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Assassinat Thomas Sankara : «On aurait pu trouver une autre solution»

 

Le 18 novembre 2021, deux septuagénaires (71 ans chacun) étaient à la barre comme des témoins dans le cadre du procès Thomas Sankara. L’un était militant et membre du directoire du GCB (Groupe communiste burkinabè) et l’autre militant clandestin de l’UCB (Union des communistes du Burkina). Il s’agit respectivement de Domba Jean Marc Palm, frère aîné d’un des accusés et chercheur admis à la retraite et Etienne Traoré, enseignant d’université, lui aussi à la retraite. Si le premier réfute catégoriquement le témoignage selon lequel c’était chez lui que les tracts étaient produits, le second admet qu’il était l’un des rédacteurs des « tracts polis ». Dans l’après-midi, c’était le tour du médecin militaire Arsène B. Yé de faire sa déposition à la barre. Evoquant les évènements du 15 octobre 1987, il a indiqué qu’on aurait pu trouver une autre solution que celle barbare.

 

 

 

 

Appelé pour la énième fois à la barre dans le cadre du procès Thomas Sankara et ses 12 compagnons, l’accusé Tibo Ouédraogo était absent. Une absence que son conseil Me Victoria Kaboré a vite justifiée. Ayant des soucis de santé, celui qui est accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat bénéficie d’un repos prolongé jusqu’au 1er décembre 2021. Cette prescription de son médecin traitant vise à lui permettre de surmonter le stress lié aux questions que les différentes parties au procès vont lui poser dans le but d’avoir une idée claire des évènements du 15 octobre 1987.

 

Ce chamboulement de l’agenda du procès n’empêche pas la poursuite de l’audience. L’instruction du dossier s’est poursuivie avec le défilé des témoins à la barre. Domba Jean Marc Palm est appelé. A ne pas confondre avec Jean Pierre Palm, son frère cadet, un accusé dans cette affaire. L’actuel président du Haut conseil pour le dialogue social (HCDS) a été cité comme témoin par la défense. Ayant son frère dans le box des accusés celui qui était membre du comité central du CNR (Conseil national de la révolution) en fin 1985 et début 1986 au nom du Groupe communiste burkinabè (GCB) n’a pas prêté serment.

 

C’est à Bobo-Dioulasso où il exerçait son métier d’enseignant (Ndlr : il était professeur d’Histoire-Géographie) qu’il a appris la mort de Thomas Sankara, son condisciple au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso. Cette triste nouvelle lui a été donnée par son collègue, Jérôme Somé. Ce dernier l’a réveillé pour lui signifier que ça chauffe à Ouagadougou. Les deux ont alors voulu se faire une idée claire de ce qui se passait dans la capitale en captant la radio.

 

Après ce bref récit, le président du tribunal a voulu savoir quels sont les points de désaccord que le GCB avait avec Thomas Sankara. Le premier point était la méthode de travail du camarade président. Selon l’enseignant, les décisions consensuelles qui sortaient des longues réunions, de 20h à 6h du matin, n’étaient pas mises en application par le président. Une manière de faire qui n’était pas du goût du GCB. A ce point s’ajoute la proposition du numéro 1 de la Révolution de créer un parti unique regroupant tous les membres du CNR. Le Groupe communiste burkinabè a émis des réserves parce qu’il craignait que cette idée soit la formule toute trouvée pour faire taire les personnes qui ont des avis contraires à ceux des révolutionnaires. « Nous avons refusé parce que la méthode n’était pas la bonne. Il s’est agi de sélectionner des organisations et leur demander de créer une fédération », a ajouté le témoin. Au dire de Palm, son parti n’était pas seul à être réticent. Parmi les non-alignés, il y avait : l’ULC-R (Union des luttes communistes reconstruite) et l’OMR (Organisation militaire révolutionnaire).   

 

Comme beaucoup de personnes, Jean Marc Palm a dit avoir entendu qu’à un moment donné, il y avait des dissensions qui commençaient à voir le jour au sein du CNR. Il en veut pour preuve le désaccord sur la réforme de l’éducation. A l’écouter, ces désunions doivent avoir fait le lit du coup d’Etat. Après le coup de force, le professeur a été nommé ministre des Relations extérieures. Il lui revenait la lourde tâche d’expliquer les divergences entre les révolutionnaires. 

 

 Ayant affirmé devant le juge d’instruction qu’il a suivi l’assassinat de Sankara et de ses compagnons de loin et que c’est Blaise qui peut répondre aux questions concernant la boucherie au Conseil de l’entente, Me Anta Guissé, avocat des parties civiles, a voulu savoir s’il a posé la question à Blaise Compaoré. « Vous me voyez en train de poser une question à Blaise pour savoir pourquoi il a fait le coup ? Moi je ne suis pas fou hein, Maître », a-t-il répondu, provoquant l’hilarité dans la salle.

