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Procès putsch manqué : Un mécano à la barre

Les auditions des accusés au procès du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015 ont repris les 27 et 28 juillet 2018 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Se sont succédé à la barre le sergent Yahaya Guiré, l’adjudant-chef Gbondjaté Dibloni et le sergent Salif Couldiaty. Au moment des faits, le premier s’est rendu à la place de la Nation pour dépanner une moto. Le second, lui, a assuré une mission de «jalonnement», c’est-à-dire de mise en place d’un dispositif de sécurité à l’occasion de la venue des chefs d’Etat de la CEDEAO. Le dernier, selon ses propos, est allé uniquement «causer » avec son binôme. Mais pourquoi ils ont été inculpés ? Explications. 

 

 

A la reprise de l’audience le vendredi 27 juillet 2018, Seidou Ouédraogo et les membres de sa juridiction ont appelé à la barre le sergent Yahaya Guiré et son conseil commis d’office, Me Orokia Ouattara. L’accusé est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre et de coups et blessures volontaires. Il a plaidé non coupable.  L’instruction du dossier a repris là où elle s’était arrêtée dans l’après-midi du mercredi 25 juillet. L’inculpé ayant déjà fait sa déposition liminaire, c’était au tour du procureur militaire de poser ses questions. «Avez-vous assisté au rassemblement du 17 septembre ? », a introduit le substitut du procureur Mamadou Traoré. «Non, je n’y ai pas participé pour raison de santé », a répondu le sergent qui était responsable du parc auto de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle au moment des faits. «Avez-vous eu des échos en rapport avec ce rassemblement ? », a ajouté le parquetier. «Non, je n’en ai pas eu d’échos et je n’en ai pas demandé », a-t-il répliqué. «Vous n’avez donc pas su qu’il a été question de la formation d’équipes pour le maintien de l’ordre en ville », a poursuivi le substitut. «Négatif, Monsieur le Procureur », a fait savoir le natif de Kokologho (né le 26 mai 1966). Mais selon les explications du ministère public, l’accusé dans son interrogatoire au fond a déclaré qu’il a vu des patrouilles en ville, notamment des militaires divisés en deux groupes. Ce sont des éléments du Groupement des unités d’intervention (GUI), en véhicules militaires, et d’autres du Groupement des unités spéciales (GUS) en véhicules V8. «Avez-vous une réaction ? », a voulu savoir l’accusation. «Je suis allé dépanner une moto à la place de la Nation », s’est contenté de réagir Yahaya Guiré. Et la partie poursuivante de renchérir : «Est-ce que vous vous êtes posé des questions ou avez posé la question à quelqu’un de savoir ce que faisaient ces militaires ? ». «Non, ma mission a consisté à aller dépanner une moto, j’ai été contacté par l’adjudant-chef Dibloni, j’ai rendu compte à mon supérieur hiérarchique Idani qui m’a autorisé à y aller. Je ne peux pas demander aux chefs qui étaient sur le terrain ce qu’ils faisaient. Mon rôle, c’est de garder les clés des engins du parc auto, si on me dit d’en faire sortir, j’exécute », a expliqué le père de famille de cinq enfants. Cependant le parquet militaire a fait remarquer que les armoires dans lesquelles se trouvaient les clés ont été cassées, ce qui aurait pu attirer l’attention du sergent sur le caractère anormal des événements qui se déroulaient.

 

«Le soldat Abdou Compaoré a tiré vers le jardin du 8-Mars »

 

Au retour de sa mission de dépannage, le sergent Guiré était sur une moto avec le soldat de 1re classe Abdou Compaoré. Quand ils voulaient rejoindre le camp, ils ont été confrontés à des barricades. «On ne pouvait pas passer vers le stade municipal ni entrer dans les six-mètres du quartier Saint-Léon, car il y avait beaucoup de manifestants. On a donc pris le sens interdit. A hauteur du jardin du 8-Mars, les manifestants nous lapidaient. C’est le soldat qui a reçu un caillou en premier, il a voulu tirer, je lui ai dit de ne pas tirer, mais il l’a fait », a expliqué le médaillé militaire avec agrafe Mali. Le parquet a ajouté que le soldat de 1re classé a tiré une deuxième fois 150 m après le premier endroit ; ce qui peut expliquer la mort d’un jeune homme dans les environs (station Pétrofa, terrain du Moro Naaba, château d’eau). Mais selon l’inculpé, Abdou Compaoré a fait des tirs en l’air pour dissuader les contestataires même s’il reconnaît qu’en tombant, une balle de Kalach peut blesser mais pas tuer. Le sergent Guiré a en outre remis en cause les vidéos qui lui ont été montrées au cours de l’instruction de l’affaire. Qu’à cela ne tienne, Alioun Zanré a coupé court : «moi, je ne peux pas être d’accord avec vous à partir du moment où vous avez utilisé un AK 47 contre des gens qui vous lapidaient ». L’accusé a souligné qu’il n’a pas fait usage de son arme.  

