Mémoires d’un chien de Bonzi Gnindé: Des Cabots et des hommes
- Écrit par Webmaster Obs
Mémoires d’un chien est un récit de fiction de Gnindé Bonzi paru aux éditions Icra en 2021. Inspiré d’une histoire réelle, Mémoires d’un chien est une pochade, un bon moment de lecture qui entraîne le lecteur dans les pensées et le regard d’un chien.
C’est un petit livre qui ne paie pas de mine, qui n’aurait pas attiré le regard s’il était posé parmi d’autres ouvrages sur un rayon de librairie, avec sa couverture violine terne et le titre à l’encre noire liserée de blanc qui se noie dans l’ensemble au lieu de surgir et d’étinceler comme une parure. Je l’ai reçu de l’auteur. Ce bouquin à la défroque grise est à l’image de la plupart des livres édités dans ce pays, des livres à l’image des Burkinabè qui croient que l’habit ne fait pas le moine et que le contenu est plus important que l’emballage. Ce qui est une monumentale erreur dans une époque où hommes et objets ont besoin de branding pour susciter l’intérêt.
Et parlant des Burkinabè, avec la mode du Danfani, on a de la peine à les distinguer les uns des autres dans ses frocs à rayures et zébrures. Il est temps qu’un sociologue s’intéresse à l’inclination subite des hommes intègres à porter des habits avec des bandes grosses comme des barreaux de prison après que l’Insurrection des 28 et 29 octobre 2014 les a libérés d’un régime carcéral. Sont-ils nostalgiques du pays-pénitencier ? Cela n’est pas l’objet de cet article.
Revenons donc à nos moutons, plutôt à nos chiens car ce livre nous parle de canidés, plus précisément d’un chien, Dik. Il faut dire que si l’érection d’un chien en personnage principal dans un roman burkinabè est un fait nouveau, il reste que c’est un procédé courant dans la littérature, cette célébration de leurs chiens par les écrivains. On se rappelle François Nourrissier écrivant une lettre frémissante de reconnaissance à sa chienne Polka dans Lettre à mon chien. Et John Fante avec Mon chien stupide narrant l’histoire de ce gros chien qui débarque dans la vie de l’écrivain Henry J. Molise et qui va tout chambarder sur son passage. Mais le roman dont ce récit est le plus proche est Tombouctou de Paul Auster. Dans ce roman, l’écrivain de Booklyn met en scène Mr Bones, un chien compagnon d’un écrivain foudroyé en pleine rue par une crise cardiaque. Dans ce récit, le chien revient sur les dernières années avec son maître, entre hauts et bas.
Trêve de digressions. Retour à Mémoires d’un chien. De quoi s’agit-il ? L’auteur Gnindé Bonzi a eu un chien dans sa vie avec lequel il a vécu quelques années mais qu’il a abandonné suite à un déménagement dans une nouvelle ville d’affectation. Dans ce court récit, Dik est le narrateur unique et omniscient de ce récit. C’est à travers lui que nous entrons dans cette histoire où il est question d’adoption, de séparation, de cohabitation entre les chiens et les hommes, on apprend tout d’une vie de chien. Dik, narrateur égocentrique, fier de son pedigree, promène un regard désabusé sur lui et sur les hommes. Entre analyse sociale, philosophie canine, ce livret est un agréable moment de lecture. Deux à trois heures, il vous abstrait du monde pour vous faire entrer dans la vie de Dik.
Il est important de signaler que ce livre est écrit sans faute d’orthographe ou de langue, fait rarissime dans les productions actuelles. L’intérêt de ce livre, au-delà de la qualité de la langue, tient à deux ou trois choses. Dans une littérature où l’on croit que l’engagement est indissociable de la littérature et où tout plumitif se croit investi de la mission de changer le monde, ce récit, sans prétention autre que littéraire, est une bouffée d’air. Flaubert rêvait d’un livre qui ne tiendrait sur rien d’autre que sur la puissance de son style. Gnindé Bonzi a sans doute entendu cet appel à une littérature dont la force viendrait non du sujet mais de la capacité de l’écrivain à enchanter la langue.
En plus, Gnindé Bonzi est un écrivain conscient qu’on ne fait de la bonne littérature qu’avec son vécu. Ses livres, ils les découpent donc dans l’étoffe de sa vie. Que ce soit Souvenirs de la révolution qui narre son adolescence sous le régime sankariste ou Le Collégien aux pieds nus, il est la matière de son œuvre. Et c’est tant mieux, car on ne parle bien que de ce que l’on sait.
Pour ce dernier livre, assez réussi du reste, on aurait quand même aimé que l’auteur soit plus audacieux dans le style, qu’il laissât la langue quoique châtiée qu’on lui connaît pour oser une langue différente parce qu’un clébard a le droit de ne pas parler comme un enseignant. Par ailleurs, on aurait aimé voir le regard du canin dépasser le cadre de sa famille d’accueil pour s’élargir jusqu’à embrasser le contexte sociopolitique de l’époque. En tout cas, il y avait une mine de possibilités narratives et d’inventivité dans ce cabot.
Mémoires d’un chien est un livre pour tout public dont il faut faire l’expérience du monde vu à travers l’œil d’un chien.
Saïdou Alcény Barry