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Procès Thomas Sankara : «Jugez le lieutenant et non le général » (Me Latif Dabo)

 

Les avocats du général Gilbert Diendéré se sont succédé pour plaider toute la journée d’hier en sa faveur.  Recel de cadavre, subornation de témoin, attentat à la sûreté de l’Etat et complicité d’assassinat. Les chefs d’accusation ont été « scientifiquement » analysés. La religion de la défense est faite : on veut juger le général de brigade et non le lieutenant de 29 ans au moment des faits, on veut juger la loyauté de Gilbert Diendéré à Blaise Compaoré durant 27 ans et non la tuerie du 15 octobre 1987. « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », ont-ils rappelé avant de souligner qu’aucun fait matériel n’a été prouvé en dehors de quelques témoins à charge qui ont du reste reconnu avoir eu de par le passé des frictions avec l’accusé.

 

 

 

C’est Me Abdoul Latif Dabo qui a ouvert les plaidoiries en faveur du général Gilbert Diendéré en démontrant qu’il n’y a pas eu subornation de témoin comme tente de le faire croire le parquet. En effet, Tondé Pascal s’est entretenu avec Zityenga Abdourhamane qu’il a invité à témoigner devant le Juge. Dans l’élément sonore transcrit par l’avocat, Tondé dit être envoyé par le général Gilbert Diendéré. En lisant la retranscription de ce document sonore nulle part l’homme en noir n’a pu déceler des artifices, des manœuvres, de la supercherie, des menaces et des voies de fait. Mieux c’est juste une simple demande à témoigner, pas une demande de retenir une information ou à mentir. « La loi est claire, amener quelqu’un à dire la vérité ne peut être une subornation de témoin », a martelé l’avocat avant de relever qu’aucun faisceau d’indices ne permet de prouver l’incrimination. « Du reste quel est le mensonge qui aurait été profitable à Diendéré ? », s’est-il interrogé sans pouvoir y répondre.

 

A sa suite Me Saba Koussi a démontré « scientifiquement et juridiquement » que Gilbert Diendéré ne s’est pas rendu coupable de recel de cadavre. Il a d’emblée fait remarquer que c’est le code pénal de 1810 qui punit cette infraction de 2 mois à 2 ans de prison et d’une amende de 50 F à 400 F, ce qui prouve que c’est un délit prescriptible au bout de 3 ans.

 

La partie civile et le parquet avaient évoqué la décision du comité des droits de l’homme de l’ONU sur la non-prescription du dossier mais le recel de cadavre ne fait pas partie des chefs d’inculpation relevés par cette instance. En effet la plainte de Mariam Sankara qui date de 1997 porte sur l’assassinat et non sur le recel de cadavre. « On ne peut pas 27 ans 5 mois et 3 jours après poursuivre quelqu’un de recel de cadavre », a souligné l’avocat qui a poursuivi en soulignant qu’au-delà même de la prescription on parle de recel lorsqu’il y a eu une dissimilation, ce qui n’a pas été le cas. Les prisonniers qui ont participé à l’enterrement ont tous dit que le régisseur de la prison Tapsoba Karim a identifié nommément les victimes et écrit le nom de chacune sur sa tombe. « Personne n’a pu prouver que Gilbert Diendéré a participé ou aidé à l’enlèvement des corps, il n’a pas non plus été prouvé qu’il a pu donner un ordre quelconque dans ce sens ; on a cité que l’ordre est venu du haut commandement, et lui en tant que lieutenant n’en fait pas partie » foi de l’avocat qui a fini par plaider « Si vous passez outre la prescription, dites que l’infraction n’est pas constituée ».

 

A sa suite son confrère Yelkouni Olivier dans sa déclaration liminaire a interpellé le président du Tribunal : « La partie civile vous demande de contenter l’opinion, attention aux sirènes de l’émotion et de la vengeance qui risquent de l’emporter sur la justice ; on a exhorté votre tribunal à avoir la main lourde, mais au milieu de l’ouragan d’appels à la sévérité, une voix vous dit attendez ; c’est celle de la défense, car la justice et la clémence ne sont pas antinomiques. Dans cette affaire, on a déjà désigné Gilbert Diendéré comme le coupable et on attend que vous entériniez pour que l’opinion retrouve le soulagement. Dans ce procès l’émotion balaie tout sur son passage ».  

