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Affaire Justin Zongo : Les 3 policiers «poussés dans le violon» pour 10 et 8 ans ferme Spécial

C’est aux alentours de midi, après pratiquement 24 heures non stop de procès, que la Chambre criminelle a rendu son verdict. Tous reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés, les 3 policiers ont été «poussés dans le violon», comme la victime, Justin Zongo, avant eux. Et malgré les circonstances atténuantes reconnues à chacun d’entre eux, le couperet de la justice est tombé devant  un public blasé : les assistants Bélibi Nébié et Bèma Fayama écopent de 10 ans ferme tandis que l’officier Roger Narcisse Kaboré est condamné à huit ans ferme. Retour donc sur une audience marathon.

 

Dans notre édition de mardi dernier, on avait arrêté la relation du déroulement de ce procès à l'audition des trois premiers témoins au environ de 20 heures. Mais il faut dire que les auditions des autres camarades de classe du défunt, notamment de ceux ayant assisté à l'arrestation de Justin Zongo le 2 février se sont poursuivies dans la nuit. Beaucoup avaient de réelles difficultés à s'exprimer dans la langue de Molière. Ce qui n'a pas manqué de susciter des commentaires dans le public.

Aux environs de 22h, l’audience est suspendue pour une heure et demie. C’est ensuite au tour des policiers, notamment ceux ayant été témoins de la scène du 17 janvier 2011 au commissariat [Ndlr : où face au refus du défunt, l’accusé Bélibi Nébié l’aurait «poussé dans le violon», ce qui occasionnera une blessure à la lèvre chez Justin Zongo dont le visage a heurté les barres du violon] et ceux ayant pris part à la «descente» sur le collège Guesta-Kaboré pour interpeller Justin, de donner leurs versions. Au nombre de ces derniers, Lionel Maré, chef de mission, qui soulignera qu’en leur enjoignant de lui ramener l’élève Justin Zongo, l’Officier Narcisse Kaboré leur aurait précisé d’agir «avec du professionnalisme».

Le clou des auditions pour ainsi dire sera sans doute celle des médecins et experts pour déterminer la cause exacte de la mort de Justin. Souffrant à la mi-février, l’élève de 24 ans décide de rentrer dans son village, Ralo, pour se soigner. Admis au CSPS de la localité, il est transféré au Centre hospitalier régional de Koudougou où on lui diagnostique une méningite. «Contre avis médical», Justin quitte l’hôpital. Retour au CSPS de Ralo, le 17 février avec une forte fièvre, des céphalées et des difficultés à uriner de lui-même.

«Re-transfert» au CHR de Koudougou où le Dr Berthe Souili constate une raideur du cou et une conscience obnubilée chez le patient. Une ponction lombaire du liquide céphalo-rachidien (LCR) est alors faite suivie de tests en laboratoire. Une méningite est diagnostiquée et un traitement est administré au patient qui décède le 20 février. Problème, les trois médecins qui ont signé le rapport médical concluant à une méningite d’origine bactérienne, y évoquent un LCR trouble tandis que les résultats des examens, eux, parlent de liquide céphalo-rachidien clair.

Cette différence suscite un vif débat entre les différentes parties. «La blancheur du LCR peut s’expliquer par une prise d’antibiotiques», explique le Pr Rigobert Thiombiano, expert en maladies infectieuses, instruit par le juge d’instruction pour établir un dossier médical sur Justin Zongo. Son rapport qui écarte la méningite aiguë d’origine bactérienne, conclut à des «syndromes méningés fébriles» dont l’étiologie reste indéterminée. L’expert se garde, néanmoins, de conclure de façon formelle à la méningite elle-même. Malgré l’heure tardive, la salle d’audience ne désemplit pas, même si Morphée a vite fait d’accueillir plusieurs auditeurs dans ses bras. L’aube approchant, des réveils programmés sur les téléphones portables se font entendre dans la salle. Sans doute, des fidèles musulmans voulant se préparer à jeûner.

