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MACO: Confidences d’un ancien prisonnier

Il s’appelle Ben Aly Ouédraogo. Il est né le 27 octobre 1990. Après son Brevet d’études du premier cycle (BEPC), il débute une carrière dans le cinéma qui le verra jouer dans des séries populaires comme «Les aventures de Wambi» et «Petit sergent». A 22 ans sa vie bascule. Arrêté pour une affaire de vol de motocyclette, il est écroué à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) le 28 mai 2012. Il y passera exactement 3 245 jours.

Libéré le 21 avril 2021 avec pour obligation d’aller pointer toutes les trois semaines ou pénitencier, celui qui se fait appeler «Bauer», en référence au héros de la série à succès «24 heures chrono», veut démarrer une nouvelle vie dans l’humour et la maîtrise de cérémonie.

Le 28 mai 2021, il a souhaité témoigner de son expérience d’ex-taulard, pour, dit-il, montrer qu’un nouveau départ est possible après la prison. Une interview-confidence qui nous plonge au cœur du plus grand centre de détention du Burkina.

 

 

Pourquoi avez-vous choisi de parler de votre expérience d’ancien prisonnier au risque d’être stigmatisé ?

 

C’est un choix  que j’assumerai. En prison, j’ai compris beaucoup de choses que j’ai envie de partager. Ça va plaire ou déplaire, mais je veux parler pour conscientiser, dissuader et décrier tous les maux que j’ai pu observer.

 

Vous étiez surtout connu comme acteur de cinéma. Comment êtes-vous arrivé au 7e art?

 

C’est en octobre 2005 que ça a commencé. Je suis allé dans une  école à Wemtenga pour jouer au foot parce qu’à l’époque j’habitais ce quartier. Quand je suis arrivé, j’ai vu  sur place une équipe en plein tournage. Curieux, tous les jeunes de mon âge se sont approchés pour voir ce qui se passait. C’était Idrissa Ouédraogo qui était en plein tournage de son long métrage «Kato Kato». C’est  d’ailleurs après que j’ai compris que c’était ça. Il y avait sur le plateau des gens qu’on voyait à la télé, notamment  Barou Oumar Ouédraogo. On s’est arrêté, on n’a plus joué au foot. Entre-temps, on avait besoin d’enfants dans une des classes. Tout de suite, une trentaine d’enfants, dont je faisais partie, est entrée dans la classe pour une figuration. Tout  de suite je me suis dit  que c’était quelque chose d’intéressant. Heureusement pour moi, le film était principalement tourné à  Wemtenga. C’était les vacances et chaque matin, j’étais sur les plateaux. Idrissa Ouédraogo, qui aimait les gens, m’a tout de suite adopté.  Un jour, un costumier m’a rabroué et Idrissa l’a recadré. Il m’a traité comme un membre de l’équipe. Depuis lors, j’étais  assis devant le  moniteur, à côté du réalisateur jusqu’à la fin du tournage. C’est comme si j’étais un assistant réalisateur.

Par la suite, je rendais régulièrement visite à Idrissa Ouédraogo  dans sa société de production. Début 2006,  son petit frère, Tahirou Tasséré Ouédraogo,  tournait «Les aventures de Wambi». Idrissa m’a proposé d’aller  le voir.  Quand je suis arrivé,  Tahirou, sans casting, m’a tout  de suite mis à l’essai. Voilà comment, pour la première fois, ou du moins pour la deuxième fois, après «Kato Kato» où j’étais figurant, je suis passé devant la caméra comme acteur sans aucune formation. Après «Les aventures de Wambi», où j’ai joué dans plusieurs épisodes, j’ai joué dans «L’avocat des causes perdues» et «Sauver Rama», toujours de Tahirou Tasséré Ouédraogo,  ainsi que dans «Célibatorium» et «Petit sergent» d’Adama Rouamba. J’ai fait plein de figurations  et quand je n’avais pas de rôle, j’écumais les  plateaux de tournage à côté des réalisateurs  et des techniciens  pour apprendre.