 

Sur l’attentat à la sûreté de l’Etat Me Yelkouni s’interrogera : « avec qui a-t-il comploté ? » avant de poursuivre « ce ne sont que des insinuations et des déductions et on a tendance à oublier que Diendéré au moment des faits n’était qu’un lieutenant de l’armée burkinabè. Jugez donc le lieutenant et non le général de division. Tout le monde s’est attardé sur la fidélité de notre client à Blaise Compaoré tout au long de ses 27 ans de pouvoir pour conclure à sa culpabilité dans ce dossier, mais il ne s’agit pas du procès du pouvoir de Blaise Compaoré ». L’homme en noir s’est étonné qu’on taxe son client de lâche  chaque fois qu’il cite un mort alors qu’on s’accroche aux déclarations des témoins qui citent des morts. « Si ce sont des déclarations venant d’un mort, c’est du pain bénit, c’est même une vérité d’évangile », s’est-il offusqué. Pour lui si c’est son client qui est le planificateur et l’exécutant du coup, pourquoi c’est Hyacinthe qui a informé Blaise Compaoré de la mort de Thomas Sankara tout en l’invitant à s’assumer ?

 

 

 

« En droit pénal, ce qui n’est pas prouvé n’existe pas »

 

 

 

Me Yelkouni a lancé au tribunal en guise de conclusion qu’un sentiment n’est pas une preuve en droit pénal : « on vous demande d’imaginer. Mais moi je vous dis de juger ce que vous voyez et de laisser ce que vous ne voyez pas à Dieu comme l’a dit Saint Augustin car en droit pénal ce qui n’est pas prouvé n’existe pas ».  

 

Dans l’après-midi, Me Abdoul Latif Dabo, l’un des avocats qui portent la foi du général Gilbert Diendéré, était de retour au prétoire. Cette fois-ci, sa plaidoirie porte sur le chef d’accusation de complicité d’assassinat. Le conseil du général qui parle d’ailleurs d’une inculpation surprenante, a durant trois heures, tenté de battre en brèche, dit-il, la cabale de l’accusation et des parties civiles.  Invoquant la jurisprudence, Me Dabo soutient que la complicité ne peut s’induire d’une simple inaction. « La complicité doit être établie par les preuves », a argumenté Me Abdoul Latif Dabo.

 

Soucieux d’apporter l’étincelle en vue d’éclairer la religion du tribunal et d’éviter la condamnation trompeusement d’un accusé, point par point il a déconstruit l’argumentaire de la partie poursuivante et des parties civiles.  Tout de go, il a déclaré qu’il n’y a aucune preuve directe ou indirecte ou un faisceau d’indices de complicité.

 

Complicité par instigation, par abstention ou encore la responsabilité hiérarchique, il n’en est rien selon Me Abdoul Latif Dabo. Comment peut-on se baser sur une réunion pour fonder une machination dont Gilbert Diendéré se serait rendu coupable ? Ces réunions n’ont nullement visé des faits d’assassinat. Celle du 14 octobre avait pour but d’élire le délégué CDR et celle du 15 octobre l’apaisement de la tension entre les deux sécurités rapprochées », a détaillé le conseil du général Diendéré.

 

Se fondant sur des dépositions de certains témoins qui déclarent avoir aperçu au moment des faits le lieutenant de 29 ans dans l’enceinte du Conseil de l’entente ou encore sur la scène du crime près des corps dans lesquelles l’accusation et les parties civiles l’ont jugé complice, il dit ceci : « le simple fait de se tenir sur une scène de crime ne suffit pas pour dire qu’il est coupable. L’esprit de cette procédure est qu’on ne peut pas ne pas avoir Blaise et Hyacinthe et que Diendéré se tire d’affaire. Il faut qu’il trinque. Toute cette procédure a été montée pour avoir la tête d’un individu, il faut grossir tout fait pour engager sa responsabilité », s’est offusqué Me Dabo.

 

En plus de relever que des témoignages sur lesquels le parquet et les parties civiles se fondent pour dire qu’il est complice, il ressort que Diendéré est aperçu à trois lieux différents, Me Dabo fait observer l’activisme du témoin Abdourhamane Zetyinga qui dit prendre part à une seconde réunion le 15 octobre où le général aurait évoqué l’arrestation du président Thomas Sankara. « Il s’est forgé une carrure de témoin justicier pour combler les lacunes d’une procédure.  Il est incapable de citer un autre témoin de la seconde réunion », a-t-il souligné.

 

L’autre fait est la responsabilité hiérarchique qui ferait du général de brigade complice d’assassinat. Me Dabo soutient à cet effet que même si ceux qui ont commis l’assassinat sont du CNEC et moins gradés que lui, ils n’étaient pas sous le contrôle effectif de l’accusé. Et il en veut pour preuve le fait que le général n’avait pas les moyens de faire des rotations dans les rangs des deux sécurités rapprochées des deux leaders de la révolution. « L’accusation a tenté de vous persuader au lieu de vous convaincre. Mais ici, c’est l’hôtel du droit.  Rien ne vous a été apporté pour démontrer qu’il est complice par abstention, qu’il a été négligeant. On allègue sans preuve de complicité. Il faut juger le lieutenant de 29 ans et non la boîte noire de 64 ans », a-t-il indiqué avant de demander sa relaxation.

 

Le procès se poursuit ce matin à 9 heures dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.

 

 

 

Abdou Karim Sawadogo

 

Lévi Constantin Konfé

 

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