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Procès Thomas Sankara : Premier jour d’un jugement historique

 

Pour ceux et celles qui étaient toujours sceptiques sur la tenue d’un procès dans l’affaire de l’assassinat du président Thomas Sankara et de ses douze compagnons d’infortune, le doute vient d’être levé. En effet, la preuve en a été donnée hier, lundi 11 octobre 2021, dans la salle des banquets de Ouaga 2000, où s’est ouverte l’audience. Une audience qui a été marquée par la formation de la chambre de première instance du Tribunal militaire, présidé par le magistrat Urbain Méda, au prix de multiples excuses ou simplement des autosrécusations. A cela s’ajoutent les débats sur l’enregistrement de ce procès historique et la demande de renvoi de certains avocats de la défense, des commis d’office qui estiment n’avoir pas eu suffisamment de temps pour compulser le dossier, lourd d’à peu près 20 000 pages. Cette requête, qui n’a rencontré aucune résistance des différentes parties, a été actée par la chambre, laquelle a consenti une suspension de deux semaines pour permettre aux requérants de mieux fourbir leurs armes.

 

 

 

 

C’est presque un remake du procès du coup d’Etat qui avait déposé le gouvernement de la Transition ! Même dispositif sécuritaire imposant, double filtrage. Des consignes fermes ! « En dehors des hommes qui ont été désignés pour assurer la sécurité du procès, ne laissez aucune personne armée passer, même les gardes rapprochées. Leur limite, c’est le portique. Vérifiez les noms de ceux qui ont des badges sur les listes », ordonne un officier gendarme. 

 

Dans la salle d’audience où certains ont déjà pris place, chacune des parties, presse, accusés et avocats des parties civiles et de la défense, a retrouvé sa place. En effet, des femmes et des hommes de médias nationaux ou internationaux, désireux d’assister à ce procès 34 ans après, y avaient accouru. Les flashs crépitent de toutes parts.

 

Soudain, la salle, peu bruyante, est animée. Le général de brigade Gilbert Diendéré vient de prendre place dans le box des accusés. Drapé d’une tenue bariolée, l’homme longiligne de 61 ans cristallise l’attention des preneurs d’images et de toute la salle. Devant le box des accusés, on se bouscule pour les flasher, à bout portant, lui et ses coaccusés, et ce, pendant une dizaine de minutes.

 

Après l’accusé, c’est le tour de la veuve ! Arrivée discrètement dans la salle d’audience, Mariam Sankara, dans un ensemble bleu faso danfani, s’est vite retrouvée au milieu d’une foule de journalistes. On manœuvre du mieux que l’on peut pour faire des clichés ou recueillir ses impressions. « Ce n’est pas juste qu’il (Ndlr : Blaise Compaoré dit Jubal) ne soit pas présent. La moindre des choses était qu’il soit là. C’est triste qu’il ne soit pas là », a confié Mariam Sankara aux hommes de média. Puis ces derniers ont fait de la place à certains inconditionnels du feu capitaine Thomas Sankara. Alouna Traoré, Boukary Kaboré, dit Le lion, pour ne citer qu’eux, sont venus à leur tour s’entretenir avec Mariam Sankara. L’ambiance était celle des retrouvailles après de longues années.  

 

Tout comme les journalistes, certains membres du gouvernement avaient accouru dans la salle d’audience. Entre autres, le ministre B. Stanislas Sankara, le général Barthélemy Simporé, Siméon Sawadogo, Dominique Marie André Nana et l’ancien ministre de la Défense Moumina Chériff Sy.

 

 

 

Les généraux Naziningouba et Brice Bayala battent en retraite

 

 

 

Passé la lecture du texte pertinent ordonnant la délocalisation du procès dans la salle des banquets de Ouaga 2000 et la vérification de la présence des 14 occupants du box des accusés, le président de la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou, Urbain Méda, et sa conseillère ont embrayé avec les tirages au sort des trois juges militaires assesseurs titulaires et des trois autres, suppléants, afin de compléter la juridiction. Le hasard, si on peut le dire ainsi, tombe sur l’officier général Brice Bayala. C’est un honneur, dira le général de brigade de la 2e section de l’armée de l’Air, mais… « j’ai un problème personnel, chaque une heure, ou une heure 30, j’ai envie de me soulager. Est-ce que c’est compatible avec cette mission ? », s’est demandé ce pressenti juge assesseur militaire titulaire qui poursuit un dossier en cours, lequel lui permettra d’aller subir un contrôle au mois de décembre. « Je ne peux pas tenir deux heures de temps sans me soulager », a réitéré le général de brigade. « Comment vous savez que vous ne pouvez pas siéger, il y en a parmi nous qui ont peut-être le même problème ? », a demandé le juge Méda. « Monsieur le président, ce sont deux points gênants pour moi », a dit le tiré au sort. Le procureur militaire, qui s’est contenté de rappeler qu’il est fait obligation au juge assesseur militaire de siéger avec la tenue (voir encadré), s’en remettra finalement à la chambre pour la « meilleure solution ».