Une autre suspension est observée aux environs de 4 h. A la reprise à 5h passées, les derniers témoins sont entendus. Suivra la partie civile dont le père et deux oncles du défunt. «Je suis le chef du village et le chef de terre ; et chez nous, quand on enterre, on ne déterre plus», martèlera Natigonga Zongo, pour expliquer son refus de laisser exhumer le corps de son fils pour autopsie.

08h58, c’est le début des plaidoiries. Premier à prendre la parole, Me Ambroise Farama, membre du collectif d’avocats de la partie civile, qui      plante le décor et résume les faits ayant découlé de l’affaire Justin Zongo.

«Les faits sont avérés»

A l’entame de ses réquisitions, le procureur général, Honorine Méda, a d’abord précisé que «le parquet ne croit pas un instant à la version des faits relatés par Bélibi Nébié. On reste convaincu que c’est un coup de poing qu’il lui a donné». Elle a cependant reconnu qu’avant même de répondre à la convocation de la police, Justin avait déjà été reçu au CSPS (Centre de santé et de promotion sociale) du secteur 5 pour coups et blessures volontaires. Mais on ne sait qui les lui avait infligés.

La conviction du parquet général est que Bélibi Nébié et Bèma Fayama ont porté des coups sur la victime, d’où leur inculpation pour coups mortels. Par contre, Roger Narcisse Kaboré est poursuivi pour complicité, car c’est lui qui a donné l’ordre d’aller chercher Justin et l’ordre de le tenir à sa disposition.

Les faits qui sont reprochés étant avérés, selon Honorine Méda, elle a demandé qu’il plaise à la Cour de «les maintenir dans les liens de la prévention et de les condamner chacun à 10 ans de prison ferme». Elle a précisé qu’elle ne demandait pas la peine maximale (20 ans de prison) parce que «les accusés bénéficient de circonstances atténuantes».

Ces circonstances atténuantes sont essentiellement :

- Justin était présupposé déjà malade et sa prise en charge sanitaire a été déficiente ;

- l’absence d’une autopsie ;

- les coups ont précipité la mort de la victime ;

- l’enquête de moralité des accusés est assez bonne.

 

«On a procédé à des analyses sataniques du liquide céphalo-rachidien»

 

Dans leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont tablé sur la non-crédibilité des témoins cités dans ce procès et le fait que l’expert n’a pu donner les causes de la mort. S’adressant à la Cour, les avocats ont assuré que «le fait même que Justin ait reçu des soins avant sa convocation par la police doit faire naître en vous le doute car mieux vaut laisser 100 coupables en liberté que de condamner un innocent».

Dans une plaidoirie bien articulée, Me Moumouni Kopiho a déclaré qu’à l’instruction du dossier, il a eu foi en la justice parce que la vérité allait éclater. Seulement, il estime que ce rêve s’est évanoui avec les plaidoiries des avocats de la partie civile et les réquisitions du parquet général qui finissent de convaincre que «mes clients sont les dindons d’une farce». L’avocat est persuadé que «ces trois policiers sont les moutons de la Tabaski ou du Ramadan pour ramener la paix au Burkina Faso. Mais même si on les sacrifie, la paix ne viendra pas car il faut soigner le mal et non chercher à le calmer. Nous allons nous battre avec notre dernière énergie pour nous défendre».

Pour Me Kopiho, l’officier Roger Narcisse Kaboré est un bon policier qui totalise 35 ans de bons et loyaux services et qui est à un pas de la retraite. «On veut faire croire aux parents de la victime que mes clients ont tué leur enfant. Moi, je vais vous dire qui est l’auteur de la mort de Justin. C’est nous tous».

Pour le plaideur, ces clients ont été condamnés avant même le procès car «ils ont été emprisonnés depuis la phase d’enquête et toutes leurs demandes de mise en liberté provisoires ont été rejetées».

A propos des expertises médicales dont les interprétations sont diverses, Me Kopiho a été catégorique : «On a procédé à des analyses sataniques du liquide céphalo-rachidien en le disant tantôt clair, tantôt trouble. Tantôt on en fait une analyse microscopique, tantôt on en fait une analyse macroscopique. Cependant on n’a pas pu établir un lien de causalité entre la mort de Justin Zongo et les actes (coups) reprochés à Bèma Fayama et Bélibi Nébié».

