Menu

Affaire mosquée de Pazanni : Levée de boucliers des acteurs judiciaires

La décision du gouvernement  sur l’affaire dite de terrain querellé au quartier Pazanni fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Après les syndicats de magistrats qui ont, dans un communiqué, déploré l’attitude de l’exécutif, ce fut le tour du Syndicat des avocats du Faso (SYNAF) de donner de la voix. Les magistrats tout comme les avocats exigent l’exécution des décisions de justice. C’est  en tout cas ce qui ressort des communiqués dont teneur suit. 

 

 

 

« La paix et la justice n’ont jamais été antinomiques »

                

 

Le 7 octobre 2020, le porte-parole du gouvernement d’alors, se prononçant sur l’exécution d’une décision de justice ayant ordonné la destruction de constructions faites sur un terrain sis à l’arrondissement n°9 de Ouagadougou dans un litige opposant monsieur Ouédraogo Jacques à monsieur Guigma Moussa, déclarait que le gouvernement désapprouvait, quels que soient   les motifs, la destruction d’un lieu de culte.

Par communiqué en date du 17 octobre 2020, le Conseil supérieur de la magistrature disait déplorer « les propos du porte-parole du gouvernement lors du compte rendu du Conseil des Ministres du 7 octobre 2020 relatifs aux évènements de Pazanni en ce qu’ils portent atteinte à l’autorité des décisions de justice. A cet effet, il encourageait le Président du CSM à poursuivre les démarches entreprises auprès de son Excellence monsieur le Président du Faso, garant de l’indépendance de la justice ».

Par un communiqué daté du 6 mai 2021, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, monsieur Pengdwendé Clément Sawadogo, apparemment riche d’une volonté soutenue de récidive et d’une sorte  de dédain pour le Conseil supérieur de la magistrature, annonçait que dans l’affaire suscitée, le gouvernement, fondement pris de ce que la crise née de l’exécution de la décision de justice a affecté le climat social, a pris dans l’intérêt de la paix sociale les  mesures conservatoires suivantes:

- l’expropriation du terrain litigieux pour cause d’utilité publique ;

- l’attribution dudit terrain à la Fédération des associations islamiques du Burkina Faso (FAIB) à l’effet de permettre la réalisation de toute infrastructure ou toute activité en faveur de la communauté islamique ;

- la cession d’un autre terrain à monsieur Ouédraogo Jacques, attributaire légal du terrain litigieux, en guise de compensation.

Les syndicats de magistrats déplorent et condamnent avec la dernière énergie une telle attitude qui n’est rien d’autre qu’une remise en cause de l’indépendance et de l’autorité du pouvoir judiciaire et alors même que dans la situation litigieuse concernée, le gouvernement ne pouvait ignorer que :

- les décisions, fondement de la démolition, reposent sur un arrêté d’attribution émanant de l’exécutif au profit de monsieur Ouédraogo Jacques ;

- il ne peut prétendre qu’il n’était pas au courant de la situation litigieuse et qu’il avait, de ce fait et en toute responsabilité, toute latitude de la régler hors prétoire et avant certaines évolutions s’il le voulait ;

- le juge a d’abord ordonné la cessation immédiate de tous travaux de construction sur le terrain sans être suivi par monsieur Guigma Moussa ; ensuite, il a ordonné son expulsion du terrain ; c’est enfin, et dans une troisième décision, qu’il a ordonné la démolition des constructions faites par monsieur Guigma Moussa sur le terrain ;

Cette décision du gouvernement burkinabè est d’une particulière gravité pour la simple raison qu’il reconnaît qu’un citoyen, attributaire légal d’un terrain, a obtenu une décision de justice exécutoire mais que, pour des enjeux qui lui sont propres, il se croit autorisé lui-même à fouler aux pieds l’autorité de l’Etat et à consolider les actions entravant l’exécution de ladite décision de justice.

Face à une telle attitude juridiquement étrange et qui constitue un grave précédent pour un pays qui se veut un Etat de droit, l’intersyndicale des magistrats burkinabè interpelle le gouvernement burkinabè sur sa responsabilité :

- à assurer l’exécution des décisions de justice, gage de l’autorité de la justice ;

- à garantir la force publique due aux huissiers de justice pour l’exécution des décisions de justice.

