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En route pour le procès : Il était une fois le coup d’Etat le plus bête du monde

C’est exactement dans une semaine, le mardi 27 février 2018 précisément, que le procès tant attendu du putsch manqué du général Gilbert Diendéré va s’ouvrir devant la chambre de jugement du tribunal militaire de Ouagadougou délocalisée dans la salle de conférences de Ouaga 2000. Dans cette perspective, à partir d’aujourd’hui, nous vous proposerons une série d’éditions sur ce dossier judiciaire hors norme.

Et pour commencer, nous vous amenons, dans cette première édition, à revisiter les différentes étapes qui ont conduit, tout doucement mais sûrement, à ce putsch et donc à la procédure judiciaire qui s’est ensuivie.

 

 

Lorsque le 21 octobre 2014 Blaise Compaoré et son gouvernement ont adopté, lors d’un Conseil extraordinaire des ministres, le projet de loi portant modification de la Constitution dont la chirurgie phare était la révision de l’article 37 qui limitait le nombre de mandats présidentiels, ils étaient loin de s’imaginer la résistance populaire dont le peuple saurait faire montre contre cette forfaiture d’un pouvoir en place depuis près de trois décennies.

Et les Quatre Glorieuses des 28, 29, 30 et 31 octobre 2014, marquées par l’insurrection populaire, ont balayé un régime que d’aucuns pensaient indéboulonnable. En plein midi, Blaise Compaoré a quitté le palais de Kosyam pour trouver refuge en Côte d’Ivoire.

Ce vide soudain au sommet de l’Etat, car nul ne s’y attendait, a suscité des appétits voraces de pouvoir. D’abord entre militaires (le général Honoré Nabéré Traoré et le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, le général Kouamé Lougué) puis chez des civils comme Saran Sérémé. Mais au finish, c’est le clan du lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, appuyé par le puissant Régiment de sécurité présidentielle (RSP), qui prendra le dessus sur les autres prétendants. Après trois semaines de pouvoir, une Transition est mise en place avec pour président Michel Kafando. Yacouba Isaac Zida est, lui, rétrogradé à la primature et le Parlement, Conseil national de Transition (CNT), est présidé par Moumina Chériff Sy.

Mais la gestion du pouvoir ne sera pas un long fleuve tranquille. Sur le front social, jamais les Burkinabè n’ont été aussi gourmands en revendications. Comme après l’hiver, la Transition a été  le printemps des grèves pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs du secteur public et même du privé.

Sur le front politique, ça tirait à hue et à dia, puisque les uns et les autres étaient dans des calculs politiciens pour conquérir le pouvoir ou pour le rendre d’une main et le reprendre de l’autre. C’est dans ce contexte que la loi sur l’exclusion a été adoptée le 7 avril 2015. Ce nouveau dispositif du Code électoral interdisait la participation aux élections présidentielle et législatives de 2015 des gourous des partis politiques qui avaient soutenu la modification de l’article 37. Malgré les décisions de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la loi sera maintenue en l’état.

Sur le front militaire, on notera la guerre des tranchées que se livraient le Premier ministre Yacouba Isaac Zida et le RSP. Bien que le chef du gouvernement fût issu de ce régiment, le fossé s’est peu à peu creusé entre  lui et ses anciens frères d’armes. Le pic des hostilités a été atteint lorsque Zida a dû se réfugier chez le Mogho Naaba. Le RSP en voulait tant à son ancien numéro 2 qu’il accusait de vouloir le dissoudre ! Au final, la lutte que menait ce régiment s’apparentait à une lutte de survie, lui qui voyait ses prérogatives se réduire comme peau de chagrin.

On était dans ce contexte lorsque le 10 septembre 2015, le Conseil constitutionnel a invalidé les candidatures à la présidentielle de proches de Blaise Compaoré, à savoir Djibrill Bassolé, ancien chef de la diplomatie, et Yacouba Ouédraogo, ancien ministre des Sports. Auparavant, les Sages avaient déjà invalidé, en août 2015, une quarantaine de candidatures aux législatives sur la base de l’article 166 du nouveau Code électoral.

C’est sur ces entrefaites que le 16 septembre 2015, le Conseil des ministres est interrompu par les soldats de l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré. Le chef de l’Etat, le chef du gouvernement et des ministres sont enlevés et gardés en otages. Très vite, ce qui semblait un mauvais coup de sang du RSP va se muer en coup d’Etat le 17 septembre avec l’annonce de la dissolution des institutions et l’instauration d’une junte, le Conseil national de la démocratie (CND), dirigée par le général Gilbert Diendéré.

Mais la résistance populaire et la révolte d’une partie de l’armée, dont des colonnes entières ont quitté les provinces pour rallier Ouagadougou dans le but de renverser le pouvoir du CND pour ne pas dire du RSP, seront phénoménales. La répression fera des morts parmi les civils qui manifestaient contre cette forfaiture. La médiation de la CEDEAO échouera car sa solution prescrite ne passait pas auprès des résistants au putsch. En interne, des négociations sont organisées sous l’égide du Mogho Naaba aux termes desquelles le RSP accepte de déposer les armes. Le camp Naaba Koom II du RSP sera pilonné pour contraindre les soldats récalcitrants à se rendre.

Le chef de la junte, le général Gilbert Diendéré, trouve alors refuge à la Nonciature apostolique, l’ambassade du Vatican. Sa reddition aux autorités de la Transition, qui avaient entre-temps été rétablies, aura lieu le 2 octobre 2015. Mais avant, les autorités avaient prononcé la dissolution du RSP le 25 septembre 2015 lors d’un Conseil des ministres.

Rapidement la voie judiciaire s’ouvre. Le général Gilbert Diendéré est inculpé, suivi du général Djibrill Bassolé, de nombreux soldats du RSP et de certains civils. Après deux ans d’instruction, le dossier est aujourd’hui fin prêt pour être jugé. Au total, 84 personnes vont comparaître devant la chambre de jugement du tribunal militaire. Elles sont poursuivies, entre autres, pour atteinte à la sûreté de l’Etat, trahison, meurtre, séquestration, coups et blessures, dégradation de biens, crime contre l’humanité, etc.

C’est un procès hors norme qui va s’ouvrir le mardi 27 février 2018. Le procès du coup d’Etat « le plus bête au monde », ainsi que le président guinéen, Alpha Condé, avait qualifié la forfaiture de l’ex-RSP.

 

San Evariste Barro

 

Dernière modification lemardi, 20 février 2018 22:32

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