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Regard sur l'actualité : Chirac, notre ami qui n’aimait pas nos «bruits» ni nos «odeurs»

 

On le savait malade et retiré de la vie publique depuis mars 2011. De plus en plus diminué par l’âge et la maladie, il fit néanmoins une dernière apparition publique en novembre 2014 dans le cadre des activités de sa fondation. Il souffrait, selon ses médecins traitants, d’anosognosie, un mal neurologique qui cause une absence de prise de conscience ou une prise de conscience amoindrie d’autres troubles dont peut souffrir le patient. Ce 26 septembre, il s’est éteint à presque deux mois de son 87e anniversaire, rappelant bien des souvenirs sur sa carrière exceptionnelle d’homme d’Etat.

 

 

 En effet, avant d’être un gaulliste engagé, ancré bien à droite de l’échiquier politique français, Jacques Chirac a flirté avec la gauche dans sa jeunesse au point de passer au début de son militantisme politique pour un radical- socialiste. Mais c’est en tant qu’apôtre du gaullisme qu’il a véritablement acquis ses lettres de noblesse dans la politique : secrétaire d’Etat pour l’Emploi sous  le général de Gaulle dès 1967,  il deviendra 10 ans plus tard le premier maire élu de Paris. Il restera l’édile de la capitale française pendant plus de 18 ans avant d’accéder à la magistrature suprême, un poste qu’il a occupé pendant douze ans à partir de mai 1995. On n’oubliera pas qu’il a été par deux fois Premier ministre, d’abord sous Valery Giscard  d’Estaing, entre 1974 et 1976, ensuite sous François Mitterrand, entre 1986 et 1988. Après son départ de l’Elysée en mai 2007, il a siégé de droit au Conseil constitutionnel jusqu’en mars 2011.

 

On le voit bien, Jacques Chirac a eu une carrière politique exceptionnelle et a marqué plus d’une génération par l’opiniâtreté et la chaleur fusionnelle de son engagement qui aura franchi les frontières françaises. Plus d’un dirigeant africain ou arabe en sait quelque chose et ce n’est pas pour faire de l’euphonie dans la com. politique qu’il fut surnommé « Chirac l’Africain ». Et pourquoi pas « Chirac l’Arabe », lui qui proposait « le miracle tunisien » sous Ben Ali en partage au pays du Maghreb et surtout s’était ouvertement opposé à l’invasion de l’Irak en 1991, au risque de fâcher l’allié américain ? Pour sûr, il a été pour plusieurs chefs d’Etat du continent un ami, un frère, un avocat des causes perdues ne craignant pas d’être parfois  à cheval sur certains principes de la France, patrie des droits de l’homme. On en voudrait pour preuve sa célèbre rebuffade contre l’esprit et la lettre du discours mitterrandien au sommet France-Afrique de la Baule : «  La démocratie est un luxe pour l’Afrique ».  La formule est restée dans l’histoire comme l’expression d’une condescendance à l’adresse des peuples africains, jugés immatures pour appréhender les exigences du multipartisme et ses corollaires de débats d’idées, d’élections ouvertes, équitables et apaisées. Il est vrai que cette boutade chiraquienne, faisant un clin d’œil à des dinosaures de la politique africaine, Houphouët Boigny, Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso, et on en oublie, chez lesquels l’option de François Mitterrand de lier l’aide au développement aux réformes démocratiques, était une pilule amère  à avaler.

 

 En fait, derrière la perche tendue à des amis politiques, Jacques Chirac revendiquait une particularité dans les relations France-Afrique. Particularité dans la droite ligne de la conception  de Jacques Foccart, où le paternalisme se mêle à des amitiés de réseaux garantissant les intérêts de la métropole dans son pré carré africain. Voilà pour le côté sombre des relations de Jacques Chirac avec l’Afrique : il a contribué à nourrir la nébuleuse Françafrique  par ses amitiés coupables avec certains dirigeants du continent. Et là où on s’attendait à ce que la France tape du poing sur la table pour le retour à l’ordre, Jacques Chirac  a laissé faire. On pense particulièrement à la guerre civile au Congo Brazzaville en 1997 et en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2007. Dans ces deux conflits, la France, sous le magistère de Jacques Chirac, a joué un rôle ambigu qui n’a pas fini de nourrir le sentiment antifrançais sur les bords de la lagune Ebrié et les berges du fleuve Congo.   

 

Pour le côté brillant de sa relation avec l’Afrique, on retiendra les aspects fusionnels avec les populations et les cultures du continent. A chacune de ses visites en Afrique, de Tunis à Dakar en passant par Ouagadougou, Jacques Chirac aimait prendre des bains de foules. Une attitude à mille lieues de la dénonciation qu’il fit « du bruit et des odeurs » qu’occasionnent certains Africains vivant en France. En bon politique, il lui fallait bien trouver le petit mot pour contenter des électeurs mécontents des difficultés de coexistence avec des immigrés africains. En vérité, Jacques Chirac aimait l’Afrique, les Africains et leurs cultures. La création par ses bons soins du musée du Quai Branly pour les arts mineurs à Paris est là pour le prouver. Des œuvres d’art, des cultures africaines, notamment en sculpture, y sont exposées en bonne place.

 

Cet amour des peuples du Sud, particulièrement ceux d’Afrique, cet appel au dialogue des cultures, restent les points saillants de l’héritage immatériel que Jacques Chirac laisse à la France et à l’humanité. Cette dernière en a grand besoin au moment où divers préjugés, notamment religieux, nationalistes et raciaux, sèment la guerre, font ériger des murs et voter des lois contre la liberté de conscience et  le droit des migrants. Certes, ces derniers ont besoin de plus qu’un musée d’inspiration  présidentielle pour que se construise la civilisation de l’universel, chère à Léopold Sédar Senghor, mais Jacques Chirac aura eu le mérite, à travers le musée du Quai Branly, d’apporter de la terre à la terre afin que vive la termitière de la coexistence pacifique des cultures.

 

Adieu, l’ami qui n’aimait pas nos « bruits » ni nos « odeurs » !

 

 

Zéphirin Kpoda

Dernière modification ledimanche, 29 septembre 2019 20:12

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