 

Comment l’acteur de cinéma que vous êtes, qui était sans doute destiné à avoir une belle carrière, s’est-il retrouvé impliqué dans une affaire de vol de mobylette?

 

C’est l’insouciance de la jeunesse tout simplement. Pour être honnête, quand  tu incarnes un rôle dans un film  et que dans la vraie vie, au quartier par exemple, tu n’as même pas le minimum, ce n’est pas intéressant.  En tant qu’acteur, tu veux ressembler aux  enfants de riches qui ont un certain niveau de  vie.  Tu te lances donc dans des choses répréhensibles. C’est  peut-être par ignorance,  je ne savais pas ce que je cherchais, j’ai basculé rapidement dans cette vie facile et je l’ai payé cash.

 

Vous regrettez aujourd’hui ?

 

Oui naturellement. Quand tu commets une gaffe et   tu en paies le prix, la leçon est tirée et pour ne plus retomber dedans, tu as des regrets. Mais j’assume,  j’étais sorti du droit chemin, mais je suis revenu sur de bons rails.

 

En plus du vol, vous avez été condamné pour des faits d’évasion et de tentative d’évasion. Qu’est-ce qui s’est passé?

 

Loin de moi l’idée de charger qui que ce soit parce que,  comme je l’ai dit, j’assume. Que  les autres aussi assument leurs actes. On était trois  dans l’histoire du vol. Le troisième a été très vite relaxé parce que tout de suite sa famille s’est levée comme un seul homme pour le tirer d’affaire. Nous étions deux à avoir été conduits à la maison d’arrêt. Pendant que l’affaire n’avait pas été jugée, on nous a extraits pour une nécessité d’enquête au commissariat qui nous avait déposés. De là, moi, j’ai pris la poudre d’escampette. Je me suis évadé et 15 jours après, j’ai été repris.

Pour le premier fait, on m’a jugé, j’ai pris 4 ans ferme,  et pour l’évasion alors que j’étais sous mandat de dépôt, j’ai pris 5 ans. Donc ça faisait 9 ans. Entre- temps, j’ai appris que je devais bénéficier d’une confusion de peine. En clair,  les peines ne devaient pas être cumulatives. Je devais purger uniquement la peine la plus lourde, soit 5 ans. Dans mon cas, cela n’a pas été appliqué.

Durant l’insurrection populaire de 2014, le ciel m’est encore tombé dessus. A la MACO, il y a eu une mutinerie  parce que les prisonniers se disaient qu’il n’y avait plus de président  à la tête du pays et qu’il fallait en profiter pour s’évader. Il y a eu morts d’homme. C’est déplorable. Et après, on a entrepris de comprendre ce qui s’était passé. Je me suis porté volontaire pour parler de ce que j’avais vu et de ce que j’avais entendu. Lorsqu’ils ont fini d’écouter les gens, grande fut ma surprise, quand de témoin je suis passé à accusé. Chose étonnante, le jugement a été  mis en délibéré. Quand ce sont  des faits d’évasion, je me dis que c’est du flagrant délit. Je n’ai jamais vu un jugement d’évasion mis en délibéré. Quand le délibéré est venu à la maison d’arrêt, je faisais partie d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui ont écopé de 12 mois ferme. J’ai dit: «Ce n’est pas ma peine». Mais finalement ça a été ma peine.  C’est ce qui explique  les 10 ans : 4 ans, 5 ans et 1 an.

 

Comment avez-vous accueilli votre première condamnation?

 

C’était un coup dur, un coup très dur même. C’est vrai que j’avais eu l’occasion de faire un film sur la justice, «L’avocat des causes perdues». J’avais une idée mais  je ne m’y connaissais pas, parce que là c’était du cinéma. Lorsque je me suis présenté véritablement à la barre pour répondre des faits qui m’étaient reprochés, j’ai compris qu’il y avait un fossé entre la réalité et le cinéma. Quand on m’a arrêté, j’ai même oublié pendant un instant comment je m’appelais, tant  c’était un choc.

