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Retrait des enfants de la rue : Au centre d’accueil, le ghetto leur colle à la peau

Depuis le 10 août dernier, l’opération de retrait des enfants et jeunes de la rue engagée par le ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille est effective. Déplacés de plusieurs espaces publics de la capitale, des centaines d’enfants sont internés dans un centre d’accueil d’urgence à Somgandé, à la périphérie est de Ouagadougou, en vue de leur réinsertion sociale. Encore en état de stabilisation, ils ont reçu, le 17 août, la visite d’une délégation gouvernementale conduite par le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, qui a voulu s’enquérir de leurs conditions d’hébergement. En marge de cette visite, nous avons effectué une immersion dans cet univers de pensionnaires. Comment se sont-ils retrouvés dans la rue ? Comment s’adaptent-ils à cette nouvelle vie ? Quelles sont leurs difficultés au quotidien ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que, malgré ce changement de biotope, le passé de ces pensionnaires leur colle toujours à la peau. 

 

 

Vendredi 17 août. Il est à peu près 10h. Quelque trois quarts d’heure avant l’arrivée de la délégation gouvernementale au centre d’accueil d’urgence des enfants en situation de rue de Somgandé, l’ambiance y est assez détendue. Répartis en groupuscules, des pensionnaires, par dizaines, se livrent à des parties de loisirs : jeux de cirque par-ci, match de football et parties de dames par-là. Cela se déroule sous la supervision d’encadreurs qui se reconnaissent aisément aux gilets qu’ils arborent. Clôturé d’un mur haut d’environ un mètre et demi, cet espace de retraite s’étend sur une dizaine de milliers de mètres carrés et est parsemé de quelques constructions à différents usages : des bâtiments administratifs, des dortoirs, des ateliers, une infirmerie, une salle de conférences, etc. Ce centre est l’un des quatre sites qui ont été aménagés dans le cadre de l’opération de retrait des personnes en situation de rue, lancée le 10 août par le ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille. Selon le premier responsable de ce département, à la date du 17 août, environ 600 personnes ont été concernées par l’opération. Environ 10% de ces personnes ont été reconduites dans leurs familles, où elles continueront de bénéficier d’un accompagnement. Dans le centre de Somgandé, qui accueille uniquement de jeunes garçons, plus de 240 personnes ont été amenées depuis le début de l’opération, laquelle prévoit la réinsertion socioprofessionnelle des pensionnaires : réinsertion familiale pour les uns, création d’emplois pour les autres.

En attendant les visiteurs du jour, la vie dans cette pension suit son cours normal. Idriss, pensionnaire du centre depuis une semaine, nous déroule leur quotidien : «Le matin lorsqu’on se lève, après que chacun a fait sa toilette, nous prenons le petit déjeuner. Après cela, ceux qui ont de la lessive à faire le font. Cette tâche accomplie, on peut rejoindre les encadreurs pour les parties de loisirs. A midi, nous avons encore droit à un déjeuner et le soir, un dîner avant de dormir.» Ce quotidien, nous confie notre interlocuteur, est bien mieux que celui qu’il menait loin des murs du mitan. « Contrairement à la vie dans la rue, ici je  mange bien. On apprend à jouer au ballon et on a beaucoup de loisirs », relate-t-il. Agé de 13 ans, Idriss doit faire la classe de 5e à la rentrée prochaine. Avant d’être interné dans ce centre, il dit avoir vécu deux mois dans la rue. « Un matin, je suis sorti me promener avec des amis. Quand je regagnais le domicile, il se faisait tard. C’était autour de 23h. Mes parents ont voulu me frapper et je me suis enfui. Pris de peur, je n’ai plus tenté de retourner à la maison. Depuis lors, je passe mon temps dans la rue, espérant que la colère de mes parents finira par passer et que je puisse rentrer chez moi », raconte-t-il, la voix entrecoupée.

