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Insalubrité à Nouna : La saleté «ne tue pas le Noir !»

 

La ville de Nouna offre un spectacle désolant en matière d’insalubrité. L’hygiène et l’assainissement sont un luxe dans cette cité où habitants et tas d’immondices se côtoient au quotidien. Malgré certains efforts pour rendre la ville propre, le défi demeure. Constat !

 

 

 

 

Le taux d’accès à l’assainissement familial dans la province de la Kossi est estimé à 9,3% selon une étude menée par le ministère de l’Eau et de l’Assainissement en 2017. Si ce chiffre est alarmant, le constat l’est encore plus. Les rues de Nouna ressemblent à des poubelles. Les ordures ménagères se dressent telles des collines au milieu de plusieurs voies. Comme si cela ne suffisait pas, les eaux usées des ménages se mêlent à celles des fosses septiques à ciel ouvert qui coulent et stagnent dans ces rues pour dégager des odeurs nauséabondes. Les devantures de certaines concessions se transforment en mares d’eau qui ne tarissent à aucune période de l’année. La saison hivernale complique davantage la situation. En effet, l’absence de canalisation des eaux de pluie dans la ville pose un sérieux problème d’assainissement. Au moindre crachin, la voie disparaît sous les eaux et pour circuler, il faut patauger dans la boue. Plusieurs paysans attachent leurs bœufs de labour dans la rue. Les excréments de ces animaux salissent les voies et rendent la circulation désagréable. Mais cela ne semble guère déranger les Nounalais. Les jeunes se réunissent dans les grins de thé juste à côté des tas d’ordures. Les restauratrices dans les quartiers ne se préoccupent guère des eaux usées qu’elles jettent à longueur de journée. Leurs clients semblent amusés par le spectacle qu’offrent les porcs qui se baignent dans ces eaux puantes. Les ménages vident les excrétas en pleine rue. Nous avons prêté l’oreille à un habitant du secteur 6 chez qui nous avons trouvé, une nuit, deux jeunes hommes occupés à déverser le contenu d’une fosse d’aisance sur une route très fréquentée. « Le W.-C. est rempli et il nous faut le vider. Je ne vois pas pourquoi cela vous rend curieux », nous a-t-il lancé dans un ton d’étonnement, avant d’ordonner aux deux jeunes hommes de continuer le travail.

 

 

 

La saleté ne tue pas un Noir

 

 

 

Le lendemain matin, nous sommes revenus sur les lieux pour nous imprégner des impressions des voisins. L’un d’eux a bien rigolé en nous demandant si nous sommes «nés en France», une façon pour lui de nous demander si c’était la première fois pour vous de voir une telle chose. Un autre voisin a, par contre, signifié qu’il a eu du mal à dormir à cause des odeurs, avant de se résigner en ces termes: «On n’y peut rien. Il faut supporter». Cela nous rappelle ce dicton dioula tristement célèbre à Nouna : «nogo ti farafin faga», qui veut dire que le manque d’hygiène ne tue pas un Noir. Cela n’est point étonnant si l’on sait qu’en famille, tout le monde lave les mains dans la même eau mise dans un récipient pour passer à table et ce, de l’aîné au benjamin.

 

Daouda Ouédraogo, responsable de la promotion en santé, de l’hygiène et de l’assainissement au district sanitaire de Nouna, déplore cette insalubrité chronique en évoquant les maladies qui en découlent. « Les eaux usées qui stagnent dans les rues sont des nids de moustiques engendrant une forte expansion du paludisme et de la dengue. En plus des odeurs nauséabondes au quotidien, ces eaux infectent celles des puits que les ménages utilisent sans traitement. Cela entraîne forcément d’autres maux à court et long terme, tels que le choléra, les maladies diarrhéiques et les parasitoses. Le danger concerne aussi les animaux qui boivent souvent ces eaux», précise-t-il. A cela s’ajoute l’image même que la ville donne aux visiteurs. «C’est à Nouna que les gens jettent paisiblement les ordures devant leurs concessions. Si c’était à Bobo, leurs voisins les auraient interpellés», nous confie Adama Ouédraogo, un Bobolais qui séjourne à Nouna.

 

Des efforts sont pourtant faits pour rendre propre Nouna

 

Le Frère Emmanuel Duprez est un missionnaire blanc arrivé à Nouna en 1966. Après s'être fait naturalisé burkinabè, il s'est également fait attribuer le patronyme Zerbo et compte passer le reste de sa vie dans cette ville. Désormais appelé Frère Emmanuel Zerbo, le vieillard, âgé de 80 ans, fait partie des personnalités qui consacrent leur vie à la construction de Nouna. En effet, en plus du tournoi de football qu'il a initié depuis 1978 et dont la quarantième édition s'est déroulée du 20 février au 24 avril 2021, il fournit d'énormes efforts pour l'assainissement de sa ville hôte. En collaboration avec la mairie, l'association Nord/Sud - Sud/Nord dont il est le président, organise chaque année un concours de salubrité dénommé «Nouna plus propre que Ouagadougou ». La cérémonie de clôture des activités de la 19e édition de ce concours a eu lieu le 29 avril 2021. Le concours consiste à mobiliser les femmes des sept secteurs de Nouna et à leur donner du matériel pour nettoyer la ville chaque jour. Ainsi, chaque année, une cérémonie est organisée pour les récompenser en fonction du secteur le plus propre. Il s'agit pour le Frère Emmanuel Zerbo d'inculquer des habitudes d'écocitoyenneté aux habitants. A ces femmes, il a l'habitude de dire ceci : «Vous ne nettoyez pas la ville pour moi mais pour vous-mêmes d'abord, ensuite pour vos enfants, pour nous tous, et enfin pour la beauté de Nouna et la santé de tous ses habitants».

