FESPACO 2021 : Les épousailles de la peinture et du cinéma
- Écrit par Webmaster Obs
Pour la première fois, le FESPACO a fait appel à un peintre pour le visuel de sa 27e édition dont le thème est « Cinéma d’Afrique et de la Diaspora : nouveaux regards, nouveaux défis ». Ce visuel qui rompt avec les habitudes du FESPACO a été conçu par l’artiste plasticien Christophe Sawadogo. Cette innovation annonce-t-elle une édition de rupture ?
Une première qui n’en est vraiment pas une. En effet, si pour le FESPACO, c’est une première de convoquer les arts plastiques pour créer son affiche, il faut savoir que l’art et la publicité ont longtemps frayé ensemble. Ainsi de grands artistes peintres comme Toulouse- Lautrec, Magritte, Sonia Delaunay ou Edward Hopper ont associé leur nom à des affiches publicitaires. En ce qui concerne le cinéma, il faut se rappeler que c’est l’artiste allemand Heinz Schulz-Neudamm qui a réalisé l’affiche du film Metropolis de Fritz Lang, sorti en 1927. Donc même si le FESPACO rompt avec ses habitudes pour cette édition, il s’inscrit dans une tradition qui s’est perdue avec l’apparition du publiciste et de la photographie.
Pendant longtemps, les visuels du FESPACO ont été conçus par des graphistes et une fois, par un photographe. Cette fois-ci, le festival recourt à un peintre très connu, Christophe Sawadogo ; l’honneur lui est échu de proposer une peinture pour l’affiche. Cette peinture a été ensuite photographiée par Vivien Nomwendé Sawadogo et transmise à un infographiste, Elisée Saré, qui a fait le travail technique d’ajout du texte et du logo ainsi que la transposition sur les différents supports. Ceci étant, à César ce qui est César et à Christophe Sawadogo ce qui est à lui, c’est-à-dire la paternité de l’image du visuel. Depuis la présentation du visuel, on assiste à une prolifération d’articles où des noms d’actrices ou d’acteurs inconnus y sont associés dans le but sans doute de bénéficier des retombées médiatiques.
Que voit-on sur l’affiche ? Une jeune femme juchée sur un cheval. Elle porte un habit et un pantalon bleu indigo fleuri. Comme une combinaison avec une ceinture à dominante rouge à la taille. Elle a une forte poitrine. Son visage, une mosaïque de traits, est tourné vers le hors champ à sa gauche. Elle tient une lance dans sa main gauche. Sa main droite semble empoigner la crinière du cheval pour le faire tourner. Le cheval, sans doute un alezan, regarde aussi vers la gauche, son mufle semblant presque téter la cavalière.
A observer de près, on remarque qu’elle n’a ni selle ni étrier ; d’ailleurs son pied nu levé au flanc du cheval témoigne son jeu d’équilibrage pour tenir sur le fougueux destrier. Qui connaît l’histoire du FESPACO peut déduire qu’il s’agit de la Princesse Yennenga sur son étalon. Mais elle pourrait bien être une actrice jouant le rôle de la Princesse. Du moment que nous sommes au cinéma, cela est logique. Dans l’un comme dans l’autre cas, Christophe Sawadogo a fait le choix de représenter une princesse contemporaine par l’accoutrement déjà. En effet, la représentation de la princesse n’est pas muséale ni vériste, car sa combinaison bleu indigo lui colle à la peau, d’où la proéminence de la poitrine. Il n’a donc pas voulu la représenter avec les habits et atours de l’époque (entre le 11e et le 15e siècle)
Ensuite son choix rompt avec la manière dont la Princesse de Gambaga est généralement représentée dans l’iconographie nationale. Dans la statuaire officielle, c’est un étalon cabré, bien harnaché avec la princesse bien juchée tenant sa lance pointée devant elle. Elle et le cheval regardant droit devant. C’est d’ailleurs ainsi que les montrent les trophées du FESPACO.
Chez le peintre, l’étalon et la princesse regardent vers la droite, un changement de direction pour signifier sans doute les Nouveaux Regards du cinéma. Leurs regards obligent le spectateur à regarder vers la droite, ce hors-champ ouvert et plein de mystère d’où peut surgir l’inconnu et le nouveau.
Ce visuel donne le primat aux fonctions symbolique et esthétique plus qu’à la fonction épistémique qui est d’informer ; on peut donc dire que le FESPACO abandonne le didactisme qui voulait que sur chaque visuel on retrouvât la caméra et la pellicule pour dire clairement qu’il s’agit de cinéma. En effet, même si sur cette affiche sont toujours présents le logo du FESPACO et le thème de l’édition - mais de manière fort discrète - c’est la peinture que la communication privilégie. Cette peinture qui utilise abondamment le jaune et le rouge, les couleurs principales de la charte graphique du festival pour représenter le célèbre équidé et sa cavalière. Faut-il en déduire que le festival panafricain de Ouagadougou a décidé de se tourner vers les professionnels de l’image, vers ceux qui sont capables d’une lecture sémiotique de l’image ? Espérons que non même si dans ce visuel, il n’y a plus de balises, ces signalétiques dont les masses populaires ont besoin pour savoir qu’elles se trouvent devant une affiche parlant de cinéma. Ce que l’on gagne en qualité esthétique, on le perd parfois en lisibilité. A partir de ce visuel de rupture, peut-on s’attendre à une édition qui satisfasse les esthètes du 7e art mais désarçonne le grand public ? Comme le fougueux cheval jaune du visuel ? Wait and see…
Saïdou Alceny Barry