Selon son conseil, Me Orokia Ouattara, tout ce que le sergent Guiré a relevé en barre d’audience ne s’écarte pas fondamentalement de ses déclarations en enquêtes préliminaires. «On n’a pas besoin de crier en lui posant les questions. Il ne faut pas que le parquet s’attende à ce qu’il reconnaisse les propos mot à mot ou phrase par phrase. L’instruction n’a pas été faite dans sa langue maternelle », a soutenu l’avocate. Elle a déclaré qu’il n’a pas été contesté que Yahaya Guiré a bel et bien été contacté par l’adjudant-chef Dibloni. «Mieux, il a rendu compte à son supérieur qui savait la situation qui prévalait en ville mais lui a dit d’aller faire le dépannage. On ne peut pas lui tenir rigueur de tout ce qui s’est passé. Il a dit au soldat Compaoré ‘’faut pas tirer’’, il l’a fait. Il pouvait le punir, mais ç’allait enlever quoi au fait que les tirs avaient déjà été effectués ? Le problème reste intact », a dit Me Ouattara. Elle a par ailleurs dit avoir hâte de visionner la vidéo (tournée par un journaliste de Burkina Info) afin que chaque partie puisse asseoir sa conviction, chose qu’elle avait demandée dès sa commission d’office sans obtenir gain de cause.  L’avocate a souhaité du parquet militaire qu’il apporte plus d’éléments matériels pour prouver la culpabilité de son client. Mais selon l’entendement dudit parquet, le fait d’avoir dépanné la moto à la place de Nation et un autre engin vers la cité An III traduit à souhait le soutien du sergent Guiré à la consolidation de l’attentat à la sûreté de l’Etat. «Je ne savais pas que le fait d’aller réparer une moto allait m’amener ici », a terminé le mécanicien.   

 

«J’ai passé la journée du 16 dans mon non-loti au quartier Zongo »

 

A la suite du mécano, c’était au tour de l’adjudant-chef Gbondjaté Dibloné de se présenter devant les juges pour s’entendre notifier des charges de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre ainsi que de coups et blessures volontaires. «Non, je ne reconnais pas les faits », a entamé le quinquagénaire (il est né le 31 décembre 1968 à Bambourou). A écouter le militaire du Groupement des unités d’intervention (GUI) de l’ex-RSP, il était le sous-officier de semaine du 11 au 18 septembre 2015. Dans la matinée du 16 septembre, il a assisté au rassemblement avant de sortir entre 7h et 7h30 pour se rendre dans son non-loti dans le quartier périphérique de Zongo, à Ouagadougou. Selon son récit, il y a passé la journée avant d’être contacté vers 17h par un ami civil. «Il s’appelle Justin et  travaille à radio Savane FM. Il a cherché à savoir ce qui se passait à Kosyam. Je lui ai dit que je n’en savais rien. J’ai appelé le sergent Sidiki Aboubacar qui m’a fait savoir que le quartier est consigné. J’ai démarré, et vers l’hôtel Laïco j’ai aperçu des militaires. J’ai continué et suis allé passer par la voie qui mène au ministère de la Défense afin de rejoindre le palais. » Selon les propos du sous-off, même si un poste est attaqué dans le nord du pays, le camp peut être consigné. Lui, il était le responsable adjoint de la 2e compagnie du GUI et c’était tout à fait normal qu’il aille s’enquérir de la situation. «Au camp, j’ai dit à mon lieutenant que j’ai vu des militaires du côté de Palace hôtel et il m’a dit d’aller les amener. Vu la situation, j’ai rétorqué que nous devons prier Dieu pour que ça ne dégénère pas et je suis allé au camp Naaba Koom II. J’ai rassuré ma famille, mais ma préoccupation était de leur trouver un autre endroit en attendant que ça se calme », a relaté Delta, comme l’appelait son supérieur. Le 17 septembre, il a fait un rassemblement vers 8h et s’est rendu compte qu’il y avait plus de 400 militaires. Mais, il y avait toujours des éléments qui manquaient à l’appel. A l’issue de ce rassemblent, il s’est rendu vers l’espace aéré de la BCEAO où il avait vu les militaires, dans l’optique de faire rentrer ceux qui étaient de la 2e compagnie du GUI. «Quand j’ai demandé qu’en étaient, les intéressés ont levé leurs mains et j’ai dit : je ne veux pas devancer quelqu’un au camp. Ils se sont mis en file indienne pour ce faire.  Ils m’ont fait savoir qu’ils y étaient pour une corvée, que c’est un sergent dont ils ignorent le nom qui les a placés là-bas. J’ai précisé que si quelqu’un leur donne une corvée à faire, ils peuvent l’exécuter si c’est mon supérieur, qu’il en répondrait en cas de problème. Mais que si c’est mon subalterne, cette personne doit me voir d’abord », a expliqué le père de trois enfants. Il a été dans la foulée vers le SIAO où il cherchait à repérer une maison où loger sa famille en attendant. «Là-bas, mon chef de compagnie, le lieutenant Koné Beyon Daouda II, m’a appelé. Il a dit Delta, position ? J’ai dit position initiale, tout en sachant que je n’étais pas là où je devrais être. Il m’a demandé si j’ai un contact au niveau du parc auto, car il y a des militaires qui lui ont signalé une panne de moto. J’ai appelé Yahaya Guiré », a poursuivi le médaillé militaire qui affectionne et enseigne le RSA (Règlement service armée), la bible de l’armée selon ses mots. C’est pourquoi d’ailleurs Me Bonkoungou affirmera plus tard que l’adjudant-chef est un instructeur, qu’il comprend par conséquent pourquoi ce dernier a tendance à expliquer les choses dans les moindres détails avec des précisions gênantes (exemple : Juliette vers vous papa, pour dire aux éléments que le président arrive).  

