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Procès putsch manqué : La cohorte du jour a plaidé non coupable

L’instruction du dossier dit «Ministère public contre Diendéré Gilbert et autres», s’est poursuivie à la barre de la chambre de première instance du Tribunal militaire de Ouagadougou, hier 23 juillet 2018, dans la salle des Banquets de Ouaga 2000.  C’était au tour du sergent Nobila Sawadogo et de «monsieur» Abdoul Nafion Nébié et du soldat de 1re classe Médanimpo Lompo de se présenter devant les juges. Les inculpés ont plaidé non coupables avant de s’expliquer sur les charges qui pèsent sur eux.

 

«Sawadogo Nobila, vous êtes né le 31 décembre 1985, à Yako, dans la province du Passoré. Fils de Sawadogo Tinga et Sawadogo Pawinguédéba. Sergent au Régiment de sécurité présidentielle au moment des faits. Vous êtes célibataire, père d’un enfant, de nationalité burkinabè, vous vous dites jamais condamné, décoré de la médaille commémorative avec agrafe Soudan ». Par cet énoncé, le président de la chambre de première instance du tribunal militaire, Seidou Ouédraogo voulait s’assurer de l’identité de l’accusé qui se tenait devant le tribunal, avant de lui notifier les charges qui pèsent sur lui.  Dans le cadre du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015, il est reproché au sieur Sawadogo, trois chefs d’accusation : complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre sur 13 personnes, et coups et blessures volontaires sur 42  autres.

«Monsieur le président, je ne reconnais pas ces faits», a répondu le sergent après la question du président du tribunal. «Le tribunal vous écoute», lui a fait savoir Seidou Ouédraogo. «Monsieur le président, si vous me permettez, je voudrais avant de commencer m’incliner devant la mémoire des disparus, souhaiter prompt rétablissement aux blessés. Que Dieu apaise le cœur des parents des victimes ainsi que des blessés», s’est consterné le militaire formé en sécurité rapprochée.

Selon sa déposition liminaire, le 16 septembre 2015, il n’était pas de service mais a participé à un rassemblement au carré d’armes dans la matinée au camp. «Après, je suis reparti en ville pour payer des fournitures scolaires afin de les envoyer à mes petits frères au village. Je précise que le 28 août, j’ai perdu mon papa, donc je suis allé chez mon grand frère pour lui parler de certaines choses concernant ce décès. De là-bas, le grand frère m’a recommandé à une dame. Il était 12h passées quand j’ai quitté chez lui. J’ai eu les fournitures et suis allé à la gare de Tampouy pour faire la commission à une compagnie qui fait Ouaga-Tema Bokin. Dans ce quartier et devant un lycée, je me suis arrêté pour prendre une bière et de la viande (ndlr : hum ! murmures de l’assistance) et profiter faire le point des dépenses que j’ai faites. Vers 15h30, quand je rentrais à la maison, j’ai reçu un appel d’un civil du nom de Sawadogo Emmanuel. Il m’a dit parent, tu es où ? Est-ce que tu es au courant que le président de la Transition et le Premier ministre ont été arrêtés, j’ai dit non», a raconté l’ex-membre du Groupement des unités spéciales de l’ex-RSP.

 

«Le major Badiel a dit à tout le monde de rejoindre le camp »

 