 

Me Olivier Yelkouny, avocat de la défense, en l’occurrence de l’accusé Gilbert Diendéré, dit s’en remettre « à votre sage appréciation », parlant de la chambre, pendant que Me Prosper Farama, conseil des parties civiles, ne voit aucun inconvénient à ce que « l’appelé » fasse partie des juges assesseurs militaires. « Général de brigade Brice Bayala, vous avez les excuses du tribunal, vous pouvez vous retirer et aller à vos soins », a tranché le président.

 

Le deuxième tiré au sort, lui aussi général de brigade, a évoqué ses relations personnelles avec certains des accusés et leur collaboration de longue date pour finir par dire qu’il n’est pas sûr d’être objectif dans cette affaire. « Ce n’est pas impossible d’être objectif pour corriger ses enfants », lui a fait savoir le juge Urbain Méda. « Avec ses enfants, peut-être. Mais corriger, est-ce juger ? Je n’ai pas l’expérience des procès », a réagi Nazinigouba Ouédraogo. Me Prosper Farama, conseil des parties civiles, n’a fait que saluer l’honnêteté de celui qui a été médecin de l’ancien président Blaise Compaoré. Pour Me Olivier Yelkouny de la défense, le tribunal doit excuser le toubib. Le ministère public a dit également en prendre acte, ouvrant la voie à la chambre pour ne pas maintenir le gal Nazinigouba parmi les juges assesseurs militaires titulaires.

 

Passer outre le respect de la hiérarchie

 

Sentant déjà les difficultés que la chambre aurait au regard des textes de la justice militaire qui disposent qu’un subalterne ne peut pas participer au jugement de son supérieur, Urbain Méda a décidé d’une suspension sur le coup de 9h40 afin de prendre une ordonnance qui lui permette d’aller à l’échelon inférieur, c’est-à-dire le grade de colonel major. Le seul colonel major qui figurait dans le décret pour être juge assesseur militaire titulaire, Boureima Ouédraogo, est rejoint par un autre colonel qui a désormais le même grade. Mais le tirage au sort doit toujours se poursuivre même s’ils ne sont que deux. Le même Boureima Ouédraogo est tiré mais évoque son titre de vice-président du comité d’organisation des festivités du 11-Décembre 2021 à Ziniaré, chose qui nécessite de lui une présence permanente dans ledit comité. « Vous êtes vice-président, heureusement donc », lui a signifié le juge Méda pour qui il n’y a pas d’inconvénient à ce que le col major siège.

 

Pour Me Prosper Farama, jouant au porte-voix des avocats des parties civiles, on craint que la juridiction ne puisse pas se former à l’allure où les choses se dessinaient. « Aucun officier de notre armée n’est au chômage. Avec tout le respect qu’on vous doit, l’excuse n’est pas acceptable », a tonné l’avocat. Ambiance !

 

Du côté de la défense, on pense qu’il faut s’en tenir au décret et le sieur Ouédraogo a été proposé, sachant bien qu’il se retrouve dans les activités commémoratives du 11-Décembre. Le parquetier croit également que l’intéressé peut être maintenu comme juge assesseur militaire quitte à ce qu’il soit remplacé par son suppléant. « Colonel major Ouédraogo Boureima, pour le tribunal votre excuse n’est pas valable, la chambre l’a rejetée et vous maintient pour siéger aux côtés des magistrats », lui a notifié le président avant de l’inviter à regagner son siège initial en attendant la prestation de serment. Une notification qui s’est passée dans un concert de rires de l’assistance pour qui on a tordu le bras au col major. L’intéressé, qui ne s’y attendait pas visiblement, n’a pas manqué de jeter un regard foudroyant au parquet militaire.

 

Est venu par la suite à la barre le colonel major K. Alfred  Somda qui s’est dit honoré par sa désignation. Mais cela ne l’a pas empêché de soulever « un petit problème ». Ce qui n’a pas non plus manqué de déclencher l’hilarité de l’assistance qui commençait à s’habituer aux excuses. « Tous sont mes anciens collaborateurs au CNEC (NDLR : Centre national d’entraînement commando) de 1984 à 1988. Donc il me sera difficile, voire impossible, de juger ces gens », a-t-il expliqué. « Nous-mêmes ne sommes pas contre eux. Personne n’a de haine contre un accusé. C’est un dossier judiciaire et nous avons le devoir de l’instruire », a répliqué le juge Méda qui a eu entre-temps l’impression que personne ne voulait participer à ce jugement.

