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Massacres de Yirgou : Bala sur les pas de Roch

Une semaine, jour pour jour, après la visite du chef de l’Etat, le président de l’Assemblée nationale, Alassane Bala Sakandé, s’est rendu à Yirgou le samedi 12 janvier 2019 à bord, lui aussi, d’un hélicoptère de l’armée de l’air.

 

 

« Rendez-vous demain 5h30 devant le camp militaire ». Cette information que venait de donner le chef de mission me fit sursauter ; pas  parce que le départ pour Yirgou m’imposait une heure inhabituelle de réveil mais du fait que nous devions être  escortés par la cavalerie.  Quitte à se rendre dans cette zone devenue subitement dangereuse, je m’étais bêtement dit qu’il valait mieux passer inaperçu  étant donné que ce sont les convois militaires qui sont généralement pris pour cible.

 

 

Le lendemain, alors qu’aucun rayon de soleil n’était encore venu transpercer la brume opaque, nous nous retrouvons devant la première région militaire avec l’essentiel du comité d’accueil du PAN  qui atterrira quelques heures plus tard à Yirgou. Il y a là notamment des députés de l’Assemblée nationale, le gouverneur du Centre-Nord, Nandy Somé/ Diallo, le commandant de la région militaire, Gilles Bationo, le directeur régional de la police, Zei Sinari, et bien sûr de nombreuses FDS, à moto, sur des pick-up, ou dans des véhicules banalisés. Voyant l’imposant cortège, qui illumine de ses phares Kaya toujours endormie, je me dis in petto que si par malheur on devait rouler sur un de ces engins de mort, la probabilité que cela tombe sur le véhicule des  (modestes) journalistes était plus faible.  Je chassai, tous calculs cessants,  mes idées noires, pour ne pas dire  ma peur bleue. Nous croisons un binôme de pandores à moto, en patrouille, les tenues et les visages rouges comme le chemin qu’ils arpentent. Eux n’ont sans doute pas dormi de la nuit. Mes  angoisses  me paraissent maintenant des facéties.

 

 

 

Motus et bouche cousue

 

Plus de trois heures plus tard, après  un périple sans anicroches,  sauf la route parfois cahoteuse, Yirgou enfin. Ce petit village situé aux confins de la province du Sanmatenga et à la lisière du Soum était, jusqu’au 31 décembre 2018, inconnu des Burkinabè, avant qu’un drame au fort retentissement national  ne s’y produise le jour de l’an : le massacre de la communauté peule par des milices d’autodéfense koglwéogo en représailles à l’assassinat du chef du village et de membres de sa famille.  Désormais, Yirgou est le pendant burkinabè de « Sabra et Chatila » (1).

 

Deux semaines après les tueries, qui auraient fait, selon le décompte officiel, 49 morts et des milliers de déplacés, le calme est revenu dans la bourgade qui a vu débarquer après la folie meurtrière de nombreux militaires venus rétablir l’ordre et la quiétude. Le train-train a repris mais par-delà l’horizon, c’est le repaire de  l’ennemi: pas plus tard que le 10 janvier, à quelques encablures de là, à Gasseliki, des hommes armés ont fait irruption dans le marché du village avant d’abattre 12 personnes et de se fondre dans la nature.

 

Autour de la fontaine située près de la cour du défunt chef de village, femmes et enfants remplissent leur bidon du liquide précieux, les militaires aussi pour  arroser un espace qui servira d’hélisurface. En attendant que se pose le XT-MBG de l’armée de l’air transportant la deuxième personnalité de l’Etat, nous tentons d’en savoir davantage sur les événements du 1er janvier et des jours suivants. Peine perdue. Tous les habitants semblent avoir reçu  pour instruction de couvrir d’un voile de silence cette affaire. Toutes nos questions eurent pour réponse : « Je ne sais pas » ou un silence gêné de nos interlocuteurs.

 

 

L’appel de Bala

 

Il est un peu plus de 10h lorsque l’autogire amorce sa descente, dans un tourbillon de poussière et un vacarme infernal. Le colonel Gilles Bationo himself, bras au ciel, joue au marshaller (Ndlr : personnel au sol chargé de guider le pilote d’un aéronef). Alassane Bala Sakandé s’extirpe de l’oiseau de fer lorsque les rotors  cessent leur folle rotation. Le titulaire du Perchoir est tout de suite conduit devant le domicile du chef où l’attendait la population. Sous les tentes, les mines sont graves.

 

Il règne une ambiance de deuil. Le patron des députés serre énormément de mains, à commencer par celles des tout-petits. S’adressant à son auditoire en mooré, le successeur de Salifou Diallo dit être venu, en compagnie de quelques députés, exprimer au nom de la représentation  nationale sa compassion et son soutien aux familles endeuillées suite à ce drame, affirme-t-il, qui  « affecte tout le Burkina ». Durant près de 20 minutes, quittant parfois le confort de la tente, pour être au plus près de l’assistance, Alassane Bala Sakandé parle de pardon, de cohésion, de vivre-ensemble, suscitant parfois des applaudissements du public qui était jusque-là  morose.  