En poursuivant sa déposition à la barre, le sergent Nobila Sawadogo a précisé qu’il est entré en contact avec le sergent Jean Yonli, qui était de garde où il officie habituellement. «Il m’a répondu que le major Badiel a dit que tout le monde doit rejoindre le camp. Je suis rentré à la maison, manger et repartir au camp en tenue civile. L’entrée principale de la présidence était fermée, j’ai vu des militaires en armes et d’autres étaient cagoulés. On m’a dit d’aller vers l’entrée est, je me suis présenté à des jeunes, qui ne me connaissent pas et que je ne connais pas aussi puisque j’ai été détaché depuis 2011 à la sécurité de Yé Bongnessan.  Par la suite, je suis allé en mission au Darfour pour ne revenir au pays qu’en mai 2015. J’ai montré ma carte, ils m’ont laissé entrer. J’ai vu des militaires autour du bâtiment où dormait l’ex-président Blaise Compaoré », a-t-il fait savoir. Le sergent a soutenu qu’il a paniqué, sur-le-champ, avant de continuer au poste de garde où se trouve le sergent Yonli. En ces lieux, il n’a pas vu son arme, sa tenue Léopard, ses rangers, et encore moins ses quatre chargeurs. En cherchant à savoir où se trouve son matériel, le militaire de faction lui a signifié que les quatre chargeurs sont avec lui mais qu’il n’a aucune idée du reste. «J’ai porté une vieille tenue et de vieux rangers et je suis allé voir le major Badiel sous le hall. Je lui ai expliqué comment j’ai appris les choses et ajouté que je ne sais pas si ce sont des forces étrangères ou ce sont des gens du corps. Il m’a dit de rejoindre les jeunes derrière le bâtiment pour assurer la garde. Quand j’ai demandé aux jeunes ce qui se passait, ils m’ont dit que ce sont des gens qui ont été arrêtés et amenés à la résidence, c’est là que j’ai fait allusion à ce que disait le civil », a précisé Nobila Sawadogo.

Dans son développement, il a  relevé que dans la soirée du 17 septembre 2015, vers 16h, deux militaires (Léonce Sow et Amado Kafando)  sont venus devant lui, à bord d’un véhicule V8 et lui ont dit «faut embarquer», sur instruction du major Badiel. Après avoir vérifié l’ordre, puisqu’il n’est pas monté immédiatement, il a embarqué avec pour mission d’aller assurer la garde au domicile du général Diendéré. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé, plus tard, membre de l’équipe d’escorte de «Golf », qui était en réalité à la tête du Conseil national pour la démocratie (CND) et président du Faso. Depuis lors, ne se sentant pas en mesure d’assumer la mission, il n’a cessé de demander à être relevé de sa position. Il obtiendra gain de cause dans la matinée du 21 septembre à 9h45. Etant donné qu’il avait fait 4 jours sans revoir sa famille, il a eu la permission de rentrer mais ne pouvait pas y rester. 

 

«La déclaration du sergent traduit une certaine sincérité »

 

A l’issue de la narration de l’inculpé, c’est le parquet militaire qui est entré en scène. Selon le substitut du procureur militaire, Mamadou Traoré, l’exposé du sieur Sawadogo traduit une certaine sincérité que les débats permettront de démontrer ou pas. «Vous dites que vous avez demandé votre relève, pourquoi ? … », a-t-il introduit. «Oui, j’ai entendu dans les médias que le général est devenu président, je me suis dit que je ne pouvais plus faire ce travail », s’est-il justifié. «Quand vous êtes arrivé au camp, est-ce qu’il y a des indices qui vous ont laissé croire qu’il y a eu une concertation ? », lui a demandé à nouveau Mamadou Traoré. «Non ! », a répliqué Nobila Sawadogo, de façon catégorique. «Sergent Sawadogo, combien de temps avez-vous passé dans la garde rapprochée du général », venait d’intervenir le substitut, Sidi Békaye Sawadogo. «J’y étais à partir du 17 septembre au soir jusqu’au 21 septembre, vers 10h moins », a indiqué l’accusé.  Et  d’ajouter qu’après avoir été relevé de son poste, le major Badiel lui a enjoint d’aller voir un militaire au P.C. «C’était pour réintégrer les armes », a précisé le sergent. Il est y resté jusqu’au 27 septembre et ne pouvait pas se débiner de cette mission. «Si je partais laisser les armes qui m’ont été confiées, on peut me poursuivre pour ça ». «D’autres militaires comme Sow Léonce, ont fui plutôt, au domicile du Moro Naaba.  Il s’était mis en civil et avait disparu, pourquoi vous êtes resté jusqu’à cette date », a renchéri le substitut. «Monsieur le procureur, c’est ce que je viens de vous expliquer, on pouvait me poursuivre pour ça. Je n’ai pas pensé à ce qu’a fait Sow Léonce », a indiqué le mis en cause. «Est-ce que ce n’était pas un honneur pour vous de participer à la garde rapprochée du général, du haut de votre expérience puisque le major Badiel a fait appel aux anciens pour assurer la mission ? », a poursuivi le substitut Sawadogo. «C’est le major Badiel, lui-même qui pourrait le dire, mais ce n’était pas un honneur pour moi », a réagi l’accusé. «Mon sergent, est-ce que vous connaissez Dah Sami ? », a ajouté pour sa part le procureur Alioun Zanré. «Il y a beaucoup de jeunes, dont Dah Sami,  que je ne connaissais pas si ce n’est à la MACA », a-t-il relevé. Selon les propos de Dah Sami, il a aperçu le «caporal» Nobila Sawadogo au camp, dans la matinée du 17 septembre, au cours d’un rassemblement. «Je suis sergent monsieur le procureur, et je suis le seul Sawadogo Nobila au RSP », a-t-il expliqué. «Vos déclarations n’ont pas varié, vos parents vous ont dit de quitter derrière le général après qu’ils vous ont vu à la télé, merci sergent Sawadogo », a conclu Alioun Zanré.

