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Sœur Nicole Kaboré, ‘’kundéable’’ 2019 : «A mes débuts, voir une religieuse chanter, c’était un scandale»

Pour la toute première fois, elle est dans la course aux trophées de la musique burkinabè. Sœur Nicole Kaboré, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est en effet nominée dans la catégorie Musique religieuse aux Kundé 2019. Enseignante de formation, cette sœur de la Congrégation dominicaine de la présentation est la toute première religieuse catholique à se lancer dans une carrière musicale professionnelle. Neuf ans après le début de cette carrière, elle a aujourd’hui six albums à son actif. Dans une interview qu’elle nous a accordée le 4 avril 2019, elle nous parle sans détour de l’alliance entre sa vie de consacrée et sa carrière d’artiste qui, à l’en croire, avait été perçue comme un scandale au tout début.

 

Vous êtes nominée aux Kundé 2019 dans la catégorie Musique religieuse, quel effet cela vous fait ?

 

C’est d’abord une action de grâce au Seigneur. Cela veut dire qu’aussi bien le ministère de la Culture que les citoyens s’intéressent à ce que je fais. Cette nomination me donne aussi plus de crédibilité. Pas que je n’y croyais pas, mais voir qu’il y a d’autres personnes qui s’y intéressent, ça galvanise et donne plus d’entrain pour mieux faire.

 

D’où vous est venu l’amour de la musique au point que vous vous soyez lancée dans une carrière professionnelle ?

 

C’est un don inné. Je peux dire que je suis née avec la musique dans le sang parce que toute petite, j’ai toujours chanté et dansé. A la chorale, avec maman ou des amies, j’essayais toujours d’animer ou d’encadrer les autres. Mais quand bien même ce serait une chose innée, l’option que j’ai faite de me consacrer, ou du moins de laisser Dieu me consacrer à son service, ne me permettait pas de me lancer directement dans une carrière comme le ferait un musicien profane. Il m’a fallu un temps de discernement pour voir si cela était compatible avec ma vocation de religieuse. Il a fallu aussi soumettre mes idées à mes supérieures en ce sens qu’elles sont là pour nous aider à avancer dans le sens de notre vocation. Tout cela a fait que j’ai mis du temps à me lancer dans une carrière professionnelle. C’est seulement en 2011 que j’ai réalisé mon premier album, intitulé Dieu fidèle.

 

En tant que religieuse, n’a-t-il pas été difficile pour vous de vous lancer dans une carrière professionnelle?

 

Evidemment ! D’autant plus que je suis la toute première sœur du pays à chanter publiquement. A ce propos, j’ai rencontré pas mal d’obstacles et c’est même toujours le cas. Au tout début, voir une sœur chanter, c’était un scandale d’autant plus que c’était la première fois que l’on voyait cela. On avait l’habitude de voir des prêtres chanter mais pas de sœur. Pire, je ne fais pas que chanter, sur scène je danse aussi. Quand je suis en prestation, personne ne peut me retenir parce que c’est une manière pour moi de louer mon Seigneur. Avec ça, j’ai tout entendu. Mais le plus important, c’est ce qui vient du cœur et ce qui me motive. Aujourd’hui, c’est avec un grand plaisir et une grande satisfaction que je chante parce que j’ai réalisé un projet qui me tenait à cœur.

 

Quelles sont vos sources d’inspiration ? Sont-elles uniquement religieuses ou y a-t-il un peu de profane ?

 

Elles sont d’abord religieuses, mais elles sont aussi profanes. Parce qu’il y a des inspirations profanes qui nous poussent et nous orientent vers le Seigneur. Dieu n’est pas dans un univers où il commande tout de loin. Il partage notre quotidien et, en tant qu’humains, il veut que l’on partage ce que l’on vit et voit. Je peux donc traiter d’un thème qui n’est pas forcément tiré de l’Evangile ou des Saintes Ecritures simplement parce que tout ce qui est positif est divin. Je peux donc conclure que toutes mes inspirations sont divines, même si j’aborde des thématiques qui n’ont rien à voir avec la religion. Mon avis est que c’est l’esprit du Seigneur qui m’éclaire avant tout.

 

De 2011 à maintenant, vous avez mis au total 6 albums sur le marché dont le dernier en début 2019. Dans quel contexte ces œuvres ont-elles vu le jour ?

