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Réouverture des frontières : Statu quo à Yendéré

 

9 mars 2020. Le Burkina enregistre son premier cas de Covid-19. Face à la propagation du virus, le 21 mars 2020, le gouvernement burkinabè, à l’instar de nombreux autres pays africains et du monde, annonce la fermeture des frontières terrestres et ferroviaires. Depuis, indicible est le calvaire des populations se rendant en Côte d’Ivoire ou de retour dans leur patrie, lesquelles sont obligées de prendre  des voies de contournement des barrières de contrôle et des pistes dangereuses avec leurs corollaires d’accidents de motos ou de tricycles entraînant parfois mort d’homme. Certains voyageurs ont tout risqué pour atteindre leur destination. Puis le gouvernement a annoncé le 17 novembre passé la réouverture desdites frontières à compter du 1er décembre 2021. Malgré cette réouverture à la frontière de Yendéré, la Côte d’Ivoire n’ayant pas suivi le mouvement, c’est le statu quo dans le calvaire des voyageurs, peut-on dire, avec une morosité du trafic sur le corridor de la RN7, le 4 décembre dernier.

 

 

 

 

Visiblement, en dépit de la réouverture officielle des frontières, les différentes compagnies de transport empruntant traditionnellement l’axe Banfora-Niangoloko-Côte d’Ivoire ont préféré jouer la carte de la prudence. « On ne nous a encore rien dit », répond, laconique,  une des guichetières de la compagnie de transport Rakièta. « Nous attendons  de voir comment la réouverture va s’effectuer concrètement », renchérit-on à STAF. Même prudence à la compagnie Rahimo.

 

11h 38 mn, trois jours après, poste de contrôle de la gendarmerie de Siniéna, sur la RN7. « Depuis la réouverture des frontières, il n’y a pas d’affluence ; le trafic est toujours timide. Peut-être que ce n’est pas la période pour les Ivoiriens », opine un pandore. « Et pourtant, c’est bien leur période », rectifie son frère d’armes.

 

Le constat sur le trajet jusqu’au pont de la Léraba, frontière naturelle entre les deux pays, est édifiant : ce n’est pas le trafic des grands jours. La morosité est encore réelle 72h après l’ouverture des frontières. La raison, c’est sans doute le fait que la République de Côte d’Ivoire n’a pas encore levé de son côté la mesure de fermeture. Toutefois, les camions assurant le fret sont présents sur le trajet, contrairement aux véhicules de transport en commun. Au poste de contrôle de la police de Yendéré, les motocyclistes étaient plus visibles. « Vous connaissez bien la réalité… vous voulez simplement me tirer les vers du nez », nous lance un chauffeur de camion-remorque rencontré dans la ville de Niangoloko. Sous le couvert de l’anonymat, il confie néanmoins qu’il y a toujours de la maltraitance sur le trajet et  que des autorités auraient même acheté des motos ou des tricycles qu’elles ont loués. Ici, le corona-business tourne à plein régime. Suspicieux, notre interlocuteur se demande même s’il y a une réelle volonté  d’ouvrir franchement les frontières. En tout cas pour le moment, cette annonce n’a rien  changé, soutient-il. « Je ne sens pas de différence. Le Burkina a rouvert mais la Côte d’Ivoire n’a pas suivi. A quoi ça sert ? », tranche un chef de gare à Niangoloko. A l’entendre, les passagers déversés dans cette ville par les différentes compagnies continuent de vivre le même supplice. Après la dure traversée de la frontière, « faute d’argent pour poursuivre leur trajet, certains séjournent longtemps dans notre gare avant de bénéficier du soutien financier de leurs parents pour pouvoir continuer », poursuit-il, souhaitant la fin rapide de ce véritable... chemin de croix.

 

16h 30 mn,  poste de police de Yendéré. Cette place qui, d’habitude grouille de monde telle une fourmilière besogneuse,  est pratiquement déserte. L’activité économique, jadis dynamique, est en berne. L’unique mini-car rencontré venant de la lagune Ebrié a fini de faire ses formalités et les passagers  sont en train d’embarquer. Nous n’aurons pas le temps de les questionner. « Avez-vous adressé une correspondance à notre hiérarchie ? », lance le flic qui nous informe que le chef de poste est rentré à Niangoloko.

 

Quid du poste habilité à faire respecter les nouvelles conditions de franchissement de la frontière ? « Tout est à l’intérieur du poste », dira l’élément de sécurité. Insécurité oblige, ce poste de contrôle est désormais bien muré. Au dernier poste de contrôle avancé de gendarmerie à Dangouindougou, c’est le même constat de morosité du trafic des véhicules de transport en commun. En l’absence du chef de poste, ses éléments se montrent courtois sans pour autant être très bavards.