 

Comment se sont passés vos premiers jours à la MACO?

 

En juillet 2008, j’avais eu l’occasion d’aller à la maison d’arrêt lors d’un tournage de «L’avocat des causes perdues».  J’avais un aperçu de cette maison. On a tourné à l’ancien bâtiment. Je suis revenu à cet  endroit 4 ans plus tard, cette fois en tant que prisonnier. Je me suis dit qu’il fallait prendre ça avec philosophie.  Ce qui m’a redonné le moral et m’a permis de tenir, c’est que ce que je pensais de cette maison-là, ce n’était pas le cas. Quand on est nouveau, on t’envoie au nouveau bâtiment. C’était une surprise agréable pour moi de constater que le couloir de la maison était carrelé. J’ai  revu aussi  un aîné du quartier qui m’a accueilli à bras ouverts. A l’époque, il y avait  600 militaires arrêtés après les minuteries de 2011 et eux avaient un téléviseur. Je me suis dit: «Tiens, il y a une télé ici, il y a un ventilateur,  tiens bon, ça va aller». «Ça va aller», le prisonnier vit avec ça.  S’il le perd, il a tout perdu.

 

Comment se passait une journée type pour vous derrière les barreaux?

 

J’étais au Bâtiment annexe, un quartier très difficile à vivre, insupportable et même inhumain. Il y règne une promiscuité indescriptible et la chaleur y est à un niveau insupportable. Je me réveillais à 8h-9h. Je me suis très vite adonné à la lecture, que j’aime bien. Je lisais constamment. J’échangeais aussi avec les autres détenus. Comme je suis acteur de cinéma, beaucoup m’approchaient,  surtout les militaires incarcérés. Je débattais de tout et de rien. La nuit on suit la télé, on cause et je lis encore.

Je suis musulman, mais pendant mes premiers moments en prison, un ami m’a rendu visite et m’a remis une Bible. Il m’a dit : «Prends soin de ça parce que tu me la remettras  plus tard». Je me suis dit : «Je vais rendre utile ma prison». Et j’ai commencé à lire le livre saint. J’ai pris 5 mois pour le terminer. Je me suis aussi dit que la prison doit être un stimulant pour moi et je me suis mis à écrire moi-même des scénarios de films:  «Boris le prisonnier», «Fati», «Les malfrats», «Le prétendant évincé». J’ai même voulu tourner «Boris le prisonnier» derrière les barreaux. Mais Dieu seul sait pourquoi ça n’a pas marché. Je me suis battu avec mon père spirituel,  Sié Jacob Sou, pour ça. J’ai remis le scénario au patron de la maison d’arrêt depuis 2018. Et jusqu’à ma sortie je n’ai pas pu le réaliser. Pourtant, le projet était vraiment de tourner le film derrière les barreaux.  J’ai vu en prison des gens qui écrivent des livres, j’ai vu des artistes enregistrer des chansons derrière les barreaux et même des « clips». Moi, je me suis dit: si les écrivains écrivent, les artistes enregistrent et tournent des clips, toi qu’est-ce que tu peux faire? Le film devait être un 26 minutes. J’ai  retravaillé le scénario avec Jacob Sou, ce sera  finalement un long métrage.

 

Quelle était  pour vous la chose la plus difficile à supporter en prison ?

 

C’est surtout l’abandon de certains qui te sont chers, dans ta famille biologique et dans ta famille du 7e art. Quand tu penses à cela, c’est un choc.  Mais je ne leur en veux pas. Il y a aussi les calomnies et les insultes sans connaître vraiment la réalité des choses. Chacun dit ce qu’il pense et tout me revient. Mais j’ai compris que c’est ça, la vie. Ce qui caractérise les grands hommes, c’est leur capacité à tout surmonter. Me concernant, beaucoup a été dit  et c’était rien que du faux. Ce sont de vrais scénaristes, ils invitent un truc et tout le monde prend ça pour argent comptant. J’ai toujours gardé le silence parce que je n’avais envie de convaincre quelqu’un.