 

Beaucoup de mes chansons sont inspirées de faits qui m’ont marquée. Dans mon premier album, par exemple, je chante la fidélité de Dieu et son amour irrévocable. J’ai intitulé l’album Dieu fidèle au regard des bienfaits qu’Il m’a toujours accordés. Le2e album, Dieu d’amour, qui est sorti en 2015, a été enregistré dans le contexte de l’insurrection populaire de 2014 et du coup d’Etat manqué de 2015. Ces évènements m’ont inspiré des chansons parce que je me suis dit que seul un Dieu d’amour peut toujours gérer l’Homme. C’est dans le même registre qu’ont suivi tour à tour les autres albums, Dieu vivant et Saint Gérard en 2017, Notre Dame du perpétuel secours en 2018, et Dieu des merveilles en 2019.

 

Certaines de vos chansons sont de style reggae et d’aucuns s’étonnent qu’une religieuse fasse de ce genre musical une option. Qu’en dites-vous ?

 

Dès le premier, j’avais décidé de partir de rythmes variés. Pour cela, vous trouverez dans mes titres presque du tout : du reggae, du zouk, de la salsa et d’autres rythmes qui n’ont rien à voir avec les rythmes connus des chansons religieuses. C’est suivant mon inspiration. Si la mélodie me vient, je la balance et je vois ensuite le rythme qui va avec. Pour moi, chanter en zouk ou en reggae ne devrait pas faire scandale. Ce sont des mélodies d’autres terroirs comme le warba que j’aime bien. Et le plus important, c’est ce qu’on y met, surtout les paroles qui, souvent, déroutent ou réconcilient avec Dieu. Ça scandalise certains mais pour ceux qui comprennent, ce sont les paroles qui comptent le plus. Le reste, c’est comme une coque pour habiller la chose.

 

Avez-vous des modèles dans le milieu catholique qui vous inspirent ?

 

Quand j’étais adolescente, j’ai souvent entendu chanter l’abbé Joseph Sébégo du diocèse de Ouahigouya. C’était pour moi la première fois de voir un prêtre faire de la musique et danser. Des prêtres qui chantent, j’en connaissais parce que je faisais partie d’une chorale, mais des prêtres qui font de la musique un métier, je n’en avais encore jamais vu. Moi qui ai toujours rêvé de faire de la musique, cela m’épatait beaucoup. Et je ne cessais de me dire que si dans notre famille il est possible d’exploiter les talents que le Seigneur nous a donnés pour le louer, moi j’arriverai à le faire un jour. D’autres prêtres venus par la suite m’ont aussi inspirée.

 

La vie d’artiste n’entache-t-elle pas votre vie religieuse ?

 

Même si la musique, comme je le dis, est innée en moi, à partir du moment où j’ai fait une option, cela veut dire que le Seigneur m’avait préparée à me consacrer à Lui. Parce qu’on le sait tous, la consécration ne se fait pas sur un coup de baguette magique. S’il a plu au Seigneur de me choisir, de m’appeler à son service, j’estime que ce qu’il m’a fait comme dons doit constituer des éléments pour accompagner ma consécration et me permettre de la réaliser en moi et à travers moi au monde. La carrière musicale ne doit entacher en rien ce que je suis. Si c’était le cas, je devrais arrêter de chanter, car le plus important, c’est ce que Dieu veut que je sois. Et pour l’instant, c’est ma consécration.

 

N’y a-t-il pas des esprits malins qui profitent du milieu artistique pour vous faire des avances incongrues ?

 

L’esprit malin est partout ! Mais en tant que croyants, nous devons avoir foi que sa présence n’est pas à comparer à la splendeur de Dieu qui nous inonde. Quel que soit donc l’esprit malin qui peut rôder, il y a toujours une main habile, la main divine, pour l’écarter, au point que je puisse dire que je suis protégée par la puissance divine.

 

Est-ce que pour une prestation vous demandez l’autorisation de votre hiérarchie ?

 

Tout à fait ! J’ai fait vœu d’obéissance et cela me tient à cœur. Avant chacune de mes prestations, mes supérieures sont donc prévenues.

 

Quel est le rythme de vos prestations, en un mois par exemple ?

 

Il est vrai que je suis beaucoup sollicitée mais je ne peux pas satisfaire à toutes les sollicitations. J’ai des obligations qui me tiennent aussi à cœur, ce qui fait que parfois lorsque je me rends compte que ça va empiéter sur l’une ou l’autre, je m’éclipse. J’ai participé à une cinquantaine d’évènements importants. Je me rappelle qu’en 2011, juste après que j’ai lancé ma carrière, a eu lieu la Semaine nationale de la culture à laquelle j’ai participé et où j’ai été sollicitée pour plusieurs prestations.

 

Financièrement, qu’est-ce que la musique vous rapporte ?

