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Grève des enseignants : «Mieux vaut une année blanche qu’une vie blanche» (François de Salle Yaméogo, SG du SYNATEB)

Hausser le ton pour se faire entendre, c’est l’objectif que se sont fixé les enseignants du public en entamant une grève de 72h à compter du mardi 9 janvier 2018. Sit-in, non-évaluation des élèves, non-traitement des dossiers d’examen, tous les moyens sont utilisés pour obtenir de meilleures conditions de vie et de travail. Et pour François de Salle Yaméogo, SG du SYNATEB, la grogne des enseignants ne prendra fin que si le gouvernement satisfait leur plateforme revendicative minimale, car pour lui mieux vaut perdre une année que d’avancer dans l’incertitude.

 

En cette matinée du mardi 9 janvier, la cour du lycée municipal Rimvougré, ex-lycée communal de Bogodogo situé dans le quartier Karpala à la périphérie est de Ouagadougou, est presque vide. Si certains élèves déclarent ne pas avoir connaissance d’une grève, d’autres, par contre, en sont informés et disent être venus réviser leurs leçons et traiter des exercices en groupes. Dans ce lot figurent ceux-là qui, pour avoir l’argent de poche du jour, ont effectué le déplacement. « Donc on a encore trois jours de repos. Je vais perdre le temps ici et rentrer vers les 10h à la maison », se réjouit un garçonnet entouré de ses camarades. Aziz Bikienga, élève en classe de 2de C, lui, était bien au courant de la grève. N’ayant pas d’autre occupation que l’école, il y a fait un tour pour voir l’ambiance. « Je me suis réveillé comme à mon habitude à 6h moins, je m’ennuyais tellement que j’ai décidé de faire un tour à l’école. » Vers 8h, le lycée municipal s’était déjà vidé.

Le « noble Zinda », situé au centre-ville et comportant le plus grand nombre de lycéens dans la capitale, présentait presque le même visage que le lycée Rimvougré. Dès la porte, nous apercevons des élèves sur leur vélo en train de rentrer. A l’intérieur, le parking n’est même pas fonctionnel. Les classes sont ouvertes, mais pas pour longtemps. Le gardien, les mains pleines de clés, les ferme une à une. Mohamed Balma, élève en classe de terminale D que nous avons rencontré la veille de la grève, très physionomiste, nous a reconnus et interpellés : « Bonjour, L’Observateur », lance-t-il amicalement. « Bonjour, chef de classe. Comment allez-vous ?», rétorquons-nous. « Vous imaginez aisément que je vais mal », dit-il en se caressant la tête. Visiblement le moral n’y est pas, mais lui et ses camarades suivent à la lettre les conseils de leurs profs de ne pas baisser les bras. Ils s’exercent alors en groupes. « Nos professeurs nous disent toujours de ne pas arrêter de réviser. Ils nous expliquent que la situation ne devrait pas les amener à baisser les bras parce que le gouvernement peut à tout moment prêter une oreille attentive à leurs revendications », nous a confié cet élève en quête du baccalauréat.

Le piquet de grève des enseignants, c’est à la Bourse du travail. Sur les lieux, les parkings de circonstance sont pleins à craquer, obstruant même la voie au grand bonheur de leurs employés qui se frottent les mains. Pour l’une des rares fois, ceux-ci n’ont pas augmenté les prix ; eux qui ont la mauvaise manie de passer de 100 F à 200 F pour les engins à deux roues lors des grands évènements. Debout devant l’entrée principale ou assis sur des chaises ou encore à même le sol, ce sont les grandes retrouvailles. Malgré la musique distillée par les grands baffles, nous parvenons à piquer quelques mots des causeries. « Ah ! les broussards sont là » ; « Tu es dans quelle province maintenant ?» ; « C’est super que tu te sois joint à la lutte », entendons-nous çà et là.

Des commerces sont érigés dans l’enceinte de la cour. Juste à quelques mètres de l’entrée des locaux, une librairie par terre est envahie par les enseignants. A proximité, un enseignant commerçant de T-shirts et d’autocollants estampillés F-SYNTER. « Ce n’est pas pour mon propre compte. L’argent sera reversé à la F-SYNTER », affirme Moussa Sankara.

 

Les points saillants de la lutte

 

Dans la foulée, nous prenons contact avec le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’éducation de base (SYNATEB), François de Salle Yaméogo, pour entrer dans le vif du sujet. Selon lui, leur plateforme revendicative minimale comprend quatre points essentiels : le premier, indique-t-il, est l’amélioration de l’accès à l’école. « Amélioration parce que quand on est dans un système où les enfants n’ont pas accès à l’école, ça pose problème. Même à Ouagadougou, il y a des classes où les élèves sont assis à même le sol et nous ne sommes plus prêts à accepter cela » ; le deuxième est relatif à l’amélioration des conditions d’études et de vie. « Les enseignants travaillent dans des conditions très exécrables, ils manquent du minimum pour faire leur travail pédagogique », déplore-t-il. Le point trois est la revalorisation de la fonction. « Si vous faites un sondage dans une classe de 100 élèves pour savoir qui veut devenir enseignant plus tard, vous n’aurez même pas 5 élèves. Donc c’est à défaut d’avoir un autre boulot que l’on se rabat sur l’enseignement », regrette-t-il. Le dernier point concerne le statut même de l’enseignant. Pour lui, le statut n’est pas forcément relatif à l’argent, « c’est revoir la fonction, c’est-à-dire le profil d’entrée et de sortie du métier. On ne peut pas continuer à vouloir un système performant tout en recrutant des enseignants qui ont le niveau BEPC pour le primaire. Le mode de recrutement même doit changer pour plus de qualité », souhaite-t-il.

D’autres formes de lutte comme la non-évaluation des élèves, le non-traitement des dossiers d’examen sont envisagées. Des choses qui font craindre une année blanche à plus d’un. « Mieux vaut avoir une année blanche qu’une vie blanche. Il y a un problème, et il faut avoir le courage un jour de l’affronter. Nous sommes dans cette logique », lance M. Yaméogo en durcissant le ton. Les voix sont concordantes d’un syndicat à l’autre. Le secrétaire général de la Fédération des Syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-SYNTER), Souleymane Badiel, soutient que c’est parce que les pourparlers avec le gouvernement ne vont pas bon train que les actions ont été maintenues sur le terrain. « Nous avons indiqué au gouvernement que nous sommes disposés à nous investir pleinement dans les négociations. Ce qui nous préoccupe, c’est de trouver des réponses à notre plateforme revendicative. »

Après les 72h de grève, les 15 structures de la coordination nationale des syndicats de l’éducation vont se réunir pour analyser les acquis de la grève et le niveau des négociations. Pendant que le plus grand nombre observait la grève tout en écoutant de la musique révolutionnaire, d’autres poursuivaient les tractations au Premier ministère.

 

Akodia Ezékiel Ada

J. Benjamine Kaboré

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