Attentats Splendid Cappucino de janvier 2016 : Il y a cinq ans …
- Écrit par Webmaster Obs
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Il y a cinq ans, jour pour jour, vendredi 15 janvier 2016, trois terroristes ouvraient le feu sur la terrasse du café-restaurant Cappuccino, situé sur la célèbre avenue Kwame-N’krumah, en plein cœur de Ouagadougou. Ils se replient au Splendid Hotel puis au Taxi brousse, avant de se faire descendre au petit matin. Leur raid [combiné à une embuscade tendue quelques heures auparavant dans le septentrion et à l’enlèvement du couple Elliott, dont le mari est toujours otage] cause la mort de 32 innocents, et marque le début de l’infernale spirale djihadiste qui ébranle toujours notre territoire aujourd’hui, avec son triste cortège de cadavres, de déplacés internes et de déchirements. Thibault Bluy, un jeune reporteur français alors en stage à L’Observateur Paalga, avait suivi de près la genèse de ce phénomène et le tout premier attentat à frapper la capitale. Un épisode qu’il raconte dans son ouvrage « L’Observateur Toubabou », paru récemment aux Éditions du Net et couronné du Grand Prix du manuscrit francophone 2020, dont nous vous proposons ici un extrait.
C’est un vendredi comme les autres. Après une compétition de football réussie, mes coéquipiers et moi célébrons la victoire à la buvette. Ça rigole, ça chante, ça crie. On revit les matchs, on refait le monde. Je m’esquive furtivement entre deux tournées. Ce soir du 15 janvier, date de la Saint-Rémi, j’ai rendez-vous au théâtre.
Déjà en retard, je rentre en courant. Au bas de l’avenue Kwame Nkrumah, « la plus belle de Ouaga », un pressentiment me fait bifurquer à gauche pour emprunter une contre-allée. Il est 19 h 15. Je ne mesure pas encore combien cet itinéraire est salvateur.
« Allô ? Tu as vu ce qu’il se passe sur Kwame ? Il paraît qu’il y a eu une fusillade, des bagnoles cramées, et que des mecs armés se sont planqués ! » D’un tempérament stressé, ce compatriote me sollicite fréquemment pour vérifier tous types de rumeurs. Je sonde une connaissance à l’ambassade. Elle n’est au courant de rien.
20 heures. Mon accompagnatrice est arrivée. Nous achetons nos billets, puis prenons paisiblement possession des banquettes extérieures. L’air est moelleux. La soirée s’annonce douce.
La pièce commence. Elle bouleverse nos perceptions de la fortune, du trépas, de la spiritualité. Mon cellulaire ne cesse de vibrer. Gêné, je m’isole pour décrocher. Au bout du fil, un confrère me confirme qu’une attaque et une prise d’otages sont en cours. Je regagne les gradins, perplexe.
Les comédiens continuent de pérorer, comme si de rien n’était. En arrière-fond, je capte maintenant le crépitement des armes automatiques. Une femme fait brusquement irruption dans le décor. Elle met fin à la représentation, dictant aux spectateurs de se calfeutrer chez eux. En un éclair, les planches sont débarrassées.
« Ah, ça c’est moins bon »
J’enfourche ma moto pour essayer de me rapprocher. Plus les rafales se font nettes, plus la tempête durcit sous mon casque. Le déchaînement du coup d’État [du 16 septembre 2015, objet d’un précédent chapitre du livre] se ravive en moi. Anges et démons me soufflent les mêmes questions. L’actualité doit-elle primer la sûreté ? Faut-il céder aux exigences de la vocation plutôt qu’aux injonctions du consulat? Cette fois, la perturbation est plus localisée. Certes, mais si l’origine est djihadiste, les Nassara sont habituellement les premiers frappés…
Je suis balayé par des vents irrémédiablement contraires. Un pas en avant, deux pas en arrière. Deux mètres en avant, trois... Stop ! Il faut que je prenne une décision avant d’être complètement étourdi. J’opte pour le compromis. Je me réfugie sous le toit de L’Observateur, à cinq hectomètres, à vol d’oiseau, du nœud de l’action.
Un gardien papillonne dans la cour. Tandis qu’on discerne plusieurs salves d’affilée, il ne semble pas beaucoup s’en affoler. Je le mets au parfum des événements. « Ah, ça c’est moins bon », susurre-t-il machinalement, sans émettre guère plus d’émotions. Nous partageons le plat de riz et le demi-poulet que je m’étais procurés en prévision. Je branche mon ordinateur à proximité, m’alimentant des dernières évolutions.
Selon des correspondants sur place, un commando a ouvert le feu au café-restaurant Cappuccino, avant de brûler des voitures et de se retrancher dans le Splendid Hotel, sur l’aile opposée du boulevard. Des pandores burkinabè se sont risqués à le dénicher. Mal équipés, essuyant des volées nourries, ils se sont bornés à quadriller les environs. Le président Kaboré, alerté de la situation, a demandé à son homologue tricolore François Hollande le déploiement des Forces spéciales basées à Ouagadougou.
Surenchère mortifère
En attendant que ces unités soient exfiltrées du Nord-Mali, où elles sont en mission, on ne saisit plus que quelques décharges de sommation et le faux-bourdonnement d’un drone américain. J’allume la télévision. Il est 22 h 58. Le ministère de la Communication signale que le couvre-feu est anticipé à 23 heures. Je vais devoir endurer ma première nuitée au service.
Un sinistre décompte fait état d’une vingtaine de cadavres. Cent cinquante-six hères, dont le ministre burkinabè du Travail, qui y assistait à une réunion privée, seraient toujours retenus dans le palace quatre étoiles. Illuminant le centre-ville, à un jet de pierre de l’aéroport, le relais est usuellement fréquenté par des Occidentaux et de riches Africains de passage.
Via un message audio, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) revendique l’attentat, accompli par la katiba Al-Mourabitoune du borgne algérien Mokhtar Belmokhtar. La même qui a ensanglanté le
Radisson Blu de Bamako deux mois plus tôt [le 20 novembre 2015, deux « fous d’Allah » ont semé l’horreur dans cet hôtel de luxe de la capitale malienne, laissant derrière eux vingt corps inertes et dix infirmes]. Dans les studios de France 24, les spécialistes se succèdent pour disséquer cette « recomposition géopolitique du djihad global », sur fond de surenchère mortifère entre Al-Qaïda et le groupe État islamique (EI).
Comme toutes les nuits entre 1 heure et 7 heures, le direct s’arrête. Je rédige deux ou trois courriels pour tranquilliser mes parents, réponds à divers appels des médias internationaux. Dehors, la charge a été sonnée. Mon cerveau ne parvient pas à connecter les détonations aux illustrations de l’écran. C’est comme si mon entendement était dépassé. Comme s’il ne pouvait concevoir que de telles monstruosités se produisent à quelques encablures. Abasourdi, je bogue devant les images qui repassent silencieusement en boucle.
Le récit se poursuit par la neutralisation des assaillants, les heures de chaos et les hommages qui ont suivi, ainsi qu’un entretien exclusif avec le propriétaire du Cappuccino et une analyse des prémices du terrorisme d’inspiration islamiste sur le sol burkinabè, qui permettent de mieux saisir les enjeux de ce qui s’y déroule aujourd’hui.
L’Observateur Toubabou – Un reporteur français au Burkina Faso. Un livre de Thibault Bluy, disponible au siège de L’Observateur Paalga et dans la plupart des points de vente du journal, ainsi que dans les librairies de Ouagadougou.