 

 

 

Etienne Traoré à la barre

 

 

 

La transition était toute trouvée pour passer à un autre témoin. Il s’agit de l’enseignant d’université à la retraite, Etienne Traoré. S’il est vrai que le professeur n’était pas membre du CNR, il a confié avoir milité clandestinement au sein de l’UCB (Union des communistes du Burkina).

 

Le 15 octobre 87, il était à une station d’essence à Zogona, un quartier de Ouaga avec un ami journaliste quand il a entendu les coups de feu. Inquiété par la persistance des tirs, il décide de passer la nuit chez un parent à Zogona au lieu de prendre le risque de rallier son domicile à la Patte-d’oie. Le lendemain des évènements, le 16 octobre, Victor Sanfo est venu le chercher pour une rencontre avec Blaise Compaoré. Ce jour-là, le capitaine Blaise était en survêtement. D’emblée, il a confié à Etienne qu’il y a eu des problèmes entre eux (Ndlr : Thomas et lui), Sankara est décédé mais que lui aussi a perdu des hommes. Après cette annonce, un silence glacial de trois minutes s’est installé dans la salle. Mais c’était loin d’être la fin des mauvaises nouvelles. Il apprendra avec le numéro 2 que son ami Patrice Zagré est décédé. Comme pour le consoler, Blaise lui dira que ce genre de situation arrive dans tout processus révolutionnaire. Avant de se séparer de son hôte, le ministre de la Justice sous la Révolution a demandé les nouvelles de Kilimité Hien et de Pierre Ouédraogo, des amis du professeur. Ce dernier n’avait aucune information les concernant.

 

Persuadé que la version que lui a donnée Blaise Compaoré, à savoir la thèse de l’accident était vraie, l’inspecteur d’Etat après le coup de force, qui a conduit deux missions à Dakar et à Paris, a passé son temps à la ventiler. Au fil du temps, il se mordra les doigts quand il se rendra compte, selon ses propres dires que le coup était prémédité.

 

Très connu pour son militantisme engagé dans le syndicalisme, quand Etienne Traoré a été nommé inspecteur d’Etat, les membres du gouvernement qui devaient être les premiers contrôlés étaient méfiants. Il entendait par-ci, par-là, des gens dire à Blaise : « Ton type là, il prend trop son poste au sérieux ». Ce qui ne l’a pas empêché de faire son boulot jusqu’au jour où il a appris la mort de Jean-Baptiste Lingani. C’était la perte en vie humaine de trop qui lui a fait rendre le tablier. « Quand j’ai appris la mort de Lingani, j’ai demandé à voir le président Compaoré. Pour la première fois, mes démarches dans ce sens ont été vaines. J’ai été reçu par mon ami Salif Diallo (Ndlr : président de l’Assemblée nationale décédé le 19 août 2017). Ce dernier m’a dit de laisser tomber et qu’on va me trouver un autre poste. Je lui ai dit que ce n’est pas un poste que je veux. D’ailleurs, comme je suis enseignant, je retourne à l’université. C’est comme ça que j’ai quitté le Front populaire », a-t-il expliqué. 

 

Pour Etienne Traoré, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, n’aimait pas la Révolution du Burkina. Par conséquent, lui ainsi que toutes les forces de droite sont pour quelque chose dans sa mort.

 

 

 

« Une arrestation qui a mal tourné »

 

 

 

Au lendemain des évènements du 15 octobre certains l’avaient déclaré mort avec le capitaine Thomas Sankara. Dans son village, certains avaient déjà présenté leurs condoléances à sa famille. « Certains m’ont dit que c’est à RFI qu’ils l’ont appris. D’autres ont déclaré qu’il y avait une tombe qui portait l’écriteau ABY (ndlr : les initiales de son nom », a relaté à la barre Dr Yé actuellement député du CDP à l’Assemblée nationale.

 

Dans la soirée du 15 octobre 1987, autour de 16 heures, dit-il, Arsène Bongnessa Yé était dans son bureau de directeur central des services de santé des forces armées sis en son temps dans l’enceinte de l’actuel lycée Marien N’Gouabi. C’est une de ses connaissances qui travaillait dans le building Lamizana qui l’informera par téléphone qu’il y avait des coups de feu au Conseil de l’entente. C’est de son bureau qu’il a rejoint son domicile pour se mettre en tenue militaire, prendre son armement et se rendre au camp Guillaume Ouédraogo. « Tous les officiers, sous-officiers et soldats du rang des services de santé nous ont rejoints et nous y avons passé toute la nuit. Nous n’avons jamais été sollicités », a indiqué Arsène Yé.

 

C’est de cette position qu’il suivra l’évolution des évènements du 15 octobre 1987. Le lendemain matin il a regagné son domicile où il a téléphoné au Conseil de l’entente et qu’il a pu s’y rendre par la suite.  

