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Contestation des résultats par l’opposition : «Personne n’a le monopole de la violence» (Simon Compaoré, directeur de campagne du MPP)

 

Alors que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) venait de débuter la proclamation des résultats partiels provisoires par commune, les 5 commissaires de l’opposition ont claqué la porte de l’institution le lundi 23 novembre. Dans une déclaration, les candidats signataires de l’accord politique de Ouagadougou ont dénoncé les multiples dysfonctionnements et irrégularités qui ont émaillé le double scrutin du 22 novembre. Zéphirin Diabré et ses camarades affirment qu’ils n’accepteront pas le verdict des urnes s’il ne reflète pas la volonté du peuple.  Au cours d’une interview qu’il nous a accordée hier, le président du MPP et directeur national de campagne pour la présidentielle et les législatives du parti au pouvoir, Simon Compaoré, invite ses adversaires à privilégier les voix de recours légales s’ils estiment être lésés. La violence, dont personne n’a le monopole selon lui, doit être bannie de leur démarche.

 

 

 

 

 

 

On est unanime à reconnaître que le double scrutin de dimanche a été entaché de beaucoup d’irrégularités. Est-ce votre avis au MPP ? 

 

 

 

Quand vous dites « beaucoup », c’est quoi votre jauge ? Moi, je n’utiliserai pas ce vocable qui peut être sujet à caution. Je dirai que le double scrutin a constitué un défi pour le Burkina Faso. D’abord pour en arriver à la journée du 22 novembre, il y a eu un processus, et tout au long de ce processus, les uns et les autres ont fait des efforts à travers le dialogue politique, opposition et majorité confondue. Cela a permis de résoudre les problèmes qui pouvaient constituer des obstacles à la tenue des élections avec l’adoption du nouveau Code électoral. Il faut s’en féliciter. Maintenant on est arrivé à la journée du dimanche 22 novembre. Nous étions tous sur le terrain. Nous avons constaté des succès et des insuffisances. J’utilise ce vocable parce que quand vous dites « beaucoup », il est difficile de quantifier. Il faut plutôt laisser cette appréciation au Conseil constitutionnel. C’est lui le juge des élections. Sur les plus de 21 000 bureaux de vote, il y a combien de bureaux de vote qui n’ont pas ouvert ? Il y a combien de bureaux de vote où par manque de bulletins ou de ceci et de cela il y a des gens qui n’ont pas pu voter ? Le juge constitutionnel, avant de prendre une décision, cherchera à savoir tout cela. Nous si on entre dedans, on va avoir des appréciations divergentes. Mais en ce qui me concerne, ces insuffisances qu’on a constatées sur le terrain ne peuvent pas entacher la régularité de l’ensemble du scrutin du 22 novembre. Ce n’est pas nous seulement qui le disons. Même les observateurs qui sont venus de l’extérieur le disent.

 

 

 

A l’évidence, ce désordre organisationnel a apporté de l’eau au moulin du CFOP ; n’auriez-vous pas réagi de la même façon si vous étiez de l’autre côté ?

 

 

 

Tout dépend de la mesure. Depuis la Révolution jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas une élection dont je n’ai pas été un acteur. Je sais qu’à chacun des scrutins, cela n’est pas une excuse, il y a eu des insuffisances et il y en aura encore. Dans ce domaine, la perfection n’est pas de ce monde. Vous l’avez constaté même dans les pays les plus développés. Ce n’est pas chez nous qu’on va s’étonner qu’il y ait eu tel ou tel problème. Le tout, c’est que, quand il y a un problème, on se fasse confiance pour aller là où le problème doit être tranché. C’est tout.

 

Au niveau du MPP, nous sommes d’une sérénité totale, parce qu’on sait ce qu’on a fait sur le terrain. On travaille, on a bêché, on a semé, on a mis de l’engrais et on attend, c’est le moment de la récolte. Nous avons foi à ceux qui font le travail et à la justice. C’est pourquoi nous avons appelé l’ensemble de nos militants à rester calmes malgré certaines provocations. Nous avons vu des propos incendiaires sur la toile ; nous, nous n’allons pas aller dans ce sens. Nous allons rester zen, nous n’allons pas appeler nos militants à envahir la rue. Qui aujourd’hui au Burkina a le monopole de la violence ? Tout le monde sait faire dans la violence, mais est-ce que c’est bon de faire la violence si on a d’autres moyens de se faire entendre ? Nous sommes fiers du travail que nous avons mené et des résultats que nous sommes en droit d’attendre.