 

Y a-t-il eu des moments où vous avez cédé au découragement ?

 

Naturellement. J’aime dire aux gens que le moral du prisonnier, c’est comme le  cours du dollar : ça monte et ça descend. Il n’y a pas ce pensionnaire qui va dire que souvent il ne bascule pas. Chez moi, c’est arrivé quand je pensais que j’obtiendrais ma liberté du fait de la confusion de peine.  En 2016-2017, j’ai beaucoup espéré. Idrissa Ouédraogo avait même pris un engagement afin qu’on me libère pour qu’il essaie de me réintégrer dans la société. Ça n’a pas marché. A partir de 2017, je n’y croyais plus. Mais je me suis dit que je devais prendre  ça comme un stimulant. Je suis un artiste qui prend ce qui est mal pour en faire du bien. Et je remonte finalement. Sinon tout le monde bascule ; moi, j’ai basculé pendant longtemps même. J’ai même arrêté de prier pendant un moment.

 

 

Quels étaient vos rapports avec les autres détenus?

 

C’est un endroit où on retrouve des gens qui viennent de divers horizons, chacun avec son caractère, son histoire. Ce n’est pas facile, la prison. Tout se dit, tout se raconte. Il faut éviter de te démarquer. Si tu ne t’alignes pas sur le comportement  de la majorité, ça va être difficile pour toi. Un exemple : quand l’un   veut faire du bruit, l’autre veut se reposer ou veut lire et un autre veut allumer la lumière, ce sont des chamailleries. Je considère ça comme des enfantillages. Les prisonniers ne comprennent pas souvent qu’ils doivent être solidaires pour mieux vivre en prison. Au contraire, ils se rendent la prison dure. Moi, je n’avais pas de bonnes relations avec beaucoup. Ceux avec qui je m’entendais, c’était une minorité. Dans tous les cas, c’est l’hypocrisie et la jalousie comme dans la vie de tous les jours d’ailleurs.  Mais pour la maison d’arrêt, j’avoue que moi-même j’ai peur.  Si certains d’entre eux lisent cette interview, qu’ils sachent que se faire la guerre n’est pas la solution à leur situation.  D’ailleurs, même si la prison est difficile, c’est du fait des codétenus et non à cause du personnel pénitentiaire.

 

Des amitiés sont-elles quand même nées en prison?

 

Est-ce qu’on peut aller à un endroit et ne pas avoir des amis ? Mais je n’appelle pas les amis de la prison des amis.  Lorsque j’étais toujours là-bas, je disais à certains qu’il y a des amis, si par malheur ils arrivaient à avoir mon numéro, qu’ils ne me téléphonent pas, parce que  celui qui le fera, j’enverrai  son numéro au commissariat. Je sais ce qui  peut conduire quelqu’un en prison. Par exemple si quelqu’un commet un délit et deux ou trois jours après il t’appelle, le fait que ton numéro se retrouve dans ses appels peut t’amener banalement en taule. Pour ne pas retourner là-bas, je ne vais pas commettre cette erreur.

Mais il faut dire que je suis fidèle à certaines amitiés. J’ai quand même passé du temps là-bas, j’ai vu beaucoup de gens passer, le citoyen lambda tout comme des personnalités. Tout le monde ne peut pas être mauvais. J’ai connu de bonnes personnes et je suis en contact  avec elles depuis ma sortie de prison.

 

Qu’en était-il de vos rapports avec les gardes et l’administration?