 

Dire qu’elle me rapporte serait exagéré. Dire aussi que je n’en tire pas de bénéfices ne serait pas non plus juste. Mais le plus important n’est pas l’aspect financier mais les cœurs que je peux atteindre. C’est d’ailleurs ce que je vise, au point que même si je n’arrive pas à boucler la boucle, comme on aime le dire, je sors toujours satisfaite. Vous conviendrez que de nos jours les CD ne s’achètent plus. Tu as beau investir pour produire un album, il ne faut pas t’attendre à un retour juteux sinon tu risques de déchanter. Je fais fi donc de ces calculs et j’avance. Si des âmes bienveillantes et généreuses veulent bien me soutenir, c’est tant mieux. Toutefois c’est avec les prestations qu’on arrive à combler le gap. Je reconnais tout de même que je ne suis pas en deçà de mon investissement et je ne cherche pas d’ailleurs mieux. L’essentiel, c’est de faire ce qui me tient à cœur.

 

Quelle peut être la destination des cachets et des droits d’auteur d’une artiste musicienne religieuse comme vous?

 

Je disais tantôt que j’ai fait vœu d’obéissance. J’ai aussi fait vœu de pauvreté, ce qui m’engage à tout mettre en commun avec les consœurs de ma congrégation. Si vous me donnez 25 F, je vais les mettre en commun et si j’ai besoin de 10 F pour acheter de l’eau, j’irai les demander. Si quelqu’un d’autre est plus dans le besoin que moi, j’accepte qu’on lui donne et moi je m’abstiens. Les retombées de ce que je fais en tant que musicienne sont donc destinées à la congrégation et lorsque j’ai besoin de produire, les sœurs n’hésitent pas à me soutenir.

 

Evoluez-vous en solo ou avez-vous un groupe qui vous accompagne pour le chœur par exemple?

 

J’ai souvent besoin du concours de mes consœurs  mais vu les activités diverses qui font bouger les unes et les autres, nous avons des emplois qui ne concordent pas toujours. Il arrive souvent qu’au moment où j’ai le temps pour entrer en studio, celles qui peuvent m’accompagner avec le chœur ne soient pas libres, ce qui fait que j’ai souvent recours à des compétences externes pour les reprises en chœur. 

 

Est-ce qu’il y a des anecdotes qui vous ont marquée dans votre carrière d’artiste ?

 

Il n’en manque pas. J’aime souvent raconter une particulièrement qui me fait rigoler : en 2013, alors que le pape Benoît XVI venait de démissionner, cela a suscité une vague de réactions, notamment dans les médias. J’ai suivi sur une chaîne de télévision un monsieur qui disait que le pape ne peut pas ne pas démissionner à partir du moment où des sœurs chantent et dansent. J’étais la seule sœur qui chantait. J’ai vite réalisé que la personne faisait allusion à moi. J’ai dit alors : ‘’Seigneur si c’est ça qui fait démissionner ton serviteur, qu’il parte’’. Parce que ce que je dis dans mes chansons n’a rien de diabolique mais au contraire contribue à édifier. Les gens ont souvent des arguments qui ne tiennent pas la route, chacun commente comme il veut. Mais c’est cela aussi, la liberté des enfants de Dieu ! 

 

De vos six albums, lequel a le plus connu du succès ?

 

Mes six albums ont été globalement bien accueillis par le public. Mais ceux qui m’ont semblé être les mieux appréciés restent le premier et le cinquième. Mais j’ai déjà reçu beaucoup de réactions positives sur le dernier album.

 

Quelles sont, selon vous, vos chances face à vos challengers à ces Kundé ?

 

C’est une compétition où un jury décide. Mais je reste tout de même confiante. Toutefois si ça tombe entre les mains d’une autre personne, je rendrai toujours grâce à Dieu.

 

Que pensez-vous de Sœur Anne Marie Kaboré qui, on peut le dire, vous a emboîté le pas ?

   

C’est une petite sœur que j’admire beaucoup à travers ce qu’elle fait. Une petite sœur d’âge mais aussi de consécration et de carrière musicale. Je demande au Seigneur de continuer à la bénir et que nous continuions à porter l’Evangile à travers le monde. Je souhaite aussi voir d’autres religieuses comme elle se lancer dans la musique, exploiter leurs talents pour louer le Seigneur et annoncer la bonne nouvelle. Cela a toujours été d’ailleurs mon souhait depuis mes premiers pas d’artiste musicienne.

 

Interview réalisée par

Bernard Kaboré

(Stagiaire)

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