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Procès putsch manqué : Cette horloge judiciaire si angoissante

Le temps de la justice est celui d’angoisse. Le procès du putsch manqué de septembre 2015, avec les différentes péripéties qu’il connaît, n’échappe pas à cette règle. C’est l’avis de Me Arnaud Ouédraogo qui décortique dans les lignes suivantes les enjeux de ce rendez-vous judiciaire dont le dénouement est très attendu.

 

 

        Jamais procès n'avait suscité une angoisse aussi grande que celle du procès du putsch. C’est presque toujours le cas dans les procès attendus de longue date pour tourner une page douloureuse et ouvrir une ère de décrispation politique et sociale.

 

        A priori, l’on pourrait penser que cette angoisse tient des différents reports d'audiences occasionnés par les débats de procédure en phase «  préliminaire » mais l’on verra que la raison en est bien plus lointaine.

 

        La défense dans les procès politiques suit un schéma assez prévisible et presque immuable. Ces procès s’inaugurent par la remise en cause de la légitimité du tribunal, bien avant les exceptions d’incompétence et de nullité et la discussion sur la preuve. C’est dans cette dynamique que se situe la critique élevée par les avocats de la défense contre le décret de nomination des membres du tribunal ainsi que la requête en récusation.

 

        Cette phase est très chronophage puisque les questions de légitimité sont souvent portées devant d’autres juridictions ; ce qui a comme conséquence d’amener le tribunal à « surseoir à statuer » pour se conformer ensuite à la décision rendue par cette autre juridiction. On se souvient d’ailleurs que dans un précédent dossier politique (devant la Haute Cour de justice), ces préliminaires avaient accouché d’une réforme de procédure visant à introduire le double degré de juridiction.

 

        On constate que durant la phase préliminaire, la solidarité des avocats de la défense est grande, les questions de procédure intéressant généralement tous les accusés. Mais cette solidarité devient aléatoire à l’étape de l’examen des faits, particulièrement dans les infractions de groupe où il n’est pas rare que certains accusés témoignent contre d’autres afin de gagner ce que la doctrine pénaliste appelle le « prix de la délation ».

 

        A côté de ce schéma prévisible, il y a l’invité-surprise du procès pénal : c’est l’« instant où le procès bascule ». Tout avocat pénaliste sait qu’une main invisible oriente irrésistiblement le cours du procès. Aussi le choix de la première question à poser ou de la première personne à interroger peut-il déjouer toutes les prévisions et dévoiler un fait totalement ignoré avant l’audience. Il est déjà arrivé aussi que l’atmosphère surchargée de la salle d’audience pousse plus d’un accusé émotif à se désolidariser subitement de la « ligne de défense » au grand désarroi de l’avocat.

       

        L’horloge du juge affiche sa propre heure, et aucune chapelle politique ne peut y faire injonction. Cette temporalité permet au procès de se purger de tout risque d’erreur ou d’arbitraire ; elle permet aussi d’anticiper avantageusement les motifs de contestation ultérieure de la décision à intervenir. A priori, personne ne peut donc prédire à qui profite un report d’audience ou une audience qui se prolonge. Et il n’y a pas d’antagonisme fondamental entre l’office du juge et celui de l’avocat : l’esprit de l’avocat rencontre l’esprit du juge comme le fleuve rencontre la mer, pour irriguer le champ de l’équité. La justice est représentée par l’iconographie d’une femme aux yeux bandés : le juge se bande les yeux pour faire mourir en soi tous ses préjugés afin de se préparer à la gravité de l’acte de juger. La noblesse de la vérité judiciaire tient de l’audace qu’elle se donne de s’ériger sur les ruines des certitudes paresseuses.

 

1. Une catharsis si douloureuse

 

        L’angoisse de ce procès provient surtout de ce qu’il opère une catharsis douloureuse. Pendant de longues années, le jugement des personnes politiquement et militairement influentes a été un véritable totem. Les longs règnes génèrent une caste d’intouchables si haut perchés que le filet de la justice ne peut les atteindre. Ce procès n’a été envisageable qu’à la faveur de l’alternance politique – l’alternance est le juge suprême.

 

        Ce procès est politiquement chargé parce qu’il pourrait déboucher sur la déchéance de droits politiques. C’est pourquoi le juge se retrouve pris entre les deux feux d’une farouche passe d’armes de camps politiques se livrant une guerre sans merci. Notre relation au pouvoir ayant toujours été rentière et clientéliste, accéder au pouvoir ou perdre le pouvoir est une question de vie ou de mort.

 

        Ce procès est émotionnellement chargé du fait de la présence des victimes qui lui confère une physionomie différente de celle du procès dit du Caporal qui était un procès sans victime. Au traditionnel face-à-face « Parquet-Défense » vient se substituer le triptyque « Parquet-Victime-Défense ». Or, la présence des victimes engendre une difficulté supplémentaire pour l’avocat de la défense.

 

        Ce procès est hautement risqué, et le prix à payer en sera lourd mais il faut qu’il connaisse son épilogue pour qu’enfin l’homme se réconcilie avec la loi. Tant que les détenteurs de pouvoirs ne se soumettront pas à la loi, la justice restera une farce pour gens de cirque. Les magistrats se sont récemment engagés dans cette douloureuse catharsis par l’ouverture d’une enquête sur la corruption en milieu judiciaire couvrant une période longue de dix ans, et se sont soumis à la juridiction des pairs. Ils ont voulu ainsi se rendre dignes du nouveau statut de la magistrature qui est probablement le plus libéral de l’Afrique noire francophone. On attend maintenant que les élites politiques et militaires bouclent la boucle dans l’abolition du cycle de l’impunité. Cela ouvrira du même coup la voie royale pour vaincre cette insubordination citoyenne chronique et ce laxisme généralisé.

 

 

2. Par-delà la justice, l’urgence d’un sursaut de conscience

 

        Au fil du temps, la justice est devenue le dernier mur des lamentations d’une société en quête de repères qui ne sait plus à quel saint se vouer. Mais le temps est venu d’enjamber ce mur pour le sursaut de conscience qui tarde à s’accomplir. Aucun code juridique ne peut suppléer le cœur humain, et ce n’est pas dans le marbre de la loi qu’il faudra tailler le portrait-robot du bon citoyen mais dans le marbre de l’Esprit. C’est le cœur de l’homme qu’il faudra peser sur la balance.

 

 

Maître Arnaud Ouédraogo

Avocat

Dernière modification lejeudi, 05 avril 2018 22:02

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