 

Le grand pont de la Léraba, frontière naturelle avec le « Pays d’Houphouët », grouille de « passeurs », encore appelés les « soutrats. Ces corona-businessmen sont convaincus qu’ils rendent service aux voyageurs dans leur parcours. Ils attendent sur leurs montures : des motos ou des tricycles. « Il y a le coronavirus et nous sommes là pour aider », déclare Madou Sory, un « passeur » qui déplore le manque d’affluence des cars. « Nous ne comprenons pas cette situation », soupire celui qui aurait souhaité que les deux pays ouvrent simultanément leurs frontières. Visiblement très remonté sur le traitement infligé aux voyageurs sur ce trajet, il dénonce les rackets aux frontières des deux Etats. C’est pourquoi eux, passeurs, prennent des pistes de contournement qu’eux seuls maîtrisent ; parfois  au  péril de la vie de leurs clients. Il n’est pas rare en effet de voir 3 à 4 personnes juchées sur une même monture. Des traversées qui se soldent souvent par des pertes en vie humaine. A les écouter, c’est la seule façon pour eux de tirer profit de la situation.

 

 Du poste de contrôle de Yendéré à Ouangolodougou en RCI, on  dénombre plus de 10 postes, dont seulement 2 au Burkina. « Il faut toujours payer entre 2000 et 3000 F. Voilà pourquoi nous les contournons », explique un « passeur ». Il faut le souligner donc, l’ouverture partielle des frontières n’enlève rien au calvaire des voyageurs. Les vieilles et mauvaises habitudes  ont la vie dure alors que l’espoir renaissait chez eux avec l’annonce de cette réouverture des frontières.

 

La nuit tombe sur le pont de la Léraba. Retour à  Niangoloko où le ballet incessant des « passeurs » se poursuit, même la nuit.  Une équipe de 3 à 4 personnes sur une moto file à vive allure  en direction de la frontière. « Ce sont eux », souffle une source sécuritaire d’après qui des accidents, des braquages, des agressions sexuelles sont souvent notés sur ces sentiers de tous les dangers. Et les éléments des forces de sécurité ne peuvent pas baisser les bras, d’où le mauvais ménage entre « passeurs » et forces de l’ordre.

 

8h 30 mn, samedi 4 décembre, 4e jour de réouverture des frontières. Retour à Yendéré. Même accueil que la veille. « Pas de correspondance,  pas d’entretien ». Le gouvernement, on le sait, a décidé de la réouverture des frontières à une condition : « La présentation d’une carte de vaccination (pass-vaccinal) contre la Covid-19 datant d’au moins 14 jours et attestant de l’achèvement du schéma vaccinal complet d’un vaccin ou la présentation d’un document attestant d’un test polymerase chair reaction (PCR) ou d’un test de diagnostic rapide (TDR) négatif datant d’au plus 5 jours à compter de la date de prélèvement ». Comment cette mesure est-elle appliquée ? Toutes les conditions sont-elles réunies pour son application ? Les poulets de Yendéré resteront muets comme des carpes. En cette matinée, rares étaient les transporteurs en commun à tenter la traversée. Seul un camion remorque chargé de bétail faisait l’objet d’une fouille minutieuse.

 

A propos du décret, « c’est comme si le gouvernement avait déshabillé Paul pour habiller Pierre », estime une source sécuritaire. Après avoir fermé les frontières le 21 mars 2021, ce qui a entraîné toutes formes de souffrances des voyageurs décrites plus haut et a plombé l’économie, l’exécutif prend un autre décret qui risque de compliquer la tâche aux voyageurs et partant, aux forces de l’ordre. En effet, il n’est un secret pour personne que les populations ne prennent pas d’assaut les différents centres de vaccination contre la Covid-19. Exiger un pass sanitaire va donc encore restreindre la liberté de circuler et exposer davantage les voyageurs aux rackets.

 

La vérité, toutefois, c’est que les frontières n’ont jamais été fermées ; il suffit de délier les cordons de la bourse pour qu’elles s’ouvrent. Question lancinante : doit-on empêcher un natif de regagner sa patrie ou de repartir vers son pays d’accueil où il est à la recherche de son pain quotidien ? Un dilemme pour ces forces de l’ordre chargées d’appliquer ces mesures prises par « ceux de là-haut ». « Où sont donc passés nos élus pour laisser un tel calvaire se poursuivre ? », s’indigne un interlocuteur.

