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Décès du président Béji Caïd Essebsi : L’insubmersible a fini par couler

 

Un baobab de la scène politique tunisienne s’est écroulé ce jeudi 25 juillet : le président Béji Caïd Essebsi a en effet tiré sa révérence à 4 mois de son 93e anniversaire. Toute la Tunisie pleure ce presque père de la nation et de l’indépendance. Disciple du grand Habib Bourguiba, serviteur discret du despote Abbidine Ben Ali, idéologue et administrateur de la transition démocratique et de la Deuxième République, l’homme a incontestablement marqué de son empreinte politique les 60 dernières années de la vie publique de son pays.

 

 

De fait, de la jeunesse néo-destourienne dès 1938 à la fonction suprême de président de la République en fin 2014,  Caïd Essebsi fut très actif sur le landerneau politique tunisien. Il fut tour à tour ministre de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères du président Bourguiba entre 1965 et 1985 avant d’être élu président de la Chambre des députés sous Ben Ali. Entre 1996 et 2010, il connut une petite éclipse de la vie publique. Mais quand survint la Révolution du Jasmin, qui provoqua la chute du dictateur Ben Ali, il revint au devant de la scène comme Premier ministre sous la Transition. A ce poste, il a organisé l’élection de l’Assemblée constituante qui a porté la deuxième république tunisienne sur les fonts baptismaux. En 2012, il créa le parti  Nidaa Tounes pour constituer l’opposition face au président de la Transition, Moncef Marzouki, devant lequel il remporta l’élection présidentielle de 2014. Le politique Béji Caïd Essebsi a ainsi survécu au régime du parti unique sous Bourguiba, au système du pouvoir caporalisé dans un multipartisme surveillé sous Ben Ali avant de s’affirmer comme un homme d’Etat rassembleur et le premier président démocratiquement élu de la Tunisie sous la Deuxième République. En raison de ce parcours politique exceptionnel, il peut passer pour un insubmersible dans les eaux souvent agitées de la politique intérieure tunisienne. Mais il aura fini par passer l’arme à gauche, le poids de l’âge et de la maladie ayant eu raison de ce caïd en politique.

 

Même si la mort tombe rarement à pic dans la vie des hommes, celle du président tunisien est comparable à l’épilogue d’une odyssée politique où le suspense n’avait plus sa place. L’homme a été hospitalisé à plusieurs reprises depuis la fin du mois de juin et on la voyait venir, sa disparition, qui n’aura pas surpris grand monde ni bouleversé grand-chose. En outre, elle est intervenue le jour anniversaire de la proclamation de la République en Tunisie. Un jour exceptionnel pour le pays qui perd un fils exceptionnel. On se risque alors à dire, malgré le deuil qui frappe la Tunisie, que Caïd Essebsi s’est éteint au bon moment, au summum d’une carrière politique bien remplie. C’est connu, l’homme qui peinait, maladie oblige, à finir son premier mandat à la tête de l’Etat avait annoncé qu’il ne briguerait pas un second mandat et aussi son retrait  de la vie publique en novembre prochain. La préparation des élections législatives et présidentielle était déjà enclenchée, et selon les termes de la Constitution tunisienne, l’intérim au sommet de l’Etat que doit assurer le président du Parlement prendra fin au moment où devrait s’achever le mandat du président défunt. Il suffira alors aux autorités intérimaires de suivre le calendrier électoral, peut-être en faisant passer l’élection présidentielle avant les législatives, pour que la disparition de Caïd Essebsi ne soit en rien un motif d’instabilité pour le pays.

 

C’est tout le mal que l’on souhaite au pays d’Habib Bourguiba afin que, à défaut du miracle économique espéré après la chute du Tsar de Carthage, les lampions de la démocratie, allumés par l’insurrection populaire de 2011, brillent de mille feux et pour longtemps. De la sorte, Caïd Essebsi n’aura aucun regret outre tombe lui qui, dans un ouvrage remarquable, a fait un vibrant  plaidoyer pour le modèle politique tunisien. En effet, pour l’illustre disparu, « l’onde de choc née de la Révolution a fait voler en éclats le présupposé culturaliste, voire raciste, qui condamnait les sociétés arabes au despotisme oriental du fait de la prétendue incompatibilité entre islam et démocratie. La réussite de la Transition démocratique tunisienne représente le plus éloquent des démentis à cet inusable stéréotype… » A l’évidence, la construction d’institutions démocratiques fortes au service d’une liberté politique dans une Tunisie résolument tournée vers la modernité passe pour être l’héritage que Béji Caïd Essebsi laisse à la postérité. A ce titre, si Habib Bourguiba passe pour être le père de l’indépendance et de la Tunisie moderne, Caïd Essebsi est l’architecte de son renouveau démocratique même si, comme tout bon architecte, au soir de sa vie, il disait que son œuvre reste perfectible, estimant alors qu’un régime présidentiel, en lieu et place de celui parlementaire, conviendrait mieux à son pays. La mort l’aura empêché de faire aboutir cette idée en réforme. Ces héritiers vont-ils poursuivre la réflexion dans cette direction ?

 

Rien n’est moins sûr, car le pouvoir pourrait changer de camp en Tunisie, Caïd Essebsi laissant une classe politique bien divisée, à commencer par son propre parti. En effet, le fait d’avoir promu son fils, Hafedh Caïd Essebsi, à la direction de Nidaa Tounes y a provoqué des dissensions, une scission et une rupture d’alliance avec le parti islamiste, Ennahdha. Ces désunions pourraient s’accentuer avec sa disparition et les élections qui se profilent à l’horizon. On pourrait assister alors à des bouleversements d’alliances et à un changement de majorité parlementaire. Les chances de Nidaa Tounes, le parti du défunt président, de conserver le pouvoir sont donc  bien minces.

 

Mais l’essentiel n’est-il pas qu’en matière de démocratie, le pays continue sur la voie du progrès ? En tout cas en 2018, la Tunisie, selon le classement de Reporters sans frontières, était le premier pays du Maghreb en matière de liberté de la presse. C’est là un fruit palpable des efforts du régime de Caïd Essebsi en faveur de la démocratie, et si après lui, avec ou sans son parti au pouvoir, le pays poursuivait sur la voie de ces changements qualitatifs, l’homme n’aura pas volé le qualificatif de père de la démocratie tunisienne. Qu’il repose en paix !

 

 

 

Zéphirin Kpoda  

 

Dernière modification ledimanche, 28 juillet 2019 20:44

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