 

L’administration pénitentiaire à ses règles. Si tu les suis,  tu feras une prison paisible jusqu’à ta sortie parce que tu n’auras de problème avec personne. Mais si tu veux t’affirmer  et faire valoir tes droits, tu auras tous les problèmes du monde. A la MACO, j’ai compris que la soumission doit être à 100%, sur tous les aspects. Si tu déroges un peu aux règles, tu es mal barré. Mais moi, peut-être que c’est ma nature de Yadéga,  quand je vois  quelque chose qu’il faut dire, je le dis. Pour dire la vérité, la grande majorité du personnel n’aimait pas ma tête. Mais c’est comme j’ai dit, c’est un  milieu où règne l’hypocrisie. Certains rient et causent avec moi ; ceux qui sont honnêtes venaient me dire de faire attention quand je cause car je n’étais  pas trop aimé. J’en étais conscient aussi mais ils ne venaient pas directement me le dire. On ne peut donc pas dire que j’avais des relations cordiales avec les gardes.

 

Avez-vous reçu le soutien du milieu culturel durant tout le temps passé en détention?

 

Oui et non. Je suis déclaré au BBDA et j’ai la carte de membre de cette institution depuis 2011. Quand j’ai eu des problèmes, je me suis dit que quand on a un problème on doit avoir le soutien de sa famille, parce que n’importe qui peut se retrouver  à la MACO. Comme le soutien de cette famille culturelle ne venait pas, j’ai commencé à écrire. J’ai écrit au ministre de la Culture d’alors, Tahirou Barry.  Et il a tout de suite  ordonné au directeur général du BBDA de lui faire l’état de tous les détenus membres du BBDA présents dans toutes les maisons d’arrêt  du Burkina. En  novembre 2016, une délégation du BBDA est venue à la MACO. Elle a échangé avec nous, on était juste trois artistes déclarés, toutes catégories confondues. Mais lorsqu’on ajoute tous ceux qui aspiraient à devenir artistes, on s’est  retrouvé à une dizaine. Ils nous ont dit:  «Si vous créez on va vous accompagner, si vous êtes malades, nous allons payer les ordonnances non honorées».

Étant déclaré, mes droits étaient toujours payés. J’ai aussi bénéficié du fonds Covid décerné  aux artistes.

 La personne à qui je fais une mention spéciale dans le milieu culturel,  c’est Sié Jacob Sou. Dès la survenue de  mon problème, il a dit qu’il allait me soutenir de A à Z et il l’a fait. C’est lui qui s’est porté garant pour que je sois à l’aise.  Quand ça ne va pas et je lui téléphone, il me donne de l’argent. Quand il y a une fête, il m’en donne aussi pour mes préparatifs. Je ne cesserai de remercier cet  homme au grand cœur.

 

Vous avez été libéré avant la fin de votre peine.  Qu’est-ce qui a milité en votre faveur ?

 

28 mai 2012-21 avril 2021,  c’est moins de 9 ans même, alors que je devais passer 10 ans. J’ai bénéficié d’une faveur de la commission d’application des peines qui statue toutes les deux semaines pour voir les détenus qui présentent des chances de réinsertion sociale avant la fin de leur peine. J’ai  souvent postulé et c’est la 4e fois que j’ai obtenu gain de cause. Il me restait environ 14 mois à faire. Ce qui  a plus milité  en ma faveur, je pense, c’est mon bon comportement parce que vu ce qui était dans mon dossier, ce n’était pas évident d’autant plus que quand tu as un dossier où figure une peine pour évasion, beaucoup  se rétractent, surtout les magistrats.

A la maison d’arrêt, il y a des activités culturelles  et sportives à chaque moment. Moi, j’étais maître de cérémonie, je commentais les matchs. Pour tout ce qui était en lien avec la culture, je me donnais à fond. Ça plaisait aux gens et  je recevais les félicitations du directeur et de son équipe. Le directeur, avant que je ne bénéficie de cette semi-liberté, m’a dit qu’il verrait dans quel cadre il ferait valoir le talent que j’ai. Il a sûrement plaidé en ma faveur.

 

Avez-vous des anecdotes ou des faits qui vous ont marqué particulièrement durant vos années de détention?

