussi glissante. Qu’est-ce que cela a à voir avec le discours d’artiste ? De prime abord rien, mais à y regarder de plus près, on peut voir que cet artiste n’a pas construit un discours sur son travail, sinon il aurait pris connaissance de l’esthétique dans l’art africain. S’il avait inscrit consciemment son art dans une filiation ou une rupture, il aurait été obligé de s’informer sur l’histoire de l’art africain et de l’art contemporain pour situer sa démarche.

 Maintenant que le problème est posé, qu’est-ce qu’on fait ? Essayer d’y remédier et fissa ! L’urgence de l’élaboration de ce discours d’artistes tient au fait que les discours du critique, du conservateur et du commissaire sont rares comme la miction d’un incontinent dans le contexte burkinabè. Ce discours est nécessaire parce qu’il éclaire sur les intentions et la démarche de l’artiste. Par ailleurs, il participe d’une stratégie de positionnement de l’artiste sur le champ de l’art ; il situe ce dernier et sa pratique dans une histoire de l’art en matière de connivence ou en rupture et veut imposer la singularité de l’œuvre et l’authenticité de l’artiste.

Avant de prétendre pénétrer le marché de l’art, les artistes contemporains burkinabè, à l’instar de leurs pairs artistes du monde, devraient au préalable élaborer un discours d’artiste pour porter les œuvres et leur frayer un chemin.

 

Saïdou Alcény Barry

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