 

 

 

 

 

Selon Me Moumouni Kopio, avocat de la défense, c’est un cas de conscience qui a été soulevé et « on ne doit pas obliger quelqu’un à siéger ». Du côté de la partie civile pourtant, on a sollicité purement et simplement l’application de la loi avant de clamer qu’il va de soi que des frères d’armes collaborent.

 

Le ministère public, lui, n’a pas entendu s’y opposer mais a pensé que si le pressenti juge assesseur militaire n’est pas sûr d’être impartial, « il ne faut pas le forcer ». « Colonel major Somda K. Alfred, la chambre vous demande de vous faire violence et d’apprécier des faits et non des personnes », lui a signifié le président Méda qui a finalement maintenu le col major parmi les juges assesseurs militaires titulaires.

 

Pas d’enregistrement

 

A l’issue de ces épisodes assez houleux, le prochain à être tiré au sort, le colonel major Saturnin Poda, a pris acte de sa désignation et n’a pas été contesté par une partie. Il sera donc maintenu.

 

Les juges assesseurs militaires suppléants Dimitri W.T. Ouédraogo et Roméo D. Woba, tous deux lieutenants colonels ont été excusés et renvoyés à leur mission de sécurisation du territoire national. La première dame et apparemment la seule, le commandant Christine sougué, n’a pas trouvé d’inconvénient à siéger après que le juge, qui ne manque pas d’humour, lui a dit ceci : « Le genre, il faut en tenir compte dans ce procès ». Elle sera retenue, tout comme le commandant Abdoul Karim Ki et le capitaine Hyguia Capuce Bazié. Tous ont par la suite prêté serment, la main droite levée, et juré, conformément à l’article 29 du code de justice militaire, avant de regagner leurs sièges aux côtés du président et de sa conseillère.

 

L’autre point non moins important en ce premier jour du jugement de l’affaire Thomas Sankara a été la requête d’un des avocats des parties civiles. Elle a été relative à l’enregistrement des débats au regard du caractère historique de ce procès. Du côté des avocats de la défense, Me Eliane Kaboré et Me Maria Kanyili, commises d’office à la défense des accusés Elysée Ilboudo et Bossobet Traoré, ont demandé la suspension de l’audience pour un mois afin de mieux préparer la défense de leurs clients. Elles ont argué n’avoir pas eu suffisamment de temps pour compulser l’entier dossier qui avoisine 20 000 pages et se transporte dans des cantines. Pour les parties civiles, on a attendu 34 ans pour qu’il y ait une manifestation de la vérité, et il est bon de concéder cette suspension afin que les parties soient « à armes égales ». Le ministère public à bien voulu s’inscrire dans la même dynamique, mais a estimé que cette suspension ne saurait excéder deux semaines. L’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), représenté par Karfa Gnanou, qui semblait avoir été oublié, n’y voit pas d’inconvénient. Mieux, une suspension lui permettra également de disposer du dossier pour avoir été cité à comparaître comme étant civilement responsable de cette affaire. Après les discussions enrobées d’arguments juridiques, la chambre a rejeté toute idée d’enregistrer les débats, fût-ce par le service de communication de l’armée, et a suspendu l’audience pour deux semaines.

 

L’audience reprendra donc le 25 octobre 2021 dans la salle des banquets de Ouaga 2000 à 9h00.

 

 

 

San Evariste Barro

 

Lévi Constantin Konfé

 

Aboubacar Dermé &

 

Roukiétou Soma

 

 

 

 

 

 

 

Encadré1

 

 

 

Même le procès Sankara n’échappe pas à une sonorisation défectueuse

 

 

 

Ce n’est pas un fait nouveau d’assister à un procès où la sonorisation fait défaut. Pourtant pour le cas d’espèce, bon nombre étaient certains que les choses se passeraient différemment, car de grands moyens seraient déployés pour avoir une sonorisation irréprochable étant donné qu’il s’agit d’un procès « historique », donc très attendu. Hélas, ce ne fut pas le cas. En effet dès les premiers mots du président du tribunal militaire, Urbain Méda, le signal d’une mauvaise sonorisation de la salle des banquets de Ouaga 2000 était  perceptible.  Et comme un secret révélé au grand jour, l’intervention du parquet militaire mettait à nu le problème de son.  Et comme si cela ne suffisait pas, il n’y avait qu’un micro qui se baladait entre les mains aussi bien de la défense que des parties civiles. Ce qui n’échappera pas au juge Méda dont l’intervention permettra d’avoir un micro de plus. Mais le problème de la qualité de la sonorisation est resté tel jusqu’à ce que le procès soit suspendu.