 

D’abord c’est le fait que je me sois converti au catholicisme à la maison d’arrêt. Je suis issu d’un père et d’une mère musulmans. A la maison d’arrêt, les gens vont où ils veulent, à la mosquée ou à l’église, indépendamment de leur religion, pour avoir de l’air. J’ai un ami du quartier qui était corvéable, entendez par là celui qui fait les petites tâches, pour l’aumônier catholique, qui  m’a dit qu’il allait m’inscrire à la catéchèse. C’était en  2013-2014. J’ai accepté pour avoir un peu d’air. J’ai suivi les cours avec la sœur religieuse Françoise Ilboudo, actuellement à Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus à Pabré. Jai hâte de la revoir parce qu’elle est à l’origine de ma vie chrétienne. C’est elle qui tenait les cours de catéchèse avec les pensionnaires. La première année,  j’étais assidu aux cours. Quand elle posait les questions, sans fausse modestie, j’étais le plus fort. En 2e année, elle a souhaité que je sois baptisé avec ceux de la 3e année. Elle en a parlé au prêtre qui m’a reçu et m’a demandé si j’avais des empêchements. Je lui ai dit que je venais d’une famille musulmane mais que je me donne volontiers et qu’il n’y aura pas d’empêchement. Voilà comment j’ai fait partie de la première promotion de baptisés à la MACO. Nous étions 7.  Etre baptisé, c’est un appel de Dieu. C’est peut-être pour cela que je suis allé à la maison d’arrêt.

Deuxième fait marquant, quand Philippe Ouédraogo a été créé cardinal, après sa messe d’action de grâce au sanctuaire Notre-Dame de Yagma, il a pensé aux prisonniers. Il appelle les prisonniers « mes amis » ou encore « les habitants de la cité ». Quand il venait à la MACO, on choisissait un pensionnaire pour dire le mot des pensionnaires et c’est moi qu’on a désigné pour rédiger le discours de remerciements à Son Eminence. Je me suis mis à la tâche avec d’autres frères en Christ. Ce jour-là, devant les responsables de l’Eglise catholique, les autorités politiques et les autorités des autres religions, j’ai lu le mot des pensionnaires. Quand j’ai fini, je suis allé remettre le mot au cardinal ; il m’a serré la main et m’a demandé mon nom. Il m’a dit que j’étais un bon orateur et m’a prodigué des encouragements.

Avec l’actuel directeur de la MACO, Claude Ouédraogo, le détenu se sent un être humain.  

 

Y a-t-il des choses qui vous ont particulièrement indigné ?

 

Ce qui m’a le plus indigné, c’est qu’on m’ait collé une peine qui n’était pas la mienne. Je parle des 12 mois pour  évasion lors de l’insurrection populaire. Je ne peux pas comprendre qu’une administration qui se dit très sérieuse puisse faire cela,  parce qu’elle devait mettre tous les moyens de son côté pour vraiment enquêter et savoir ce qui s’était passé et ce qui ne s’est pas passé. Quand il y a une peine d’évasion dans ton dossier, ça gâte tout. Moi qui m’étais déjà évadé du commissariat, j’ai vu ma situation se  compliquer C’est ce qui explique que j’aie passé autant d’années, environ 9, derrière les barreaux.

Il y a aussi les bavures que j’ai pu constater. Purger sa peine est déjà chose difficile ; ça l’est encore plus  quand le prisonnier doit subir des bastonnades quand il déconne. Même s’il n’y en a plus, il y en avait à une époque donnée. J’ai vécu cela, pas personnellement, mais j’ai vu certains subir ces sévices. J’avais compris qu’on n’avait pas envie de me frapper parce que si on me frappait, je savais où aller. En outre, on brime dans  ses droits élémentaires le pensionnaire, notamment quand il y a un petit problème. Quand une personne fait quelque chose à la maison d’arrêt, c’est tout le monde qui paye. Quand un seul pensionnaire déconne, c’est tous les pensionnaires qui paient. Quand il y a des petits mouvements de rue ou des mouvements d’humeur dans la justice, tout de suite, le pensionnaire est brimé, il est oublié jusqu’à l’extrême. Même si ça s’est amélioré, il reste des choses à parfaire. Ce n’est pas facile, surtout dans le quartier Bâtiment annexe. Il faut que les plus hautes autorités s’y penchent vraiment afin qu’il y ait une aire de promenade, parce que ce n’est pas facile de rester cloué dans une cellule tout le temps. Quand tu sors par exemple vendredi, il faut attendre mardi encore pour sortir et c’est juste pour 3h. Les conditions de vie sont très difficiles dans ce quartier,  mais dans les autres quartiers, elles sont acceptables. La nourriture, le « pénal » comme je l’appelais, était difficilement mangeable. Tout le temps, c’était du tô qui était servi. Mais qu’est-ce qu’on pouvait faire? La grande majorité n’avait que cela.