 

Naguibamba Sawadogo, prenant la parole au nom des habitants, a salué les visites des autorités depuis les événements, à commencer par celle du chef de l’Etat, qui confortent les populations dans l’idée qu’elles ne sont pas livrées à elles-mêmes face à la menace terroriste. Le porte-parole du village confie que les habitants vivent dans la peur, surtout depuis  l’attaque de Gasseliki. Il a souhaité que la présence militaire soit renforcée à Yirgou pour rassurer les uns et les autres.

 

L’exode

 

Après s’être entretenu à hui clos avec la famille du défunt chef de village, Kouka Zabré, le PAN s’est rendu à un hameau peul, Changahi, qui aurait été saccagé par ceux-là même à qui il venait de parler plus tôt. Sur la route, des femmes et leurs bambins fuyant leurs maisons à pied, en charrette ou en tricycle, avec ce qui leur reste de biens. Leur vie, ils devront la refaire.

 

Changahi est comme une ville fantôme après l’apocalypse : plus d’animaux dans les enclos, réduits en cendres. Partout, des traces de feu. Il ne restait à notre passage, en tout et pour tout, que neuf habitants dont 2 bébés, que le PAN couvrira d’attention. Le patriarche Amadou Diallo vient à la rencontre d’Alassane Sakandé. Si on s’en tient à la traduction de leur échange, faite par deux honorables députés, le titulaire du perchoir et le berger peul semblaient s’entendre comme larrons en foire. Pourquoi  n’a-t-il pas fui comme les autres avec ce qui reste de sa famille ? «  Ceux qui partent ont des endroits où aller. Nos ancêtres sont nés ici, nos pères sont nés ici. On n’a pas  un autre lieu »,  explique le vieillard.

 

 Il se dit aujourd’hui prêt à tourner la page et à pardonner aux  bourreaux. « Nous avions toujours vécu en symbiose jusqu’à ce drame », regrette-t-il. Signe que toutes nos valeurs séculaires n’ont pas été noyées dans la mare de sang du 1er janvier, Amadou Diallo et les siens qui sont réfugiés en brousse reviennent au village partager le repas d’un voisin mossi. Pour parer  au plus urgent, l’Assemblée nationale a offert une enveloppe de 5 millions de francs ainsi que 100 tonnes de vivres aux  différentes populations touchées.  Le don a été officiellement remis par Alassane Bala Sakandé lors du passage qu’il a également effectué au site d’accueil des réfugiés à Barsalogho.

 

Hugues Richard Sama

 

(1)    Lieux où se sont produits en 1982 des massacres de civils palestiniens par les Phalanges libanaises en représailles à l’assassinat du président Bachir Gemayel

 

 

Encadré 1

 

Gasseliki, l’autre drame

 

Alors que les services sociaux étaient déjà débordés par l’afflux massif des refugiés peuls fuyant l’expédition punitive à Yirgou, ce sont cette fois, principalement, les Mossé qui ont dû quitter à la hâte Gasseliki dans le Soum.  La plupart ont trouvé refuge à l’école de Foubé, à moins de dix kilomètres de Yirgou.  A notre passage le samedi 12 janvier, le dispositif de prise en charge était encore embryonnaire : les déplacés n’avaient par exemple  eu droit qu’à une simple bouillie comme repas, de toute la journée. Le ministre de la Sécurité, Clément Sawadogo,  était  attendu sur les lieux pour faire le point de la situation.

 

Selon  Salam Ouédraogo, ils sont quelque 5000 personnes à avoir abandonné leur village. A l’en croire, les terroristes sont arrivés jeudi dernier et ont ouvert le feu sur tout ce qui bougeait au marché. Après avoir abattu 12 personnes, ils ont laissé un message avant de repartir : « Ils nous ont dit que Roch nous a flattés, qu’eux, ils s’en foutent. Ils ont dit que la prochaine fois qu’ils  vont venir ils ne vont pas faire de tri, ils vont tuer même les femmes et les enfants ».  Si les habitants de ce village de la commune d’Arbinda ont trouvé place à l’école de Foubé, c’est parce que, selon un conseiller, aucun établissement n’a ouvert depuis le 1er janvier. Les enseignants ainsi que d’autres fonctionnaires ont plié bagage.

H.R.S.

 

Encadré

 

Les koglwéogo étaient  désarmés

 

 

Une polémique  était née après la visite de Roch Marc Christian à Yirgou. Si l’on en croit certains, le chef de l’Etat se serait entretenu avec les koglwéogo pendant que ces derniers portaient de manière ostentatoire leurs armes. Ce qui a été interprété comme un pied de nez à la République. Mais selon des sources sur place, les groupes d’autodéfense sont bien arrivés au lieu de la cérémonie avec leurs  fusils, mais ils ont été désarmés par les FDS et leur armement stocké  avant qu’ils ne  puissent assister à la rencontre avec le premier des Burkinabè.

H.R.S.

Dernière modification lelundi, 14 janvier 2019 23:40

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