Pour Me Flore Toé, avocat de l’accusé, «nous venons d’assister à une narration claire, très simple et véridique. Le procureur lui-même a reconnu que depuis l’enquête préliminaire à votre barre en passant par la chambre du contrôle de l’instruction, mon client n’a pas varié dans ses propos. Monsieur le président, vous vous rendrez compte qu’il est seulement devant vous sur la base de déclarations faites par Dah Sami et Moussa Nébié dit Rambo ? Quand j’ai posé la question à Rambo au moment de son audition, il a dit que Sawadogo Nobila ne faisait pas partie de l’équipe qui est allée arrêter les autorités de la transition. Il vient de vous dire qu’il n’y était pas et n’a participé à aucune concertation en plus. J’invite le tribunal à croire à la sincérité des déclarations de mon client », a fait observer l’avocate. 

La seule «tache noire» à l’interrogatoire de Nobila Sawadogo, selon Me Pierre Yanogo, un des avocats des parties civiles, c’est quand l’accusé a laissé entendre qu’il n’était pas au courant des manifestations anti-putsch et des représailles qui en ont résulté. « J’ai beaucoup aimé sa déclaration mais cette partie me laisse vraiment perplexe alors qu’il a commencé en s’inclinant sur la mémoire des disparus », a déclaré l’avocat. C’est sur ces entrefaites que l’accusé a été invité à rejoindre son siège pour faire la place à son codétenu, Abdoul Nafion Nébié, en lieu  et place de l’accusé Médanimpo Lompo, puisque le conseil de ce dernier n’était pas encore arrivé.

«J’ai été déjà condamné à 10 ans ferme dans le dossier Yimdi »

Abdoul Nafion Nébié qui a souhaité que les différentes parties l’appellent «monsieur Nébié », plutôt que par son grade n’a pas reconnu les quatre faits qui lui sont reprochés. Ce sont des chefs d’inculpation de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre, de coups et blessures volontaires ainsi que de complicité de dégradation volontaire aggravée de biens. En réalité, il avait déjà été poursuivi pour désertion et détention illégale d’armes et de munitions de guerre dans le dossier dit de l’attaque de la poudrière de Yimdi. Il avait donc écopé d’une peine d’emprisonnement ferme de 10 ans. «Monsieur le président, je ne sais pas si on doit m’appeler sergent car j’étais caporal au moment des faits. Suite à l’affaire de Yimdi, je suis passé en conseil de discipline où j’ai été radié des Forces armées nationales avant de passer devant le tribunal militaire », a expliqué le natif de Léo, dans la province de la Sissili. 