 

 

 

On imagine qu’au MPP, vous avez déjà vos propres chiffres. Authentifiez-vous ceux qui circulent déjà sur les réseaux sociaux et qui donnent votre candidat vainqueur dès le premier tour ?

 

 

 

 Nous avons des gens sur le terrain. Une fois qu’un bureau de vote finit de dépouiller et que les résultats sont donnés, de façon instantanée, on nous envoie les informations et nous faisons aussi notre compilation.

 

Depuis que les résultats tombent, « one by one », c’est avec des écarts abyssaux. La messe est dite. Quand vous avez 2 voix et moi j’en ai 1000 à 2000, et ça se répète, même si vous n’avez pas fait de statistiques, vous comprenez ce que ça veut dire. Moi, j’ai l’intime conviction que partout où on est passé dans les 13 régions, la moisson va être abondante. Il va être difficile de nous contester notre suprématie là où nous sommes passés. Ce n’est pas de la suffisance. Et on est venu terminer ici à Ouaga. Ne va pas là où nous sommes allés qui veut mais qui peut. Il y a certaines choses qui ne doivent pas étonner les gens. On ne joue pas dans la même catégorie. Moi qui suis assis, pour rien au monde il ne me passera dans la tête l’idée d’aller déposer mon dossier de candidature pour être président du Faso.

 

 

 

Vous semblez vraiment sûr de vous, mais l’opposition estime que si vous êtes autant confiants, c’est parce que vous êtes passés par des moyens peu recommandables comme l’achat de consciences…

 

 

 

C’est un débat qui n’a pas de valeur. Dans la lutte, quelquefois on vous terrasse et vous trouvez la parade en prétextant que le combat s’est déroulé sur un terrain glissant. On vous amène sur un terrain caillouteux et le résultat est le même, vous continuez à dire que le sol est glissant. Quand même, il faut à un moment donné s’arrêter et reconnaître qu’on doit changer son fusil d’épaule, sinon on ne vous croira plus. Quand on a la force, on terrasse son adversaire. Nous avons tous vu comment chaque candidat a mené sa campagne. Comment voulez-vous que certaines personnes remportent la victoire dans ce contexte-là ? Nous savons tous comment on va à la pêche aux voix et comment on peut les engranger. Si un candidat est dans un petit coin, et ne mobilise que deux ou trois personnes, au terme des 21 jours, il va comptabiliser combien de personnes ? C’est difficile. On ne leur en veut pas. Nous, nous restons sereins, nous sommes confiants en ce que nous avons fait. Les votes ont eu lieu en plein jour et chaque parti a eu des représentants dans les bureaux de vote. Quand j’ai fini de voter, tout le monde a vu mon bulletin, je n’en détenais pas deux. J’ai laissé tomber l’unique que j’avais par-devers moi dans l’urne. C’est comme ça que ça se fait. Et c’était comme ça pour tout le monde.

 

 

 

La machine de la CENI est quelque peu grippée avec le retrait du processus des 5 commissaires de l’opposition. Comment il faut s’y prendre pour sortir de cette impasse ?

 

 

 

Le président de la CENI est intervenu le lundi à la télévision nationale, et lors de son entretien, il a dit que la récrimination au sujet du non-respect de la compilation serait réglée. En principe, une fois cette difficulté levée, il ne doit plus y avoir de blocage du processus. Cela dit, je crois que tout le monde a intérêt à ce que le décompte des voix se fasse très rapidement. Il ne faut pas qu’on aille au-delà des délais qui sont prescrits, parce que là aussi, ça devient un autre problème. Je crois que d’ici là, la sérénité va revenir. (Ndlr : La CENI a annoncé dans l’après-midi poursuivre ses travaux sans les 5 commissaires de l’opposition). Si vous êtes au siège de notre parti, c’est parce que vous avez pu traverser la ville sans problème. Signe qu’il n’y a pas de violence dans le pays. Chacun à son petit niveau a intérêt à faire en sorte que cette paix puisse durer parce qu’il y va de l’intérêt de tout un chacun. Si nous avons des problèmes, il est préférable d’emprunter les voies légales pour les résoudre.

