Arts plastiques : Tous contemporains, tous héritiers
- Écrit par Webmaster Obs
A la deuxième édition de Wekré, qui réunissait 50 artistes et 150 œuvres dans un parcours labyrinthique, nous avons eu le bonheur de redécouvrir trois artistes contemporains qui enracinent leurs œuvres d’une grande contemporanéité dans l’histoire de l’art africain. Il s’agit de Sambo Boly, Abou Sidibé et Isabelle Annick Bulczynski. La preuve par trois.
On définit le contemporain d’Occident par sa rupture avec l’art moderne tant dans les supports, les matériaux que les formes. En Afrique, si rupture il doit y avoir dans le contemporain, elle devrait être dans la démarcation avec l’art occidental pour renouer avec sa propre histoire de l’art qui a été niée pendant longtemps par l’Occident. Le contemporain africain s’affirme en se reconnectant à son histoire de l’art pour mieux parler de sa tragique condition d’avoir été dessouché de sa parentèle naturelle. C’est en honorant ses racines que l’artiste, tel l’arbre du poète Pacéré Titinga, fleurit, exhale les fragrances et exhibe les couleurs de ses pétales.
A l’exposition Wekré 2, qui s’est déroulée dans la forêt de Bangr Wéogo, nous avons retrouvé trois artistes dont les créations, très contemporaines, puisent dans le riche patrimoine culturel et artistique africain. Comme des lamantins vont boire à la source.
Sambo Boly est un artiste original dont l’œuvre ne ressemble à aucune autre. Telle une immaculée conception, elle n’a pas de filiation. Artiste autodidacte, il a beaucoup réfléchi sur sa pratique et sa démarche comme rares d’artistes du continent l’ont fait. D’où la grande cohérence d’une œuvre qui interroge continûment l’Afrique et son entrée dans la modernité, posant, comme la Grande Royale dans l’Aventure ambiguë de Cheick Hamidou Kane, la question de savoir si ce que cette Afrique embrasse avec tant d’effusion vaut mieux que les valeurs dont elle se détourne.
Et pour le dire picturalement, il associe l’acrylique, la peinture à huile aux pigments de chez lui : par exemple, Sambo ne peindra jamais le ciel de Ouaga en bleu, car il sait qu’il ne l’est pas. Son ciel sera un mélange de bleu sale, d’ocre de la poussière et de jaune soleil. Et c’est des plantes, des racines et de la terre de chez lui, Kongoussi, qu’il tirera la teinte la plus appropriée pour restituer l’éther.
Il sait le secret de fabrique des couleurs chez les populations nomades. Comment on obtient l’ocre en enterrant la toile dans la vase du fleuve ? Quelles feuilles ou racines bouillies donne une couleurs jaune or, quel bois calciné rend un noir étincelant, etc. Quel subtil dosage de kaolin et d’argile donne une blancheur céruléenne ? Il sait tout cela grâce à une enfance de berger au village et c’est cette connaissance des couleurs qu’il réinvestit dans la peinture contemporaine. L’ancrage de Samba dans une histoire de l’art africain est donc à chercher dans le retour à une gamme chromatique d’avant la peinture à l’huile. Dans cette expo, Sambo Boly a montré trois toiles dont Exode rural qui décline des visages communs et différents, pris dans le tourbillon de l’arrachement et dont l’identité se dilue dans le tout-monde et se délite dans l’universel.
Quant à Abou Sidibé, il est sculpteur assembleur. Il est sorti diplômé d’une école. Son travail est un travail de rencontre entre le passé et le présent. Ainsi trouve-t-on des masques, les figurines akan, à côté des bois qu’il sculpte comme des totems et qui évoquent les échelles des Tellems. Depuis quelque temps, il vire vers un art plus conceptuel fait de puisette qu’il orne de boutons, de bouteilles, de tous les menus objets de la société de consommation. Comme la puisette accrochée dans son installation à Bangr’wéogo et qui a pour titre la Nouvelle princesse.
La puisette qui va dans les profondeurs pour ramener l’eau aux hommes est dans les villages un objet important, précieux pour la vie. Ici, cet objet ne ramène plus de l’eau, source de vie, mais comme un aimant, il attire tous les petits artefacts de la consommation. Et ces objets, agrégés sur la puisette lui donnent des couleurs. La puisette devient colorée, bigarrée comme un sac Gucci. De la beauté naît de cette rencontre improbable entre la puisette et la mercerie. Devant cette œuvre, on pense à la poétique de Lautréamont : « Beau comme la rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection. »
Nouvelle princesse est une critique de la société de consommation, du superflu qu’elle génère et qui envahit tout, même des objets indispensable à la vie comme la puisette. En utilisant la symbolique des objets des communauté rurales africaines, il puise dans la sémiologie de ces objets du passé pour investir dans un sens le présent. Comme pour dire qu’il faut connaître le passé pour mieux décrypter ce présent qui croule sous le poids du superflu.
Enfin Isabelle Annick Bulczynski, un bel exemple qui montre que l’héritage artistique africain appartient au monde. Elle est française d’origine, béninoise par alliance. Mais son travail s’enracine profondément dans l’histoire de l’art africain.
En témoignent ces portraits d’amazones, ces intrépides guerrières des armées du Dahomey qu’elle expose à Wekré 2. La démarche est très contemporaine. Sur des plaques de métal attaquées par la rouille qui y laisse des formes et des couleurs, elle peint comme sur un palimpseste, veillant à aller dans le sens de la rouille. Comme si l’air, l’oxyde et le temps étaient les premiers créateurs qui faisaient l’esquisse et elle venait parachever l’œuvre de la nature. L’art est long mais le temps est court, regrettait Baudelaire. Isabelle a trouvé la solution qui consiste à laisser le temps commencer l’œuvre et à n’intervenir que pour l’achever. Dans ces portraits d’amazones, elle insère le pagne africain et l’écriture du Fa, les signes de l’art divinatoire vodun. Par ailleurs on sent dans l’ovale de ces visages de femmes, dans l’amande des yeux et les scarifications sur les joues, l’influence de la statuaire yoruba. Comment ne pas penser aux têtes de laiton de la sculptuaire du royaume Edo du Bénin du 13e siècle ?
Trois artistes, des parcours différents, des démarches singulières, mais une commune quête : tous trois empruntent le sentier étroit qui descend à la source de l’art africain pour ramener du nouveau dans le contemporain ; ce qui en fait des médiateurs entre notre histoire et notre actualité, des passeurs entre hier et demain.
Saïdou Alcény Barry