 

En plus des efforts du Frère Emmanuel et des femmes balayeuses, la jeunesse de Nouna prend de plus en plus conscience. La création en août 2020 du comité Faso Baara, qui mobilise la jeunesse autour des travaux de réhabilitation des voies dégradées de Nouna, en est la preuve. Grâce à cette initiative, certains endroits de la ville ont été nettoyés et des trous creusés par les eaux de pluie sur des routes ont été bouchés. Sory Sissoko est un jeune entrepreneur dans le domaine du transport. En plus de soutenir le Faso baara en mettant sa benne à la disposition du comité, il réfectionne à sa propre initiative depuis quelques années des routes de son quartier en y apportant du gravier. Mais lorsque nous avons évoqué le sujet de l'assainissement de la ville avec lui, il a déploré l'attitude des populations en ces termes : «Le cas de Nouna est très compliqué. Vous nettoyez un endroit en dépensant et votre argent et votre énergie. Mais, le lendemain, des gens se permettent de jeter les ordures là-bas. Comment peut-on s'en sortir »? 

 

Arrivé à la tête de la commune le 29 août 2016, le maire Issoufou Traoré avait fait savoir que l'assainissement de Nouna était inscrit dans son programme de développement communal. Ainsi, son équipe et lui jouent leur partition à travers des séances de sensibilisation. De plus, la mairie est fortement impliquée dans les actions de l'association Nord/Sud - Sud/Nord. Elle supervisait également les travaux du projet Haute intensité de main-d’œuvre (HIMO) en collaboration avec la direction provinciale des infrastructures. Ces travaux sont le plus souvent axés sur la propreté de la ville. Depuis 2013, une centaine de jeunes étaient recrutés chaque année dans le cadre de ce projet pour nettoyer les services publics et les rues. D'après l'ancien Secrétaire général de la commune, Harouna Zerbo, un partenariat existe également entre l’ONEA et la municipalité qui consiste à construire des latrines pour les familles afin de lutter contre les fosses septiques à ciel ouvert. Il a aussi confié que la réglementation en vigueur dans la commune prévoit une amende de 2 500 F CFA contre les habitants qui possèdent des fosses non couvertes. Parce que la voie de la sensibilisation semble ne pas porter fruit, Harouna Zerbo préconise la répression et ce, de concert avec les services de l’Environnement et de la Police. « Il faut des sorties de contrôle sur le terrain en vue d’appliquer les sanctions prévues contre les détenteurs de fosses à ciel ouvert et ceux qui obstruent les voies avec les ordures, les excrétas et les bois de chauffe », indique-t-il. En ce qui concerne le besoin de caniveaux dans la ville, il a ajouté ceci : « Il faut des partenaires techniques et financiers, car la commune ne dispose pas d’assez de fonds pour financer les travaux. Elle avait signé une convention avec la ville de Saint Priest en France pour construire les caniveaux. Malheureusement, cette ville a changé d’équipe dirigeante et le projet est tombé à l’eau ». Il semble cependant qu'il existe des canalisations d’eau à Nouna mais qui sont de nos jours bouchés par les ordures ménagères. A qui la faute : la population ou les dirigeants ? En attendant des solutions idoines, la population nounalaise est interpellée. Que chaque habitant assainisse la devanture de sa concession, car coupables ou victimes, tous les habitants de Nouna en pâtissent !

 

 

 

Issa Mada Dama

 

 

 

 

 

Encadré 1

 

 

 

Le plan de Daouda Ouédraogo,

 

(Responsable de la promotion en santé, de l’hygiène et de l’assainissement du district sanitaire de Nouna)

 

 

 

«Pour assainir Nouna, la mairie doit acquérir un camion vidangeur des fosses d’aisance. Parce que si on dit à la population de ne pas vider les W.-C. dans la rue, on doit leur trouver où jeter ces déchets. Il s'impose alors d'aménager un site de décharge et de traitement des déchets. En plus de cela, chaque famille doit s’octroyer des poubelles individuelles. Il faut également des poubelles publiques dans des endroits stratégiques de la ville. Pour atteindre des résultats en matière de propreté à Nouna, il faut surtout sensibiliser les populations. La solution est aussi de redynamiser le comité communal de contrôle citoyen du budget, qui est déjà mis en place et dont je suis membre. L'une des priorités de ce comité est de trouver un plan d'assainissement concret pour la commune ».

 

 

 

 

 

Encadré 2

 

 

 

La proposition du Frère Emmanuel Duprez Zerbo

 

(Président de l'association Nord/Sud - Sud/Nord)

 

 

 

«Pour assainir Nouna, c'est très simple. Il faut juste de la volonté. Je propose aux autorités municipales d'initier une journée communale de la citoyenneté. Il s'agit par exemple de choisir le dernier samedi de chaque mois comme jour de nettoyage. Chaque habitant est alors invité à balayer devant sa cour et l'on se réunit pour assainir les rues et les services publics. Une telle initiative ne demande aucune somme d'argent mais rend service à toute la population. Plus l'on agit ainsi, plus les gens arrêteront de jeter les ordures dans les rues. Dès que cela deviendra une habitude, par finir, on n’aura plus besoin de nettoyer une rue car aucune rue ne sera sale. Je crois fortement que si l'on les sensibilise, les Nounalais vont adhérer à ce projet».

 

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