A l’écouter, le jeune homme de 30 ans,  le 16 septembre 2015, il était en poste à la radio nationale du Burkina lorsqu’en navigant sur internet, il a su, entre 14h et 15h, que le Conseil des ministres a été interrompu. Il a appris dans la foulée que le camp était consigné et il s’est cantonné au Conseil de l’entente où il était sans mettre pied au camp Naaba Koom II. «Quel a été votre programme le 17 septembre ?», lui a demandé Seidou Ouédraogo. «J’étais toujours dans mon poste, je ne me rappelle pas exactement, j’ai fait des achats, suis allé chez moi, j’ai fait de petites courses », a indiqué l’accusé. « Au matin du 17 septembre, entre 10h et 12h, il y a eu une assemblée générale au palais, qu’est-ce qui a été décidé et qui vous avez vu ? », a poursuivi le président de la chambre de première instance du tribunal militaire.  «Je ne me rappelle pas, c’était présidé par le chef de corps », a signifié le militaire radié. Il dit avoir participé à la rencontre avec le président sénégalais mais ne se rappelle pas ce qui a été dit. Il n’a pas effectué de patrouilles, ni de mission à Boudry ou à Zorgho et encore moins au studio Abazon. Pourtant, le procureur militaire, Alioun Zanré lui a fait remarquer que d’autres militaires comme Mohamed Lahoko Zerbo et Silvère Stanislas Ollo Pooda, Ali Sanou l’ont cité comme faisant partie des équipes qui sillonnaient la ville dont les différents points énumérés.

Pour lui, les propos de ses codétenus n’engagent qu’eux et il s’étonne davantage puisqu’il n’y a pas eu de confrontation entre lui et les intéressés. «Vous n’êtes pas allé en ville avec des camarades ? », a insisté le magistrat militaire. «Négatif monsieur le procureur », a martelé Abdoul Nafion Nébié. Selon les propos (voir encadré) le parquet militaire a fait un amalgame entre les dossiers Yimdi et coup d’Etat manqué dans lequel il n’a rien à se reprocher. Selon son conseil, Me Alexandre Sandwidi, cela témoigne de la «fragilité» des éléments qui sous-tendent les chefs d’inculpation à l’encontre de son client. «Je demande au parquet de nous donner des preuves pour qu’on en discute, on poursuit mon client sur la base d’allégations d’accusés or ces personnes elles-mêmes sont revenues sur leur propos ou ont été dubitatives quant à la présence de Nafion dans l’affaire du putsch. Dites-nous si le fait d’être en service à la radio nationale fait de lui un complice dans l’attentat à la sûreté de l’Etat. Est-ce que le fait d’avoir participé à un rassemblement est un acte constitutif d’atteinte à la sûreté de l’Etat. La seule chose qu’il a reconnue, c’est d’être allé chercher du pain qui a été livré aux pèlerins, au stade. Le seul fait dont vous disposez, c’est sa fuite en Côte d’Ivoire et il vous a expliqué qu’il faisait partie d’une liste de gens à abattre. Je crois que c’est sa réputation dans le dossier Yimdi qui lui vaut cela, sinon son dossier concernant le putsch manqué est vide », a longuement soutenu Me Alexandre Sandwidi.

L’audition de «monsieur Nébié », suspendue à 13h, a pris fin dans l’après-midi et le soldat de 1re  classe Médanimpo Lompo a aussi plaidé non coupable pour les faits d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre, ainsi que de coups et blessures volontaires.

 

San Evariste Barro

Aboubacar Dermé

 

Encadré :

Nafion charge le parquet d’avoir fait un «coupé-raccommodé »

« Vous avez accompagné le chef Sanou Ali à Léo et vous avez été rejoint par d’autres militaires pour continuer en Côte d’Ivoire, après les événements. Vous aviez dit en enquête préliminaire qu’ils avaient des sacs avec des armes ainsi que des munitions, si vous n’aviez rien à vous reprocher pourquoi vous aviez fui ? », a voulu savoir le substitut Sawadogo.

«C’est tout mon dossier de Yimdi que vous lisez, vous revenez avec ces mêmes pièces, on ne me poursuit pas pour détention illégale d’armes et de munitions de guerre. On m’a déjà condamné pour ça, monsieur le procureur, vous avez fait un coupé-raccommodé », s’est défendu Abdoul Nafion Nébié.

Et le parquetier de réagir : «C’est votre droit le plus absolu de nous dire que vous n’avez posé aucun acte dans cette affaire, mais nous savons que quelqu’un qui n’a pas posé d’acte dans cette affaire ne peut pas quitter femme et enfant et traverser la frontière », a rétorqué l’accusation, pour qui il y a bel et bien un lien entre les deux dossiers. 

A.D.

 

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