 

 

 

 

 

Encadré2

 

Blaise et Hyacinthe ont 10 jours  pour

 

se présenter

 

 

 

Après la constatation  de deux absences sur le banc des accusés, notamment celle de l’ancien président Blaise Compaoré et de Hyacinthe Kafando, le procureur militaire, évoquant des dispositions du Code de justice militaire ainsi que du Code de procédure pénale, a expliqué que, lorsqu’un prévenu ou un accusé renvoyé devant le tribunal des forces armées n’a pu être saisi ou lorsqu’après avoir été arrêté il s’est évadé, à la diligence du procureur militaire, le président du tribunal militaire rend une ordonnance indiquant le délit ou le crime pour lequel l’accusé ou le prévenu est poursuivi et mentionne qu’il sera tenu de se présenter dans un délai de dix jours à compter de l’accomplissement constaté de la dernière en date des formalités de la  publication  de ladite ordonnance. Dans le cas contraire, il sera jugé par défaut.  Et cette ordonnance a été prise par le président du tribunal militaire, Urbain Méda, à l’encontre des deux absents.

 

 

 

 

 

Encadré 3

 

On ne s’ennuiera pas avec ce président

 

 

 

Si le public, venu nombreux à l’ouverture de ce procès,  désespérait d’une issue favorable concernant la formation du tribunal militaire, le président de cette formation, de par ses interventions teintées d’humour, a su détendre l’atmosphère, rendant ainsi l’attente des uns et des autres supportable. Et à chaque difficulté qui se présentait, il parvenait à détendre l’atmosphère. Ainsi, on peut répertorier, entre autres situations où  l’assistance ne s’est pas privée de rire : au commandant Capuce Bazié, l’informaticien militaire, il dira « même la nuit vous pouvez  bien effectuer votre travail d’informaticien ». S’y ajoutent des propos tels que « par ces temps qui courent, il n’y a pas un officier qui chôme », « Il ne faut pas qu’il y ait plus chargé que le précédent », « Nous non plus ne sommes contre personne. Arrêtez vos excuses d’amitié et d’inimitié ».

 

        

 

 

 

 

 

 

 

Encadré 4

 

 

 

Me Prosper Farama, avocat de la partie civile

 

« Blaise Compaoré, désarmé, n’assume plus ses responsabilités »

 

 

 

« C’est dommage que Blaise Compaoré ne soit pas présent. On aurait souhaité qu’il donne sa version des faits, car nous sommes attachés à ce qu’il y ait un procès équitable, qui respecte les droits de toutes les parties au procès. Mais enfin on n’en est pas étonné, car cette attitude ressemble bien au personnage : dans les moments les plus difficiles où il n’est pas armé, il n’assume pas ses responsabilités. Pour ce qui est de la suspension, c’est un droit pour la défense de demander un report pour mieux préparer le dossier. Cependant, on espère que la suite sera plus fluide. En ce qui concerne le refus du tribunal de permettre exceptionnellement l’enregistrement et la diffusion de ce procès, on est clairement déçu, car offrir cette possibilité au monde nous paraissaît être de plein droit et naturel. Mais c’est une décision de justice et nous devons la respecter et en prendre acte ».

 

 

 

 

 

Me Moumouny  Kopiho de la défense

 

« Je ne vais pas m’aligner sur une violation de la loi »

 

 

 

« M’opposer à ce que le procès Thomas Sankara et autres soit enregistré répond à la logique qui  veut que la loi soit appliquée. Et en la matière, les textes ne le prévoient pas. Il ne faut pas donc se tromper sur l’objet du tribunal. C’est pourquoi je ne vais pas m’aligner sur une violation de la loi ».

 

 

 

 

 

Sams’k  Le Jah, acteur de la société civile

 

« Il y a encore du boulot à faire dans ce pays »

 

 

 

« L’ouverture de ce procès est certes un motif de satisfaction, mais il y a encore du boulot à faire dans ce pays. Car l’argument selon lequel cette affaire ne peut être enregistrée de peur que ça ne fuite est un manque de confiance. L’idéal aurait été de prévoir un mécanisme d’archivage pour les générations futures,  pour des besoins de recherches et surtout pour éviter que des gens réfutent des choses qu’ils avaient avancées pendant le procès».

 

 

 

 

 

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