 

Comment se passe la vie sentimentale, voire  sexuelle, derrière les barreaux ?

 

Quand j’entends des gens dire qu’ils ne peuvent pas faire une semaine sans rapports sexuels, ça me fait rire. C’est quand tu n’as pas eu un problème que tu peux parler comme ça. Mes amis quand ils m’ont rendu visite la première fois, ils m’ont demandé comment je m’en sortais sur ce plan,  et je leur ai dit qu’on ne parle pas de ça ici.  Qui que tu sois, d’où que tu viennes et quelle que soit ta classe sociale, tu seras obligé de mettre la femme entre parenthèses. Dans ton for intérieur, tu dois te dire que tu n’as plus droit à cela. Maintenant, chacun a sa manière de vivre sa vie sentimentale. Il y a un quartier des femmes, mais il est interdit  d’échanger avec elles. Il y a des gens qui écrivent sur des bouts de feuille  des mots pour les filles, même si c’est interdit. Certains reçoivent des réponses qui leur remontent un peu le moral. Moi-même j’ai fait partie de ce lot-là.

 

On entend généralement dire que l’homosexualité est très développée en prison. Est-ce vrai?

 

Sans détour, je répondrai oui. C’est vrai ce que les gens disent ou entendent de la MACO. Les statistiques disent  d’ailleurs qu’après les travailleurs du sexe, les maladies sexuellement transmissibles  touchent particulièrement les détenus. On vient de divers horizons : il y a des mineurs, des majeurs, des gens peu matures. Il y a des gens là-bas qui sont condamnés à de lourdes peines et qui n’ont plus d’espoir. Ce sont surtout eux qui s’adonnent à cette pratique au sein de la maison. Ils ciblent les enfants ignorants, ils les flattent avec de petites choses, comme des boîtes de sardine. Ils mettent tout  en œuvre à leur niveau pour séduire et convaincre leur proie. Généralement, c’est par consentement, je ne suis pas sûr qu’il y ait des cas de viol. Après, ça  s’ébruite et on en parle. Autre chose, et pas des moindres, il y a des gens qui, par nature, sont des homosexuels et j’en connais deux ou trois. Si je dois faire un commentaire,  je dirai qu’ils adorent le milieu pénitentiaire  parce que c’est là-bas qu’ils trouvent plus de clients. Et quand on  les libère, ils y reviennent toujours. On vit dans des cellules, ce sont des choses qu’ils ne peuvent pas faire à l’insu de tout le monde. Les gens sont là et voient ce qui s’y passe.  Il y a deux ou trois personnes qui ont été prises en flagrant délit et qui ont été condamnées pour cette pratique. Si j’ai bonne mémoire, ils ont pris 24 mois de prison ferme. Personnellement j’ai vu des gens à l’acte. J’ai toujours l’image en tête.

 

Comment vous vous êtes senti lorsque vous avez humé de nouveau l’air frais de la liberté?

 

Ce sont évidemment des sentiments de joie. Le jour où j’ai obtenu la semi-liberté, la commission a fini à 14h et j’ai quitté la MACO à 17h. Les  choses se sont accélérées pour moi, pour une fois. Devant le grand portail de la MACO, il y avait un mélange de joie et de peur. Quand j’ai vu la circulation, j’ai compris  que quelque chose de dur se préparait.