L’intersyndicale invite le gouvernement à se ressaisir et à respecter la lettre et l’esprit des lois de la république afin de garantir la pérennité des institutions et l’autorité de la règle de droit.

 En tout état de cause, les bénéfices attachés à une telle attitude du gouvernement ne peuvent être durables pour le gouvernement lui-même dans la mesure où, en cultivant la défiance à l’endroit des décisions de justice, l’heure viendra où le fait pour lui de brandir qu’une affaire est en justice sera inapte à apaiser les cœurs et le climat social au regard des malheureux exemples que lui-même aura donnés. La paix et la justice n’ont jamais été antinomiques dans un pays où les dirigeants entendent, avec sincérité, entourer les citoyens d’une inexpugnable volonté de bâtir et de bâtir durablement.

 

  Fait à Ouagadougou le 7 mai 2021

 

P/le Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB)

       

Le Secrétaire général

Emmanuel S. OUEDRAOGO

 

P/le Syndicat burkinabè des magistrats (SBM)

            

 Le Secrétaire général

Moriba Traoré

           

 

P/le Syndicat des magistrats burkinabè (SMB)

             

Le Secrétaire général                       

Diakalya Traoré

 

 

« Une remise en cause frontale des fondements de l’Etat »

 

 

Le Bureau exécutif du Syndicat des avocats du Burkina Faso, réuni en session extraordinaire ce vendredi 7 mai 2021, constate pour le regretter ce qui suit :

Par un communiqué du MATDS daté du 6 mai 2021,  le gouvernement a informé l'opinion publique de ce qu'il a, dans l’affaire dite de la  mosquée de Pazanni, procédé à

« 1) l’expropriation du terrain litigieux pour cause d’utilité publique ;

2) l’attribution dudit terrain à la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) à l’effet de permettre la réalisation de toute infrastructure ou toute activité en faveur de la communauté islamique ;

3) la cession d’un autre terrain à Monsieur Ouédraogo Jacques, attributaire légal du terrain litigieux en guise de compensation ».

Ainsi, le gouvernement a mis à exécution sa Résolution de faire échec à l'exécution d'une décision de justice qu'il n'a pas craint de désapprouver sans équivoque le 7 octobre 2020.

Cette irruption du gouvernement, en plus d'être une grave atteinte à l'indépendance du pouvoir judiciaire est sans nul doute, une remise en cause frontale des fondements mêmes de l'Etat et du Contrat social pour l'ancrage desquels des Burkinabè ont consenti jusqu'au sacrifice suprême.

Cette attitude est en passe de ne plus être surprenante, le gouvernement et à sa suite, de nombreux agents publics, étant devenus coutumiers de la condescendance notoire vis-à-vis des décisions qu'il doit lui-même exécuter. C'est à croire que pour le gouvernement, n'est décision de justice que celle qui plaît et correspond parfaitement aux desseins de ses animateurs.

Le SYNAF qui a toujours eu pour préoccupation majeure, le respect des règles de droit et le rejet des abus de pouvoir d’où qu’ils viennent, rappelle  que ce genre de libertés prises avec les principes qui gouvernent l’Etat de Droit fait le lit des frustrations et constitue une source d'insécurité.

C’est pourquoi, le SYNAF :

- condamne avec fermeté cette aventure scandaleuse du gouvernement qui n'a rien d'une expropriation pour cause d’utilité publique.

- Rappelle ultimement au gouvernement qu'il est de sa responsabilité de concourir à la bonne exécution des décisions de justice et non à leur dechiquetage.

- Exige l'exécution stricte des décisions de justice rendues contre l'Etat.

- Appelle les avocats à, désormais, initier systématiquement des procédures pénales sans désemparer, contre toute personne qui prétexte de ses fonctions administratives pour ne pas exécuter une décision de justice, car le refus d'exécuter une décision de justice ne saurait guère être le fait d'une personne investie d'une autorité administrative.

-Appelle à la mise en place  d'un Cadre interprofessionnel de suivi de l'exécution des décisions de justice rendues contre l'Etat.

Défendre, se défendre, toujours servir

 

Fait à Ouagadougou le 8 mai 2021

 

P/ le Bureau exécutif

Le Secrétaire général

Maître Olivier Yelkouny

Avocat à la Cour

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

Retour en haut