 

Une fois sur les lieux, dans une des salles, il va trouver Henri Zongo et le commandant Lingani à qui il a demandé après le président Thomas Sankara. « Il a levé la tête, a regardé une photo de Sankara accrochée et a dit : le pauvre. J’ai été sonné », a-t-il retracé à la barre.

 

Au tribunal il a expliqué que c’est plus tard que le capitaine Blaise Compaoré va les rejoindre dans la salle. Et la version de Blaise est qu’il s’agit d’une arrestation qui a mal tourné. Les deux gardes se sont affrontées et Sankara est mort.

 

Dans les jours qui ont suivi le médecin sera sollicité à deux reprises par le Front populaire. La première a été de rencontrer les CDR venus de toutes les provinces au ministère de l’Intérieur (ndlr : ancienne Assemblée nationale partie en flamme en 2014). « Ce jour je n’ai pas présidé la réunion. J’ai rencontré Pascal, un frère de Sankara, et on a tous fondu en larmes », a-t-il détaillé avant d’ajouter que la deuxième sollicitation était de rencontrer les ambassadeurs.   

 

 

 

La réunion de 20 heures

 

 

 

Pour le témoin Arsène Bongnessan Yé, il y avait le 15 octobre à 20 heures une réunion au Conseil de l’entente. Mais selon ses dires cette rencontre nocturne n’avait pas pour but de perpétrer un coup. « Il y a eu une réunion le 12 ou le 13 octobre où une décision a été prise de tenir cette réunion. Si vous remarquez bien vous verrez que ce sont les membres du secrétariat permanent qui ont été tués. La réunion de 20 heures c’était pour le compte rendu de la rencontre de 16 heures qui devait préparer l’approche de création du parti d’avant-garde de la Révolution », a expliqué Arsène Yé qui a été le médecin personnel de Sankara.

 

Même s’il reconnaît qu’il y avait des insuffisances dans la conduite des affaires de la Révolution, le médecin militaire regrette amèrement ce qui s’est passé le 15 octobre et pense qu’on aurait pu trouver une autre solution que celle barbare. Malgré son regret il estime que l’on pouvait sentir le coup venir du moment où entre les quatre leaders historiques de la Révolution il y avait des problèmes. « Si quelqu’un était membre du Conseil national de la révolution et n’a pas vu ça venir il y a un problème. Donc il ne participait pas aux réunions », a expliqué M. Yé.

 

Aujourd’hui celui qui a été président de l’Assemblée nationale, ministre d’Etat chargé des Réformes politiques soutient que s’il s’est retrouvé avec Balise Compaoré dans le Front populaire comme dans les structures du CNR, c’est parce qu’il a eu la faiblesse de penser que c’était l’approfondissement et la poursuite de la Révolution.

 

Sur ce l’audience a été suspendue à la demande des parties civiles, du fait du chamboulement de l’ordre de passage des témoins, le temps de se mettre en état pour l’interrogatoire du témoin. Elle reprendra le lundi 22 novembre 2021 à 9 heures.

 

 

 

San Evariste Barro 

 

Lévi Constantin Konfé &

 

Akodia Ezékiel Ada

 

 

 

Encadré 1 :

 

Jean Marc Palm, témoin

 

« Le Lion est un piteux menteur »

 

 

 

A la barre le mardi 16 novembre 2021, Boukary Kaboré dit le Lion commandant du BIA (Bataillon d’infanterie aéroporté) a affirmé que les tracts orduriers sous la Révolution étaient rédigés chez Jean Marc Palm et qu’il a même été pris la main dans le sac. Visiblement très remonté par cette affirmation, celui qui fut membre du comité central du CNR a saisi son passage à la barre pour apporter la réponse suivante : « Le Lion est un piteux menteur. Il est un peu faible d’esprit, je le comprends. Quand les gendarmes sont venus chez moi, ils n’ont rien trouvé. Ils m’ont juste remis une convocation ; et je suis allé répondre. Personne ne m’a pris la main dans le sac ».

 

 

 

A.E.A.

 

 

 

Encadré 2 :

 

Les contradictions d’Etienne Traoré

 

 

 

Dans sa narration comme témoin, Etienne Traoré a dit qu’il a eu deux déclarations après le coup d’Etat : une plus tempérée et une autre qui traite la Révolution de tous les noms d’oiseau. La première a été rédigée par lui et son ami Salif Diallo. Si l’on se fie aux pièces du dossier, la première déclaration a été lue le soir du 15 octobre 1987. Etienne, ayant affirmé avoir passé la nuit chez un parent le 15 octobre et rencontré Blaise Compaoré le lendemain, a rédigé le communiqué à quel moment ? A cette question du parquet, le témoin a balbutié sans pouvoir donner une réponse exacte. 

A.E.A.

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