Pour nombre de ces pensionnaires, la vie dans la rue n’est pas le fruit du hasard. Un choix délibéré pour certains, une contrainte pour d’autres ; pour sûr les arguments ne manquent pas. Pour Y.N., l’un des doyens du centre, c’est bien par contrainte qu’il s’est retrouvé dans cette situation. Selon le témoignage de ce jeune homme de 20 ans, alors en classe de  4e, son géniteur lui a signifié qu’il devait travailler pour payer sa scolarité. Il décide alors d’aller à l’aventure en Côte d’Ivoire, mais revient bredouille. Frustré, il décide d’élire domicile  dans la rue, où il passera 6 ans. Avec cette nouvelle opportunité qui s’offre à lui, il aimerait passer le permis de conduire et reprendre ses études. Il dit trouver la vie dans ce centre assez confortable.

Si certains s’adaptent aisément à leur nouveau biotope, d’autres par contre ont du mal à rompre avec leur passé récent.  B.N., précédemment vendeur d’ustensiles de cuisine, est de ceux-là : pour ce gamin qui, contrairement à certains, peut encore compter sur ses deux parents, la vie dans la rue est plus un plaisir qu’une contrainte. « C’est vrai qu’ici je mange à ma faim, mais la rue me manque. Je pense surtout à ce que j’aurais gagné si j’étais dans la rue », nous confie B.N., soulignant qu’il a été ramené dans le centre après s’être enfui.

Une difficulté d’adaptation qui explique la fuite de certains pensionnaires après quelque deux ou trois jours de séjour, nous confie A.R. Pour la pallier, le centre dispose d’un service de psychologie, qui est aussi chargé d’assurer le suivi des enfants en vue de leur réinsertion sociale. Mais entre les murs du centre, ce sont des dizaines, voire des centaines, de récits qui se racontent, les uns aussi longs que les autres. Leurs auteurs ne sont autres que ces pensionnaires venus d’horizons divers.

En attendant d’être affectés dans des centres spécialisés, les enfants ont la possibilité d’occuper leur journée dans le centre par des travaux d’atelier. Pour cela, quatre ateliers sont érigés sur le site : un atelier de menuiserie, un atelier de vannerie moderne et deux autres de mécanique, auto et moto. Philippe Tassembédo est formateur à l’atelier de menuiserie. Par jour, il reçoit une dizaine d’enfants qui viennent apprendre. Assurant de l’engouement des enfants à passer des heures dans son atelier, il ne tarde pas à évoquer les difficultés qu’ils rencontrent. Le souci majeur : l’insuffisance de matériel, vu le nombre d’enfants. Outre cela, il y a les difficultés d’encadrement d’enfants, liées surtout à la différence de leurs expériences et de leurs milieux d’origine. En effet, des écarts de comportement sont observés. Chose qui n’est pas surprenante, selon le directeur du centre, Issaka Baname. « Dans la rue, certains appartenaient à des gangs. Et le fait de regrouper des bandes rivales fait que les conflits sont parfois inévitables », indique-t-il, non sans relever que les encadreurs du centre travaillent d’arrache-pied pour maintenir le calme.

 

Somgandé, un centre de futurs Etalons ?

 

S’enquérir des conditions d’hébergement des pensionnaires du centre, c’était l’objet de la visite de la délégation gouvernementale, conduite par le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba. Etaient de cette délégation les ministres de l’Education nationale, de la Culture, de la Communication et de la Solidarité nationale. Avec pour guide Madame Marchal, le chef du gouvernement et les autres ministres ont parcouru l’intérieur du centre afin de découvrir le nouveau foyer des enfants en situation de rue. Après s’être enquis du cadre de vie des enfants, la délégation a entrepris des échanges avec ceux-ci. Comme un mot d’ordre suivi, c’est un accueil chaleureux avec pleins d’applaudissements que pensionnaires et encadreurs ont réservé la délégation gouvernementale de 4 ministres.

S’adressant à ses hôtes, Paul Kaba Thiéba a émis le souhait de voir sortir de ce centre de « futurs Etalons » qui hisseront haut le football burkinabè. L’occasion a aussi été saisie pour interpeller les parents sur la nécessité d’appuyer les efforts du gouvernement. Pour le Premier ministre, certains parents ont aussi une responsabilité dans cette situation d’enfants de la rue.

 

Bernard Kaboré

Rabiatou Congo

(Stagiaires)

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