Je me suis dit: «C’est vrai que ce sera dur, mais ce n’est pas à comparer avec l’intérieur». Quand tu es en prison, tu pleures tous les jours au fond de toi en cherchant la liberté.

En famille, j’ai trouvé tout le monde en bonne santé et ils étaient tous contents. Quand nous sommes arrivés vers 18h, j’ai trouvé ma maman qui faisait ses ablutions. La première chose qu’elle a dite c’est : «Voici l’enfant de Ouédraogo!» d’un ton dont elle seule a le secret. J’ai même failli pleurer quand elle a dit ça. On ne m’a pas rejeté, je ne sais pas pourquoi. La famille m’a apporté un soutien incroyable, je ne m’y attendais pas.

Dans le milieu culturel, 5 jours après, Tahirou Tasséré Ouédraogo m’a offert une mobylette, Jacob Sou courait pour moi, les amis d’autrefois comme Moussa Petit Sergent aussi.  Je ne comprenais pas cet enthousiasme, ce soutien à mon égard. Beaucoup de gens m’ont téléphoné pour me dire qu’ils étaient dans la joie. Et moi, je suis content de les retrouver et de savoir qu’ils m’aiment, qu’ils ne m’ont pas rejeté.

 

Peut-on dire que la prison a fait de vous un nouvel homme?

 

On appelle la MACO la grande université, une université où il n’y a pas de professeurs. Les étudiants  les plus intelligents s’en sortent avec de bonnes notes, de bonnes leçons. La meilleure conseillère, c’est la souffrance. Ce proverbe ne ment absolument pas. Si tu es passé par la prison et puis elle ne t’a pas conseillé, c’est qu’il il y a un problème. En ce qui me concerne, j’ai compris derrière les barreaux que quand on est honnête, ça paye ; quand on bosse, ça paye. Donc je n’ai plus droit à l’erreur. Dans le milieu où j’étais, ceux qui sont restés honnêtes et qui n’ont pas fait de sortie de piste, ils sont tous bien aujourd’hui : acteurs, humoristes, etc. Si je n’avais pas déconné, j’aurais été comme eux. J’ai compris qu’il faut bosser et quand c’est dur, il faut l’accepter et un jour viendra le bonheur.

 

Quels sont vos projets maintenant que vous avez recouvré la liberté ?

 

J’ai compris à la MACO que j’avais des talents pour  l’animation. Je ne m’autoproclame pas animateur ou maître de cérémonie, j’apprends toujours. Lorsque j’animais, je faisais aussi de petite  blagues. Une fois, lors d’une visite de Moussa petit sergent, je lui ai dit de penser à faire un spectacle pour les pensionnaires parce qu’il n’y a pas d’activités dans le milieu carcéral. Et quand il a créé son spectacle « Moussa rit du monde », il a fait l’apothéose  à la maison d’arrêt. J’ai fait un « one man show » pour rendre hommage à l’humoriste ivoirien Agalawal. J’ai retravaillé une de ses blagues titrée « Président et prisonnier ». Moi, je connaissais la prison de l’intérieur et j’ai fait des ajouts pour faire rire.  Lorsque j’ai presté,   il s’est levé et m’a tendu un billet de 5000 F CFA. Il  m’a dit que quand je sortirai de le chercher et que si je ne le vois pas, de voir Moussa petit sergent et de foncer. Je n’ai pas de doute sur ce que je veux faire après la prison: c’est l’humour ou rien.  Moussa petit sergent  m’a  parlé d’une formation qui aura lieu en septembre à l’espace Gambidi. C’est une formation en théâtre, je vais y aller.  L’humour et l’animation sont dans mon métier de base qu’est le cinéma. Je ne vais plus traîner sur les plateaux de tournage pour des miettes, c’est fini. J’ai pris de l’âge et j’ai compris. Je vais me concentrer sur l’humour.

 

Interview réalisée par

Hugues Richard Sama

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