 

A une certaine époque, une haute personnalité ivoirienne n’avait-elle pas dit que le Burkina et la RCI constituent une « chambre-salon », obligés qu’ils sont de vivre ensemble ? Plus que jamais, il est impératif pour les décideurs de ces deux pays de se donner la main, car sans actions unitaires, le salut pour ces peuples restera un mirage.

 

                                                                                                                                           Luc Ouattara

 

 

 

Encadré 1

 

« La frontière est fermée et vous continuez de circuler comme ça » ?

 

 

 

4 décembre 2021, nous traversons la frontière peu après 9h. « Bonjour les chefs », lançons-nous aux éléments du premier poste de contrôle en territoire ivoirien. « Ensuite ? », réplique, taquin, un élément de garde étonné par notre décontraction, les autres voyageurs passant presque en catimini. « La frontière est fermée et vous continuez de circuler comme ça ? », poursuit un autre élément. Après nous avoir observé de la tête aux pieds, l’autre, toujours aussi blagueur, demande, se fiant à nos chaussures : « Vous êtes soit un maçon, un menuisier ou un ingénieur ». « Ni l’un ni l’autre », répliquons-nous avant de leur préciser que nous sommes journaliste. « Vous êtes venu chercher notre bouche alors ? » réagit le plus taquin. « La frontière est ouverte chez nous au Burkina et vous vous avez refusé d’ouvrir la vôtre », osons-nous. « Nous, nous sommes trop petits pour mettre notre bouche dans affaire là. Ce sont les dirigeants des deux pays qui devraient s’appeler pour coordonner cette question. Mais je crois que notre ouverture ne saurait tarder », lance l’agent.

 

                                                                                                                                                        L.O.

 

Encadré 2

 

Niangoloko, une ville meurtrie par le Covid-19

 

 

 

Depuis l’apparition du Covid-19, Niangoloko est dans une morosité économique. L’annonce de la réouverture des frontières est donc naturellement vécue comme un soulagement. Pour Bayikoro Siaka, 1er adjoint au maire, « l’ouverture des frontières va nous soulager beaucoup parce que la plupart de nos activités sont menées en direction de la Côte d’Ivoire. La fermeture des  frontières occasionnait pas mal de dégâts au niveau de notre commune. Dans la ville on avait trop d’accidents de la circulation liés au trafic des gens de façon frauduleuse et cela a créé pas mal de désagréments. Je crois que la nouvelle donne va désengorger la cité. Mais tant que la Côte d’Ivoire n’en fera pas de même, on se demande comment ça va se passer. Notre souhait est que les Etats travaillent ensemble pour que le trafic redevienne fluide comme par le passé.

 

                                                                                        L.O.

 

 

 

Encadré 3

 

«Pour le moment, la réouverture, c’est sur le papier»

 

 

 

Moїse Pateneba Kouaga (passeur). « En toute franchise, la réouverture des frontières n’a rien changé, c’est encore sur le papier. C’est depuis avril 2020 que j’ai commencé l’activité. Ça m’a beaucoup aidé, mais cette réouverture est bien, parce que les gens souffrent beaucoup sur la route. Nous empruntons des déviations pour contourner les postes de contrôle et déposer les gens à la gare. Ici, c’est la frontière et c’est devenu un peu comme une gare. Les Burkinabè s’arrêtent là pour se rendre en Côte d’Ivoire et les Ivoiriens s’arrêtent là aussi pour se rendre côté Burkina. On négocie le coût du service et si la personne est d’accord, on lui fait passer les barrières et on la dépose selon sa destination. Il y a tous les prix. Ceux qui embarquent à la gare prennent 15 000F par personne. La réouverture des frontières, me réjouit, car il n’y aura  pas vraiment un manque à gagner dans la mesure où on menait une autre activité avant. Beaucoup de nos camarades étaient des vendeurs ambulants dans les gares. Moi, j’étais orpailleur et j’ai déposé ma machine tranquillement. Je peux dire que je suis passé d’une maison à une autre maison, d’une moto à une autre moto et je ne dois pas à quelqu’un. Je peux dire gloire à Dieu. Nous les «soutrats», nous avons des difficultés avec les forces de sécurité. On se feintait dans la brousse, on se poursuivait et parfois certains se blessaient. C’était trop risqué.

 

 

 

                                                                                        L. O.

 

Dernière modification ledimanche, 12 décembre 2021 20:55

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