 

«Le 18, j’ai fait une mission de jalonnement »

 

Poursuivant son récit, l’adjudant-chef a précisé qu’au rassemblement du 17, dans la soirée, le chef du corps a ordonné à chaque responsable de compagnie de maintenir ses hommes sur place et de tout faire pour que les éléments manquants rejoignent le camp, car le «bilan est déjà alarmant ». Il a ajouté que des chefs d’Etat de la CEDEAO viendraient le lendemain. La sécurisation des itinéraires étant de leur ressort, Gbondjaté Dibloni a placé des binômes sur l’itinéraire BF1-Palace hôtel-Aéroport. Une vingtaine de militaires à qui il a donné les instructions suivantes : « Je leur ai dit, vous êtes armés, personne n’est fou pour vous attaquer, faites comprendre aux manifestants que vous n’êtes pas une menace».  

« Avez-vous été à la place de la Nation ? », a interrogé le président de la chambre, Seidou Ouédraogo. «Négatif », a répliqué l’adjudant-chef. Le juge a voulu faire allusion à certains militaires dont le sergent Yahaya Guiré et le soldat de 1re classe Abdou Compaoré qui ont affirmé avoir vu l’adjudant-chef du côté de la CNSS. Pour l’accusé, ce sont des allégations non fondées. «Sidiki Ouattara a précisé vous avoir vu également à la place de la Nation. Qu’en dites-vous ? », a renchéri le juge. «Je suis très content parce que Sidiki Ouattara est parmi les inculpés. Il était dans ma compagnie, mais le petit a été instrumentalisé », a-t-il indiqué. Delta a estimé que les deux premiers sont dans leur plein droit de lui en vouloir en  faisant de telles affirmations. «Monsieur le Président, moi je suis joueur de PMUB. Si tu envoies quelqu’un jouer et en cours de route, il a des problèmes, il peut mettre ça sur toi puisque tu l’as fait sortir », a-t-il expliqué dans les murmures de l’assistance ; autrement dit, il a reconnu que c’est parce qu’il a dit  au sergent Guiré d’aller dépanner la moto  que ce dernier a été inculpé dans cette affaire. A en croire Delta, ses détracteurs «allaient sauter le champagne à la MACA s’ils en avaient l’opportunité, le jour où j’y ai été déposé, puisqu’ils auraient dit qu’ils n’allaient pas tomber seuls ».

L’avocat de l’inculpé, Me Isaac N’Dorimana, a soutenu que son client est devant la barre non pas en raison des faits probants de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat mais à cause des «propos malveillants de trois personnes ». Pour lui, son client s’est strictement conformé à sa mission de sous-officier modèle et il n’y voit aucun acte matériel constitutif d’infraction. «En bon militaire qui a participé à des missions onusiennes, il vous a dit que vers le rond-point de la Patte-D’oie, il y a un groupe de manifestants, dirigé par un vieux, qui voulait s’en prendre à eux. Il a alors laissé son arme dans le véhicule, en est sorti les mains nues pour se présenter à ces personnes. Il a expliqué qu’ils étaient en mission de sécurisation de  l’itinéraire indiqué pour l’arrivée des chefs d’Etat. Dieu merci, ses hommes sont revenus, aucun d’eux n’a tiré, la mission s’est bien passée. Il est devant vous uniquement du fait des allégations calomnieuses de ces trois personnes. Les accusations d’un coaccusé n’ont aucune valeur probante, Monsieur le Président », a conclu Me N’Dorimana qui a demandé à la juridiction de croire en la sincérité des déclarations de son client.    