 

«On veut nous condamner mais on ne se laissera pas condamner, on veut être acquitté»

 

L’avocat a poursuivi en déclarant que Narcisse est innocent puisqu’il n’a rien fait à la victime et que «s’il n’est pas discuté que Fayama a giflé et que Nébié l’a bousculé, il est cependant discuté que cela ait donné la mort». Au vu de tout cela, l’avocat a déclaré que «même si on prononçait une peine à l’encontre des trois policiers, ils resteront toujours non-coupables».

Au collège Guesta-Kaboré, la classe de 3e où fréquentaient Justin et Ami Zongo ainsi que la plupart des témoins, est particulière. Les élèves ont une moyenne d’âge de 20 à 24 ans. Incroyable ! Pour Me Kopiho, «On a pensé que ces jeunes n’avaient pas de substance (matière grise) pour être toujours en classe de 3e à ces âges. Mais la substance diabolique est restée en eux. Ces jeunes ont brûlé le Burkina, ils ont essaimé de fausses informations qui ont gagné tout le pays et l’a embrasé».

Alors sans surprise, l’avocat, parlant de ces clients, a affirmé : «On veut nous condamner mais on ne se laissera pas condamner, on veut être acquitté».

Puis ce fut au tour du collectif d’avocat de l’Etat, le civilement responsable de cette affaire, à prendre la parole. Ils ont demandé que s’il y a une condamnation civile, que les accusés le soient au paiement du franc symbolique.

Il était 11h lorsque le président de la Cour, Ouarayo Dofini, a clôturé les débats et lu les questions auxquelles le jury devra répondre concernant chaque accusé :

- Roger Narcisse Kaboré : a-t-il incité ses subordonnés à donner des coups à Justin Zongo ? L’accusé bénéficie-t-il de circonstances atténuantes ?

- Bèma Fayama puis Bélibi Nébié : est-il coupable de coups sur la personne de Justin Zongo ? Ces coups ont-ils occasionné la mort ? Bénéficie-t-il de circonstances atténuantes ?

Avant que la Cour d'assises se retire, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : «La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? "».

Peu après 12 heures, la Cour a rendu son verdict :

- Officier Roger Narcisse Kaboré : 8 ans de prison ferme

- Assistant Bèma Fayama : 10 ans de prison ferme

- Assistant Bélibi Nébié : 10 ans de prison ferme

Mandat de dépôt a été décerné contre eux à l’audience. De plus, ils sont condamnés aux dépens. Serait-ce là l’épilogue de cette affaire qui avait été le détonateur de la grave crise sociale et militaire qui a ébranlé le Burkina entre février et juin 2011 ? Difficile d’y répondre de façon péremptoire. Ce qui est sûr, Me Kopiho, l’avocat des policiers, a annoncé qu’il se pourvoira en cassation.

 

San Evariste Barro

H. Marie Ouédraogo

Hyacinthe Sanou

 

Encadré 1

 

Procès des policiers

Les avocats s’expriment

• Maître Moumouny Kopiho (avocat de la défense) :

Selon vous, le droit a-t-il été dit ?

• Moi, je ne sais pas si le droit a été dit. Ce qui est sûr, c’est qu’on a assisté à un procès où on a eu l’occasion, sincèrement, de développer tous les moyens ; donc nous sommes satisfaits d’avoir plus ou moins développé nos moyens.

Que cela n’ait pas convaincu la Cour et les jurés, ça, c’est autre chose.

 

Est-ce que vous pensez que la politique a pris le pas sur la justice dans cette affaire ?

• Le politique ! je n’en sais rien. Moi, j’ai toujours dit que la justice est indépendante.

Et je ne pense pas, a priori, que le politique puisse avoir une influence sur la justice. C’est peut-être les jurés et les juges qui ont eu peur d’assumer leurs responsabilités devant l’histoire…

Vous allez vous pourvoir en cassation ?

 

• Absolument !

 

Etes-vous attristé ?

 

• Bien sûr ! Lorsque l’on veille plus de 24 heures, convaincu de ses arguments, on est même plus qu’attristé, on est meurtri.

