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Guinée : Un ancien légionnaire aux affaires ?

 

Tôt le matin du dimanche 5 septembre 2020, les habitants de Conakry ont été sortis de leur torpeur par des tirs nourris venant essentiellement du quartier Kaloum, centre névralgique de la capitale où sont le palais présidentiel et la plupart des ministères. Mais jusqu’en milieu de journée, la situation était confuse, les uns parlant d’une simple mutinerie, d’autres d’une tentative de coup d’Etat en cours. Les populations ont été invitées par des soldats à rester chez elles, alors que des véhicules bondés d’hommes armés sillonnaient quelques artères de la ville.

 

 

 

 

Alors qu’on continuait de s’interroger, très rapidement les réseaux sociaux ont été envahis par des images et des vidéos dans lesquelles on voyait le président Alpha Condé en mauvaise posture, en  pantalon jean, la chemise ouverte, assis dans un canapé, avec à côté un soldat cagoulé qui s’enquérait de son état de santé. Dans un autre enregistrement, on pouvait voir un militaire à la carrure de rugbymen faisant une déclaration qui ne laissait guère de doute sur la situation.

 

 

Ainsi donc, le putsch serait consommé, même si du côté de la Défense, on annonçait avoir repoussé les assaillants. Celui qui semble être désormais le nouvel homme fort de Guinée est un militaire au parcours éloquent en attestent ses états de service.  En effet, il s’agit du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, commandant du Groupement des Forces spéciales (GFS). Ancien légionnaire français1, c’est visiblement un baroudeur qui est passé par plusieurs formations d’élite, notamment l’école de guerre, et a participé à moult théâtres d’opérations militaires à travers le monde (Afghanistan, Côte d’Ivoire, Djibouti, République Centrafricaine…).

 

« La situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens, la gabegie financière […] ont amené l’armée républicaine à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple de Guinée» ; a annoncé le nouvel homme fort du pays. Est-ce aussi pour les frictions avec la hiérarchie si bien qu’en mai dernier, des rumeurs sur son arrestation avaient circulé ? Toujours est-il que ce putsch, s’il est consommé, intervient comme un coup de tonnerre  dans un ciel serein,  car, contrairement au Mali, pour ne prendre que cet exemple, où le président de l’époque, Ibrahim Boubacar Kéita, a été balayé le 18 août 2020 par un coup d’Etat suite à plusieurs mois de manifestations ayant entrainé de nombreuses pertes en vies humaines, l’horizon n’était pas chargé de nuages noirs en Guinée.

 

Certes, dans ce pays aux grandes richesses naturelles, les habitants  avaient la vie chère à leurs trousses, le panier de la ménagère devenant de plus en plus vide par le fait de l’augmentation des prix des produits de base, sans oublier l’économie, qui n’était guère luisante, et qui, comme dans d’autres pays, a subi les affres du Covid-19. Mais rien ne présageait un arrêt aussi brusque que surprenant du pouvoir d’Alpha Condé. On pourrait même dire que concernant le Professeur Condé, le pire était passé. En effet, à coups de répressions sanglantes, il faut le dire, il était venu à bout des manifestations nées de son désir d’un 3e mandat, un 3e mandat de trop, diront ceux qui applaudissent ce coup d’Etat, qu’il a inauguré en 2020 en remportant la présidentielle à 59,5%.

 

 

Est-ce la rançon de l’obstination pour ce 3e mandat qui l’a conduit là où l’on sait aujourd’hui ? Quelle qu’en soit la réponse, rien ne saurait justifier ce coup de force qui ramène le pays au statut fragile et inconfortable d’Etat d’exception, dont on croyait faire progressivement le deuil  dans cette Afrique qui a beaucoup souffert et continue de souffrir des pronunciamientos. C’est le cas notamment du Mali, qui a connu en moins d’une année deux coups d’Etat, celui du 18 avril 2020 qui a instauré une transition de 18 mois, suivi d’un putsch encore, le 24 mai 2021, qui a vu l’arrestation  du président de la Transition, Bah N’Daw, et de son Premier ministre,  Moctar Ouane. C’est le cas également du Tchad qui vit une transition tumultueuse depuis la mort d’Idriss Déby dont le fils a usurpé le pouvoir grâce à l’armée qui a empêché l’application de la disposition constitutionnelle qui prévoit qu’en cas de vacance du pouvoir, c’est le président de l’Assemblée qui prend la relève en attendant les élections.

 

 

Si dans tous les cas c’est le principe de l’effectivité qui va s’appliquer, comme dans les années 70,  on se demande comment réagira la CEDEAO. S’il faut s’attendre à des condamnations de sa part, on se demande si elle se donnera véritablement les moyens de faire lâcher prise aux auteurs du putsch dans la patrie de Camara Laye. En effet, la question mérite d’être posée quand on sait que cette organisation sous-régionale a été accommodante avec les putschistes maliens. Il en a été de même de l’Union africaine qui, au delà du Mali, a fermé les yeux comme la France et la communauté internationale sur le coup de force perpétré au Tchad. Créant ainsi des précédents dangereux dans une Afrique où, pour un oui ou pour un non, la Grande Muette ne tarde pas à se faire entendre. C’est le cas de le dire.

 

 

 

 

(1)                Soldat de la Légion étrangère, un corps d’élite créé en 1831 pour permettre l’incorporation de soldats étranger, disposant d’un commandement particulier et indépendant dans ses recrutements.

 

La Rédaction

 

 

 

Dernière modification lelundi, 06 septembre 2021 21:55

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