  

«Je dénie ces faits, Monsieur le président »

 

L’audition de l’adjudant-chef s’est poursuivie le samedi 28 juillet avant de s’achever sur ces notes : «Très sincèrement, ces événements ont causé du tort au peuple burkinabè, à ceux qui vivent à Ouagadougou en particulier. Nous tous en avons été affectés d’une manière directe ou indirecte. Je demande à Dieu qu’il accorde le repos éternel aux victimes, prompt rétablissement aux blessés et au peuple pardon ».

Sur ces entrefaites, Gbondjaté Dibloni a été prié de rejoindre son siège pour céder la place au sergent Salif Couldiaty. Il est né à Tansarga dans la province de la Tapoa et est âgé de 30 ans. Déjà condamné à 10 ans de prison ferme dans le procès dit de l’attaque de la poudrière de Yimdi, il a été inculpé pour  complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre et coups et blessures volontaires. «Je dénie ces faits, Monsieur le Président », a-t-il plaidé. «Le tribunal vous écoute », lui a indiqué Seidou Ouédraogo. Le 16 septembre quand il s’est réveillé aux environs de 16h, le sergent dit avoir appris la nouvelle de l’interruption du Conseil des ministres sur la chaîne France 24 sur une bande passante. Deux heures plus tard, il s’est rendu au camp et a su qu’un rassemblement venait de se terminer. Il a alors appris que le président de la Transition, le Premier ministre et deux autres membres du gouvernement venaient d’être arrêtés. Le lendemain 17 septembre, il est allé causer avec son binôme ou ami (Souleymane Koné) qui lui avait montré où il était de garde (à quelques mètres de la résidence où étaient internées les autorités de la Transition). Le 18, après le rassemblement du matin, au cours duquel le chef de corps leur a dit de «rester sereins», il est allé encore «causer de tout et de rien» avec son binôme avant de revenir peu avant 11h pour un autre rassemblement. Il a mentionné qu’il n’a pas été affecté à une tâche quelconque mais qu’il faisait des «pérégrinations» ou allait simplement tenir compagnie à son ami qui était seul  la plupart du temps. Il y est allé une troisième fois, le 20 septembre, avant de quitter le camp 6 jours plus tard pour rejoindre son corps d’affectation sans avoir posé d’un acte, selon ses propos.

Mais pour le parquet militaire, le soldat  de 1re classe Amadou Ly et l’adjudant-chef Moussa Nébié dit Rambo ont cité Salif Couldiaty comme faisant partie de ceux qui ont participé à la réunion préparatoire de l’assaut, c’est-à-dire l’irruption dans la salle du Conseil des ministres. Des affirmations qu’il a niées en disant ceci: «je suis sceptique ». Certains avocats de la défense ont conforté sa position : en effet, Mes Zaliatou Aouba et Idrissa Badini ont  fait observer que ces accusés qui avaient mis en cause le sergent Couldiaty sont revenus sur leurs propos ou étaient dubitatifs quant à la présence de certaines personnes qu’ils avaient précédemment citées. Selon eux, le parquet a voulu «tromper la religion» du tribunal en ramenant les débats en arrière, ce moyen, à leurs yeux,  ne pouvait plus être brandi à partir du moment où quelque chose de contraire a été noté dans le plumitif. Du côté des avocats des parties civiles, Me Prosper Farama a conclu que : «ce n’est pas parce que plusieurs personnes ont commis la même infraction que l’absence des autres signifie que l’ensemble des éléments constitutifs de cette infraction ne sont pas réunis ». Il a répondu au conseil commis d’office de Couldiaty, Me Pascal Ouédraogo, qui faisait précédemment remarquer que plusieurs militaires étaient au camp mais n’ont pas été inquiétés parce qu’ils ont échangé avec leurs frères d’arme, ce qui n’est pas interdit selon lui.

A l’issue de l’instruction de ce dossier, Seidou Ouédraogo a précisé que l’audience reprendrait le jeudi 16 août 2018 à 9h. 

Aboubacar Dermé

 

 

 

Dernière modification lemardi, 31 juillet 2018 20:50

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