 

• Maître Ambroise Farama (avocat de la partie civile) :

 

Selon vous, est-ce que le droit a été dit ?

 

• Le droit a été dit à partir du moment où une décision a été rendue et que celle-ci a désigné des coupables ; donc on peut dire que le droit a été dit.

Seulement, est-ce que nous sommes satisfait du procès ? C’est là que je dis que nous n’apprécions pas juste une décision, nous apprécions l’ensemble du procès.

Est-ce que tout cela a permis d’atteindre le but éducatif qui était visé à travers un tel procès ?

Oui parce que l’objectif visé était de montrer aux acteurs de la police judiciaire qu’on ne peut pas continuer d’arrêter des individus et les torturer en violation des droits qui protègent l’intégrité physique des personnes qui sont poursuivies.

Nous pensons que dans ce sens effectivement, tous ceux qui étaient là ont pu tirer les leçons d’un tel procès.

Nous pensons donc que, le droit a été dit et nous espérons que cette décision servira de leçon à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont chargés d’une mission de service public, qui disposent d’une parcelle de pouvoir, pour qu'ils n'en abusent pas.

H. M.O.

Encadré 2

Kaboré Pépé Marcel n’a pas prêté serment

 

Appelé à la barre en début de soirée, le témoin clé de l’accusation a été, une fois de plus, celui qui a captivé l'attention de toute l’assistance. Dans la matinée en effet, il avait été porté absent avant de réapparaître in extremis, c’est-à-dire tout juste avant le début du procès.

L’élève d’une vingtaine d’année était inscrit en classe de troisième à l’époque des faits. Le témoignage de cet ami et colocataire de feu Justin Zongo donc était capital.

«Je jure au nom de tous les chefs…», a-t-il déclaré en levant la main droite, avant d’être interrompu par Me Kopiho. En effet, pour l’avocat de la défense, il n’est pas question d’accepter le serment d’un témoin qui, quelques minutes avant de venir à la barre, se promenait encore dans la cour du palais dûment sonorisée.

«Je suis sorti pour pisser», se justifiera le témoin encore inconscient de la gravité de son attitude.

Outré par la légèreté de l’élève, le procureur général Honorine Méda rappellera que déjà dans la matinée, Kaboré Pépé Marcel avait brillé par son absence lors de l’appel des témoins, ce qui avait justifié une suspension de l’audience, le temps de le retrouver. De retour d’on ne sait où, il avait déclaré être allé à la Cour d’appel. Et voilà qu’au lieu de se retirer dans la salle des témoins, Kaboré Pépé Marcel déambule dans le palais de justice, prétendant vouloir satisfaire un besoin pressant. «Ce qui s’est passé est inadmissible», a martelé  Honorine Méda avant de demander une suspension, histoire d’y voir plus clair.

La reprise a été marquée par une bataille de procédure entre, d’une part, la défense et le parquet et, d’autre part, la partie civile. Tandis que les uns soutenaient que ce témoin-là ne devait pas jurer, les autres affirmaient au contraire qu’il devait être entendu au même titre que les autres.

C’est donc à titre de simple renseignement que le condisciple de feu Justin a débuté son récit. C’est dans un français approximatif que Pépé Marcel a raconté par le menu les derniers jours de son camarade : du jour de l’altercation avec Aminata aux circonstances de son décès.

Témoin des violences au poste de police, le jeune homme déclarera que ce jour-là «on s’est compagné au commissariat». Idem lorsque, sur l’appel d’Ami, la police a fait une descente au lycée pour y cueillir Justin. Là aussi, il a vu l’un des agents lui administrer une gifle magistrale.

Depuis, ajoutera-t-il, l’état de santé de son ami et presque frère n’a cessé de se dégrader sous son regard impuissant, et ce, jusqu'à son décès.

Mais pressé de questions par le procureur, Pépé Marcel, décidément mal à l’aise dans la langue de Molière a préféré s’exprimer dans sa langue maternelle, le mooré.

C’est ainsi que le récit qui avait débuté en français s’est achevé avec l’aide, précieuse, d'un interprète.

H. M.O.

Dernière modification lemercredi, 24 août 2011 10:05

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