 

Concernant les cas de flagrants délits, vous savez que le procureur de Ouaga a fait un communiqué pour dire à tous ceux qui avaient des éléments probants pendant le scrutin qu’il est prêt à faire des audiences de flagrant délit. Donc où est le problème ? Toutes les facilités sont données pour que celui qui est au courant d’une manœuvre dolosive de nature à entacher la crédibilité du scrutin  puisse s’adresser au procureur.

 

 

 

Avec cette situation, si votre victoire est actée, est-ce que le goût du succès ne sera pas dénaturé, contrairement à 2015 où Zéphirin Diabré est tout de suite allé féliciter votre candidat ?

 

 

 

Il est revenu sur ses propos, puisqu’il a dit quelque part qu’ils ne se laisseraient pas encore voler leur victoire, comme s’il remettait en cause notre victoire de 2015. Ce n’est pas sérieux. Alors que c’est lui qui était venu de lui-même féliciter notre candidat. Il y a beaucoup d’instabilité au niveau du monde politique. J’ai fini par en conclure que quand tu travailles avec honnêteté, avec rigueur, le travail finit par payer. C’est tout. Ce n’est pas seulement au Burkina que les gens ne sont pas contents. Dans un pays que je ne vais pas citer, les gens ont contesté les résultats. Est-ce que cela va amener à diviser le pays en question en deux ?  Non. Cela ne va pas empêcher le pays d’être un leader mondial.

 

Du reste, il y a peut-être des gens qui ont intérêt à ce que notre victoire ne soit pas applaudie. Mais vous savez, quand tu entres dans l’eau avec une bouteille d’huile, même à 200, 400 m de profondeur, vaille que vaille l’huile va toujours remonter.  Tout simplement parce que les densités de l’huile et de l’eau ne sont pas pareilles. C’est pourquoi l’huile flotte toujours au-dessus de l’eau.  La vérité est imparable.  On a beau la retoucher comme on veut…

 

 

 

Certaines voix appellent déjà à des manifestations de rue, qu’est-ce que vous pensez de ce genre de réaction ?

 

 

 

Ce n’est pas la bonne manière. Chacun a une capacité de nuisance. Mais est-ce que c’est bon d’utiliser sa capacité de nuisance quand l’intérêt général doit être remis en cause? Gâter, c’est facile à faire, c’est arrangé qui est difficile. Ceux qui crient là, est-ce qu’ils ont le monopole de la violence ? Non. Les gens ne veulent pas agir parce que tout simplement la violence ne sert à rien. C’est une solution qui dessert notre pays. Il y a des textes qui régissent l’organisation d’une nation. Pourquoi aujourd’hui il y a des faibles qui circulent à côté de ceux qui ont le pognon ? C’est parce qu’il y a des lois et des règlements de la République protégeant tout le monde qui sont respectés. Dès lors que les textes ne sont pas respectés, les plus forts vont égorger les plus faibles. Il faut que ceux qui tiennent des propos haineux sur les réseaux sociaux soient interpellés. Pour moins que ça, des gens ont été enfermés. Or, les propos de l’autre dans une vidéo virale incitent ouvertement à la violence (Ndlr : en référence à une vidéo qui met en scène le député UPC Moussa Zerbo). Cela ne nous mène nulle part, si ce n’est au chaos. Comme disait un Sud-Africain : « Violence calls violence ». En français : « La violence entraîne la violence ». Il vaut mieux ne pas entrer dedans, car l’issue serait mortelle pour tout le monde. Je voudrais que ces gens-là reculent rapidement. Et que ceux qui ont la mainmise sur ces gens leur disent de ne pas aller dans ce sens. Mais en tout état de cause, la République est là, on devrait faire cesser de telles pratiques sinon l’histoire nous condamnera pour n’avoir pas anticipé.

 

Interview réalisée par

 

 

 

Hugues Richard Sama

 

Akodia Ezekiel Ada

 

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