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Décès Desmond Tutu : La Nation arc-en-ciel pleure une icône de sa conscience morale

 

7 octobre 1931- 26  décembre 2021 : à un peu plus de 90 ans, une grande étoile noire s’est éteinte, effondrée sous le poids de l’âge et d’une vie d’engagement exemplaire pour les bonnes causes, exceptionnellement riche.

 

 

 

L’archevêque anglican Desmond Tutu, est décédé hier 26 décembre à l’aube, laissant son Eglise, l’Afrique du Sud, le continent africain, voire le monde entier, orphelins d’une voix puissante au service des sans voix. Quelle perte immense pour l’humanité et plus encore pour l’Afrique du Sud ! En effet, bien qu’il ait disparu à plus de 90 ans, Desmond Tutu est mort trop tôt parce que son pays avait encore besoin de lui comme conscience morale d’un pays en mal d’exorcisation de ses vieux démons des inégalités et des injustices sociales. En effet, après plus de 25 ans de démocratie postapartheid, l’Afrique du Sud est loin d’être guérie de ces tares qui ont fait la laideur de ce régime ségrégationniste que Desmond Tutu stigmatisait à juste titre comme « le système le plus pernicieux inventé par l’homme depuis le nazisme ».

 

 

Que retenir d’un si grand homme ? Beaucoup de choses que le cadre étroit de cette chronique ne peut contenir. On se contentera donc des évidences. Ce qui vient tout de suite à l’esprit quand on pense à cet apôtre de la paix et de la justice dans le monde : la lutte contre l’apartheid, le prix Nobel de la paix, la présidence de la commission Vérité et réconciliation, bref l’icône de la conscience morale qu’il a été et restera.

 

 

Pour la lutte contre l’apartheid, bien que son engagement fût très résolu contre ce système qu’il qualifiait de « mal vicieux et insensé », il prônait la non-violence, préférant la puissance du verbe pendant ses prêches, ses conférences publiques et ses sorties médiatiques où il ne tarissait pas de critiques acerbes à son encontre. Cet archevêque fut un adepte de la théologie de la libération à sa manière, lui qui disait aux  Afrikaanders imbus de leur préjugé de « peuple élu » : « Nous avons un Dieu plus puissant que vous » et, dans un humour caustique, dispensait un catéchisme révolutionnaire dont la saillie la plus emblématique reste cette métaphore : « Quand l’homme blanc est arrivé, il avait la Bible et nous avions les terres. L’homme blanc nous a dit : venez, agenouillons-nous et prions ensemble. Quand nous avons rouvert les yeux, voilà ! Nous avions la Bible et il avait la terre ». C’est simple, c’est fort, et cela fait tout aussi mouche qu’une salve de kalachnikov contre les suppôts de la ségrégation raciale. Quand s’y ajoutent ses appels au boycott et aux sanctions économiques contre le pouvoir inique d’alors, il ne fait pas de doute que le front de la non-violence dont il était le porte-étendard  a apporté sa part de victoires à la défaite finale du parti national afrikaner.

 

 

Le prix Nobel de la paix reçu en 1984 a été assurément le début d’une reconnaissance mondiale de son engagement pour la liberté et l’égalité pour  son peuple. Cette distinction a été un puissant signal que la communauté internationale avait donné à Peter Botha sur le fait que son régime était sur le banc des accusés. Le reste on la connait, dès 1985, des organisations comme l’ONU et les futures Union européenne et Union africaine décidèrent du boycott et des sanctions économiques strictes contre l’Afrique du Sud. Un isolement économique et diplomatique qui allait forcer les tenants de l’apartheid à envisager des réformes, et à engager des négociations secrètes avec l’ANC qui aboutiront à la libération de Nelson Mandela 6 ans plus tard.

 

 

La présidence de la Commission vérité et réconciliation que le regretté Desmond Tutu a occupée avec responsabilité et déférence en 1996 est l’ultime mission publique qu’il a acceptée, sur la demande du président Mandela. Une opportunité qu’il a su mettre à profit pour construire les ponts de la réconciliation nationale, invitant les bourreaux au repentir, les victimes au pardon, le pays à la réconciliation, suivant la conviction que l’Afrique du Sud est une « nation arc-en-ciel ». Une autre métaphore qui est passée déjà à la postérité à cause de la pertinence de son symbolisme. En effet, pour cet architecte de la réconciliation nationale, l’harmonieux mélange de couleurs de l’arc-en-ciel ne renvoie pas seulement à une Afrique du Sud multiraciale, appelée à vivre dans une bonne cohésion sociale. Il symbolise aussi « un nouveau jour après de sombres et pluvieux nuages. Manifestation de l’espoir pour de jours meilleurs. »

 

 

  Tout le sens de l’engagement de Desmond Tutu, porté vers la défense et la promotion d’une conscience morale qui combat les inégalités sociales, les injustices, la corruption, s’exprime donc implicitement dans cette image d’arc-en-ciel  à laquelle il a pensé pour décrire son pays.

 

 

Ce combat pour l’intégrité morale, après l’apartheid, l’homme l’a redirigé contre l’élite noire corrompue, dont des dirigeants de l’ANC, parti au pouvoir. Dès 2011, l’archevêque émérite disait à ses fidèles « qu’un jour nous commencerons à prier pour la défaite de l’ANC ». Pourquoi ? Parce que, selon lui, sous Jacob Zuma, la gouvernance du pays est devenue « pire que l’apartheid, parce qu’au moins, avec ce régime, on s’y attendait »

 

 

Pour sûr, la fin du système d’apartheid n’a pas résolu tous les problèmes d’inégalités sociales en Afrique du Sud. Desmond Tutu et, avant lui, Albert Luthuli, Nelson Mandela, Frederik De Klerk, ces autres icônes de la lutte antiapartheid et prix Nobel de la paix, laissent donc la nation arc-en-ciel orpheline d’un porte-fanion de la conscience morale au moment où ses dirigeants ont besoin d’un supplément de vertu pour poursuivre la construction d’une nouvelle Afrique du Sud, plus juste et plus solidaire.

 

 

Repose en paix, icône de la conscience morale, et que la terre d’Afrique te soit légère !

 

 

 

La Rédaction

 

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