Tranches de vie d’un faux sapio-sexuel: De soufre et de poésie
- Écrit par Webmaster Obs
Comment parler de cet étrange livre d’Alain Sara ? Roman érotique, poésie lyrique ou tout simplement récit inclassable ? C’est tout cela et tout autre chose. C’est un objet littéraire singulier qui arpente un domaine ignoré de la littérature africaine.
A la parution de ce livre en cette année 2021, on s’attendait à une polémique qui aurait débouché sur un débat sur ce qu’est la littérature. Cette vieille question qu’abordait Jean Paul Sartre dans un essai éponyme en 1948 reste fortement d’actualité. Et aujourd’hui plus que jamais où nous sommes confrontés depuis quelques années à des questions comme la construction d’une nation, le vivre-ensemble, la place de l’individu dans la communauté, celle du religieux dans l’espace public, il faut s’interroger sur la place et la responsabilité de la littérature dans un tel contexte.
Ce livre, c’est un météore dans l’espace littéraire burkinabè dont la collision avec notre monde des lettres devait en chambouler la géographie. Parce qu’elle aborde sans tabou le thème du corps, de la relation, de la femme et de l’amour. Sans pudibonderie. Une option absente de la littérature burkinabè, où l’esquive est de règle, et rare dans la littérature africaine. Dans ce genre, on ne peut citer que Yambo Ouologuem, qui a écrit sous un faux patronyme, et Sami Tchak.
Ce Big Bang n’a pas eu lieu. Peut-être parce que l’œuvre d’Alain Sara est paru dans un grand malentendu entretenu par l’auteur lui-même en présentant son livre comme un témoignage d’un jeune homme ayant jeté sa gourme et en insistant sur le fait que son œuvre plaît aux dames. Si elle plaît aux dames, c’est sans doute à cause du titre aguicheur et de la couverture. Le titre, qui évoque des confessions, a aimanté peut-être des lectrices amoureuses des épanchements intimes. Henry Miller notait que le mot « Confessions » dans un titre a sur lui l’effet d’un aimant. En ce qui concerne la couverture, elle ressemble à celle d’un magazine Playgirl avec un Apollon noir nu. Toutefois, le contenu de l’œuvre ne verse ni dans la plate pornographie ni dans la célébration de la gent féminine. La couv est donc un leurre…
L’ouvrage se compose de quatre-vingts lettres que le narrateur adresse à sa compagne unique et multiple. Elle n’est jamais nommée mais on sent qu’elle n’est jamais la même, tour à tour on a affaire à l’amoureuse platonique, à l’infidèle, à la nymphomane, à la mante religieux, etc. Tout en évoquant la relation entre lui et sa compagne, le narrateur livre ses analyses de la marche du monde à travers des digressions et on aboutit à une sorte de philosophie du boudoir, mais dans le sens positif.
Boris Vian dans les Ecrits pornographiques écrivait : « On ne peut classer les œuvres de Sade dans la littérature érotique parce qu’on ne peut les classer dans la littérature ». Ce qui signifie que la littérature est bonne ou mauvaise ; toutes les autres catégories sont inopérantes.
Quant à Tranches de vie d’un faux sapio-sexuel, c’est un récit éminemment littéraire qui rappelle Les Liaisons dangereuses de Laclos ! D’ailleurs, l’auteur est un insatiable lecteur, et parcourir son texte, c’est musarder dans les rayons d’une immense bibliothèque. Au détour d’une phrase ou d’un exergue, on croise Rimbaud, Baudelaire, Charles Bukowski, le Vieux dégueulasse, Nietzsche et à maintes autres références dans la musique, le cinéma, la peinture, etc.
Avec cette œuvre, Alain Sara s’impose comme un auteur singulier dans la littérature burkinabè, voire africaine. Et le poète René Char, dit le Capitaine Alexandre, aurait sans doute adoubé cette œuvre transgressive, lui qui pensait que « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Car cet ouvrage bouscule tant dans le sujet que dans l’écriture. Les lecteurs et les enseignants de lettres doivent impérativement découvrir cet ouvrage qui s’intéresse à un terrain de l’humain déserté par la plupart des auteurs africains.
Saïdou Alcény Barry